[Essai] Sortir ensemble du chaos politique

Deux jeunes youtubeurs, Tatiana Ventôse et Greg Tabibian, se lancent activement en politique à travers la création du « Mouvement V » et la publication d’un essai détonant chez Plon : Jusqu’ici tout va (très) mal. Leur ambition ? Encourager les Français à remettre le pays en ordre avant qu’il ne soit trop tard.

Vous ne trouverez nulle trace, à travers les pages de recension littéraire des grands médias nationaux, du livre publié début mars par Tatiana Ventôse et Greg Tabibian, malgré la notoriété de leur éditeur, Plon. Sans doute les Jean-Michel Aphatie, les Christophe Barbier et les Brice Couturier de France et de Navarre, drapés dans leurs certitudes libérales, ne daigneront pas même feuilleter l’ouvrage de deux youtubeurs dont l’audience cumulée devrait pourtant les amener à réfléchir (presque 101 000 abonnés pour Tatiana, 169 000 pour Greg)… Au diable la critique parisienne ! Jusqu’ici tout va (très) mal s’adresse d’abord à celles et ceux qui subissent les politiques de tous les gouvernements depuis quarante ans, à ces Français menés en bateau, progressivement dépouillés de leurs droits sociaux, de leur pouvoir d’achat et bientôt (au train où vont les choses) de leur droit à la parole.

Les deux enfants terribles de YouTube restent fidèles à l’univers des réseaux sociaux dans lequel s’est étendue leur influence. Ils savent ce qu’ils lui doivent. Leurs propos se ponctuent donc de reproductions de tweets parodiques et de messages Facebook détournés, bourrés d’émoticônes, pondus par des internautes stéréotypés incarnant ces militants bornés qui contribuent malgré eux à la paralysie de la démocratie. Leur vécu et leurs références (Kaamelott, le Joueur du Grenier, les mèmes du web…) sont aussi celles de la génération Y, à laquelle incombe de renverser l’ordre injuste qui ne sert plus que les intérêts privés. Alors, ils assument de se « vautrer dans le populimse (sic) » puisqu’il importe avant tout de combattre pour que la politique recolle au réel, quelle redevienne la poursuite de l’intérêt commun.

Refaire société… contre les clivages stériles

ventose-tabibian (livre)Le tableau que Tatiana Ventôse et Greg Tabibian peignent de la France d’Emmanuel Macron est accablant. L’honnêteté oblige à reconnaître que l’actuel président n’est pas la cause de tous nos malheurs. Pourtant, consciemment ou non, il est « un accélérateur de toutes les tensions, de toutes les rancœurs, de tous les communautarismes qui, si nous ne faisons rien, risquent de détruire le socle commun ». Malgré l’insatisfaction croissante qui explose à travers la crise des Gilets jaunes, le « système » conserve son ancrage, faute de modèle alternatif. « Ce qui manque, c’est un truc crédible à mettre à la place du système, justement », reconnaissent au préalable les auteurs. Les 240 pages qui suivent vont s’appliquer à en débusquer les perversions et en imaginer les remèdes. La France, comme la plupart des démocraties occidentales, se trouve en panne de modèle : « Le problème, c’est que quarante ans d’individualisme forcené ne semblent pas avoir rendu les individus plus heureux. À part pour un petit nombre, c’est plutôt la déprime – voire la dépression – qui domine. Et à l’échec collectif des modèles ‘‘collectivistes’’ semble aujourd’hui faire écho la somme des échecs individuels produits par l’individualisme. » Juste diagnostic. Suivi d’un inventaire à la Prévert de tout ce qui foire. Pour bien des Français le travail, mal payé, mal considéré, n’est plus un vecteur de valorisation personnelle. Le chômage de masse fait barrage aux relations sociales et détruit des vies. Les pouvoirs publics, par idéologie, n’assurent plus des services publics de qualité (éducation, santé, sécurité…), provoquant la perte de confiance des individus et finalement une crise de légitimité des institutions. Les coupes sombres dans le budget et les hausses d’impôts, sous prétexte de réduire les déficits, ciblent toujours les catégories vulnérables, jeunes et vieux, fonctionnaires ou agriculteurs, chômeurs et migrants. Elles entretiennent la jalousie, un sentiment d’injustice devant les (faux) privilèges du voisin, tandis qu’explosent les écarts de fortune. « Chacun sa merde. »

Pareillement, l’écologie punitive à destination du populo masque en réalité l’hypocrisie environnementale de dirigeants qui laissent les multinationales responsables de 75 % des émissions de CO2 saccager la planète, ou négocient dans le secret des traités de libre-échange internationaux, intérêts financiers obligent. Les auteurs dénoncent encore l’individualisation des droits, ce sur-mesure qui encourage chacun à s’enfoncer dans sa bulle. Ainsi meurt le collectif et le sentiment d’appartenir à la même société. En matière d’individualisme devenu fou, le chapitre consacré au bien nommé « tribalisme 2.0 » (« Un.e.s pour tou.te.s et tou.te.s victim.e.s. »), qui brocarde le processus crétin de hiérarchisation des souffrances identitaires, est l’un des plus délectable et corrosif de l’ouvrage. Un bijou d’humour politiquement incorrect !

« Fautes de cadres communs, on en vient à bâtir des murs dans nos têtes, murs qui empêchent de se parler sans se traiter mutuellement de ‘‘facho’’ ou de ‘‘gaucho’’, de ‘‘beauf’’ ou de ‘‘bobo’’, de ‘‘raciste’’ ou ‘‘d’idiot utile du multiculturalisme’’, de ‘‘populiste’’ ou de ‘‘progressiste’’ » (Tatiana Ventôse et Greg Tabibian)

Mais la meilleure surprise de cette analyse sans langue de bois aucune, c’est la salve assassine tirée contre le militantisme politique routinier, responsable de cette incapacité des Français opposés au système – pourtant de plus en plus nombreux – à dialoguer, à s’écouter et à tenter de s’unir pour sortir de l’impasse où nous ont menés nos prétendues élites. « Fautes de cadres communs, on en vient à bâtir des murs dans nos têtes, murs qui empêchent de se parler sans se traiter mutuellement de ‘‘facho’’ ou de ‘‘gaucho’’, de ‘‘beauf’’ ou de ‘‘bobo’’, de ‘‘raciste’’ ou ‘‘d’idiot utile du multiculturalisme’’, de ‘‘populiste’’ ou de ‘‘progressiste’’ », résument Greg Tabibian et Tatiana Ventôse. Ils ne roulent à présent pour personne mais savent de quoi ils parlent. Ils ont eux-mêmes appris à se débarrasser de leurs préjugés pour engager ensemble une discussion constructive. De là sont nés une amitié, un combat, un mouvement politique – le « Mouvement V »[1], qui envisage de présenter une liste dès les élections européennes – et désormais ce livre.

100 propositions d’urgence

Tirer la sonnette d’alarme avec une irrévérence doublée d’un sens critique exacerbé, Tatiana Ventôse et Greg Tabibian le font chaque semaine sur leur chaîne YouTube respective. Mais pour eux, l’heure n’est plus au bilan des dégâts. Il faut agir pour reconstruire. Sous-titré Antidote au chaos politique, leur ouvrage comporte ainsi un programme politique riche. Une liste de 100 mesures à instaurer le plus vite possible pour remettre la France sur les rails après des décennies de dérégulation, de creusement des inégalités, de recul des services publics et de soumission à l’ordo-libéralisme européen. Qui devra le faire ? Tous ces citoyens qui sont capables de se « mettre autour d’une table » pour discuter et agir en faveur du bien commun. Une sorte de Conseil National de la Résistance du XXIe siècle, en somme. La partie n’est pas gagnée mais ce livre veut être l’électrochoc.

Que trouve le lecteur dans la troisième partie, intitulée « Reconstruire le pays » ? Des actions à mener dans tous les domaines, des suggestions personnelles qui ne constituent pas une feuille de route exhaustive ni inconditionnelle. On y trouve des mesures de subsistance (hébergement des SDF et rénovation des logements, revalorisation du SMIC, des retraites et des allocations adultes handicapés…) ou de justice sociale (limitation de 1 à 15 des écarts de salaire en entreprise) ; un encouragement à l’agriculture biologique, la réduction de l’empreinte carbone de la France et des déchets, un plan de reforestation ; des moyens supplémentaires pour les forces de l’ordre, la justice et les hôpitaux ; le retour des services publics en milieu rural et un soutien aux commerces de proximité… Pour financer ce grand projet, Tatiana Ventôse et Greg Tabibian proposent notamment une remise à plat de la fiscalité, la suppression des niches fiscales non justifiées, l’encadrement de l’optimisation fiscale et la lutte contre la fraude… En ces temps de grande braderie du patrimoine national, ils prévoient l’inscription dans la Constitution de l’incessibilité des biens nationaux (les grandes infrastructures du pays). Le programme s’intéresse aussi à la liberté de la presse (limitation de la concentration des titres de presse, revalorisation du statut de pigiste, mesures en faveur du pluralisme…) et une meilleure protection des lanceurs d’alerte. Il y a matière à bien des débats, chacun jugera de la pertinence des propositions, mais aucune grande thématique publique n’est exclue. Et l’Europe, d’ailleurs ? Quitter l’Union européenne n’est qu’une option, à activer après référendum si la mise en œuvre des mesures nécessaires à la reconstruction du pays se heurte à la législation communautaire… De même, un plan de préparation de retour au franc est envisagé si la zone euro ne peut éviter l’éclatement. Aucune option n’est donc écartée, pour peu qu’elle serve l’intérêt de la nation française et mette enfin le système « en PLS ». Ni sectarisme, ni idéologie, ni renoncement, tels pourraient être les principes du Mouvement V.

 » L’ouvrage comporte un programme politique riche. Une liste de 100 mesures à instaurer le plus vite possible pour remettre la France sur les rails après des décennies de dérégulation, de creusement des inégalités, de recul des services publics et de soumission à l’ordo-libéralisme européen. »

Jusqu’ici tout va (très) mal n’est pas la synthèse de la pensée personnelle de deux citoyens engagés. Encore moins la chronique satyrique d’une élite politico-médiatique décadente. Ce livre est un authentique manuel de « re-politisation », une arme de combat qui mériterait de circuler entre les mains de tous ceux qui croient encore en la démocratie.


Référence : Tatiana Ventôse, Greg Tabibian, Jusqu’ici tout va (très) mal. Antidote au chaos politique, Paris, Plon, 2019, 253 pages. Prix éditeur : 17 EUR.


Note :
[1] Page officielle du « Mouvement V » : https://mouvement-v.fr/

Auteur : Gabriel Bernardon

Geek qui se soigne. Attraction-répulsion pour la politique. J'aurais voulu être un poète.

Un commentaire

  1. Vieux-con matérialiste anticapitaliste invétéré, je ne peux que ressentir passer un petit air frais quand je vois des moins-vieux se repolitiser, suite à des décennies d’un désert politique, syndical et intellectuel. C’est pour ne pas me résigner à ce désert que j’avais rédigé quelques textes dont certains sont sur le blog. Créer un nouveau parti? Oui, pourquoi pas, au point où on en est, un de plus un de moins…Mais, Parti ou non, si ce courant de pensée vise la constitution d’un CNR du XXI° , c’est qu’il saisit bien la nécessité de reconquérir souverainetés populaire et nationale, indépendance et –un peu– de démocratie…ce qui est interdit fondamentalement par l’appartenance à l’UE. Un nouveau CNR dont le programme ne s’appuierait pas sur la sortie de l’UE et de l’euro (et de l’OTAN…) resterait lettre morte. Les « nouveaux collabos » de la nouvelle « souveraineté européenne » (voir sur le blog: « Sors d’ici Jean Moulin ») nous montrent cyniquement le chemin (de Vichy…) en créant, par la seule volonté du petit mac, une « zone transfrontalière » franco-allemande: salut, Poilus! Salut, Résistants! Vous n’étiez que des réactionnaires attardés: la souveraineté européenne c’est –« en même temps »!– l’avenir de la France (sont pas morts Laval et Pétain?) et c’est la fin des nations et des peuples au nom de la liberté des financiers, enfin débarrassés de ces entraves nationales périmées.
    Donc: oui pour un nouveau CNR, plus social, plus progressiste, plus radical. Il convient d’y penser, il est nécessaire de le préparer et certaines assemblées de gilets jaunes pourraient lui donner une poussée significative. Aujourd’hui ou demain…
    Méc-créant.
    (Blog: « Immondialisation: peuples en solde! »)

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