Un mythe politique français. S’il en est bien un, que le sous-titre du livre souligne, c’est en effet le jacobinisme. L’excellente collection Questions républicaines des PUF, que dirige Jean-Numa Ducange, propose un décryptage bienvenu du concept, usé jusqu’à la corde à tort et à travers. Deux historiens, rattachés à l’Université Paris-1 Panthéon Sorbonne, balaient donc les deux siècles et demi qui nous séparent de l’apparition de ce courant politique qui continue à faire couler beaucoup d’encre et de salive.

La première partie de l’ouvrage se concentre à juste titre sur la séquence historique d’apparition du jacobinisme, issu du Club breton né pour sa part en 1789. Guillaume Roubaud-Quashi et Côme Simien, s’emploient à remettre les choses à leur place, notamment en ce qui concerne l’assimilation erronée la plus rabâchée, concernant le centralisme dont le jacobinisme serait l’incarnation la plus chimiquement pure. La réalité est bien plus complexe que celle décrite par des esprits savants, intellectuels ou journalistes qui, en recourant de manière mécanique à cet amalgame, en disent plus sur leur propre paresse que sur la vérité historique qu’ils prétendent décrire avec le ton péremptoire de celui qui sait. Mais trop attachés à leurs certitudes, on doute qu’ils prennent la peine de se plonger dans ce livre. Roubaud-Quashie et Simien résument bien la situation : « Ce prêt à penser n’appelle nulle argumentation, aucune explication ».

Après avoir minutieusement décortiqué le jacobinisme, dont ils démontrent qu’il « n’existe pas comme idéologie », nos deux auteurs s’attachent à identifier les sources de l’appréciation négative du phénomène. Jacobin ne signifie pas seulement « centralisme » dans l’imaginaire collectif forgé par deux siècles et demi d’interprétations plus ou moins fantaisistes, mais aussi dictature, violence, autoritarisme et bien d’autres qualificatifs du même tonneau. Comme souvent s’agissant de la légende noire qui accompagne la Révolution française, les écrits de l’abbé Barruel ont joué un rôle important pour la suite. Dans ses Mémoires pour servir à l’histoire du jacobinisme, ce héraut de la Contre-Révolution a élaboré dans les dernières années du XVIIIe siècle « un système d’explication global du phénomène révolutionnaire qui plaçait les Jacobins et le jacobinisme au cœur absolu du mal politique ». Selon lui, la Révolution était le fruit de conspirations préparées très en amont par trois courants : les philosophes des Lumières, les loges maçonniques et enfin les « sophistes de l’impiété et de l’anarchie ». Il fait même remonter l’origine de cette conspiration à Jacques de Molay, soit 400 ans avant 1789. Ce complotisme farfelu pourrait prêter à sourire s’il n’avait pas emporté l’adhésion de plusieurs générations de commentateurs de la séquence historique.

Très vite, dès qu’une perturbation politique se produit, les Jacobins en sont les responsables. Ainsi, par exemple, l’attentat de la rue Nicaise contre le premier consul Bonaparte en 1800, dont on sait qu’il est l’œuvre de royalistes, est attribué aux Jacobins. Tout au long du XIXe siècle, les héritiers du jacobinisme se verront ainsi à de nombreuses reprises accusés de méfaits, de complots ou de violences qui ne leur sont pourtant pas imputables. Ils deviennent des cibles faciles et la mémoire collective aura retenu bien davantage la « terreur jacobine » que la « terreur blanche », son double inversé, qui naît en 1814. Allez comprendre : dans la France républicaine de ce début du XXIe siècle, l’Ancien Régime et ses partisans ont bien souvent meilleure presse que la Révolution française et ceux qui s’en proclament les héritiers.

Jaurès avec Robespierre

Roubaud-Quashie et Simien accomplissent un travail utile pour expliquer ce « haro » sur les Jacobins tout au long du XXe siècle. Plusieurs phases se succèdent. Si durant la Résistance par exemple, la référence aux soldats de l’an II et à la convention montagnarde revient fréquemment, si avant, et surtout après-guerre, le Club des Jacobins enregistre un succès réel, la lecture de l’épisode révolutionnaire sera tout autre par la suite. S’agissant du Club des Jacobins, qui existe toujours mais à dire vrai aux effectifs actuels très réduits, il rassemblait quelque 2 000 membres en 1956, au sommet de sa gloire, avec un journal tirant à 20 000 exemplaires. Il eut comme figures Jacques Mitterrand avant-guerre, Charles Hernu dans les années 1950 et 1960 et on y rencontrait des radicaux et des socialistes qui n’avaient pas peur de revendiquer la filiation avec la Première République. Il est vrai que Jean Jaurès avait ouvert la voie, dans sa monumentale et trop négligée Histoire socialiste de la Révolution française, parue au tout début des années 1900, qui contient cette phrase éloquente : « Sous ce soleil de juin 93 qui échauffe votre âpre bataille, je suis avec Robespierre et c’est à côté de lui que je vais m’asseoir aux Jacobins ».

La légende noire du jacobinisme allait retrouver une grande vigueur à partir des années 1970 et plus encore durant la période du Bicentenaire. L’historien François Furet, ancien communiste devenu libéral, membre du cabinet du ministre de l’Éducation Edgar Faure à la fin de la présidence De Gaulle, fut un acteur essentiel de cette entreprise, en exhumant notamment les écrits d’un historien monarchiste du début du XXe siècle, Augustin Cochin, promoteur de l’idée d’une « machine révolutionnaire » relevant d’un conspirationnisme digne de Barruel. Ayant ses entrées au Nouvel observateur, Furet bénéficia d’une audience considérable dans les années 1980 et emmena avec lui une cohorte de disciples venus de la gauche : « Libertaires et libéraux, dans une sorte de Charléty historien qui se cherche, font feu ensemble : Haro sur les Jacobins ! (…) En deux décennies, l’offensive antijacobine menée par des intellectuels de gauche semble tout emporter sur son passage, envoyant ad patres les mânes des Jacobins ».

« On ne saurait trop conseiller la lecture de ce livre, ne serait-ce que pour tenter d’endiguer les interprétations erronées sur le jacobinisme qui, par-delà des postures idéologiques, rendent un bien mauvais service à la vérité des faits historiques »

Cette offensive venue de la gauche rencontre celle engagée par les courants de droite ouvertement nostalgiques de l’Ancien Régime, trop heureux de voir une partie du camp adverse les rejoindre dans la détestation de la Révolution française à grand renfort de caricatures dont les Jacobins font en tout premier lieu les frais. Philippe de Villiers, déjà, fut d’un activisme redoutable à cette période, accompagné par des historiens monarchistes qui trouvèrent un puissant écho, amplifié par une presse conservatrice relayant les fadaises sur le « génocide » vendéen et plus généralement « pour en finir avec la Révolution française, tout simplement », comme l’affichait Louis Pauwels dans Le Figaro Magazine. Les milieux catholiques intégristes ne furent pas en reste et l’extrême droite non plus, tel un Bruno Gollnisch proposant même une filiation Robespierre-Marx-Hitler, comme le relèvent nos deux auteurs. On ne saurait trop conseiller la lecture de leur livre, ne serait-ce que pour tenter d’endiguer les interprétations erronées sur le jacobinisme qui, par-delà des postures idéologiques, rendent un bien mauvais service à la vérité des faits historiques. Dans une période caractérisée par une virulente résurgence du complotisme, la mission de Roubaud-Quashie et Simien est bien de salut public.

Philippe Foussier.

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