Après avoir été condamné à une peine d’emprisonnement ferme de cinq ans pour association de malfaiteurs avec mandat de dépôt différé à exécution provisoire, Nicolas Sarkozy a été incarcéré à la prison de la Santé mardi 21 octobre. Son emprisonnement a donné lieu à un narratif parfaitement rodé de la part de ses soutiens et à une solidarité de la part d’anciens ministres. Retour sur une séquence politique qui en dit beaucoup sur l’état de notre démocratie avec Maître Vincent Brengarh, avocat de l’association Sherpa, de l’une des partie civiles dans cette affaire.
Propos recueillis par Ella Micheletti-Huertas.
Voix de l’Hexagone: Nicolas Sarkozy est arrivé à la prison de la Santé avant-hier, mardi 21 octobre. Dans les jours qui ont précédé, on a observé une mise en scène objectivement victimaire, médiatique et politique, sur les réseaux, de la part des militants, de certains anciens ministres ou même du président de la République. Que vous inspire un narratif de la sorte ?
Maître Vincent Brengarth : J’avais la faiblesse de croire que la lecture des éléments de la motivation par le tribunal allait donner un cadre normé et factuel. Après, évidemment, on peut ne pas être en accord avec la question de l’application de certaines infractions, mais cela est commun à toutes les procédures. Ce qui est problématique, c’est que nous sommes face à un contre-discours d’une puissance inédite pour convaincre du caractère illégal de cette décision, au sens où elle obéirait à des finalités occultes. Pour ceux qui ont assisté à la totalité de l’audience, c’est totalement extravagant. Il y a une absence de correspondance avec la réalité de l’audience. Ce contre-discours n’obéit à aucune règle et cherche à implanter une autre réalité. Cette dernière est déjà très embarrassante du point de vue de ce à quoi nous avons assisté au cours des débats. Et elle l’est d’autant plus au vu de la capacité de tout un système médiatique de donner corps à cette autre réalité.

On en vient presque à se demander dans quel univers on se trouve. C’est-à-dire que la force d’impression de ce contre-discours et de cette autre réalité est telle qu’il faut véritablement en revenir aux faits, en revenir à la procédure, pour conserver un tant soit peu de stabilité. Sinon, il y a un risque de se retrouver emporté.
Je peux comprendre aussi que certaines personnes se laissent entraîner par les arguments tels qu’ils sont présentés. Rares sont les antennes et rares sont les cas dans lesquels il y a vraiment cette parole contradictoire qui s’exprime.
Durant et après le procès, comment avez-vous appréhendé ces réactions mettant en cause l’institution judiciaire ? Que révèlent-elles selon vous de l’état de notre démocratie ?
Je pense qu’il y avait une particularité avec ce dossier : il y a eu tout un discours médiatique, ou en tout cas tout un discours de défense, relayé souvent complaisamment, pour soutenir le fait que le dossier serait vide. On a senti, une sorte de latence, si je puis dire, en début d’audience. Un certain nombre de journalistes ne savaient pas vraiment ce qu’il en était. Et l’impression produite par l’idée répétée que le dossier était vide suggérait qu’assez rapidement, l’audience allait révéler ses lacunes. Cet état de latence a persisté plusieurs semaines durant.
Il y a eu une sur-présence médiatique en début de procès. En revanche, les médias sont beaucoup moins nombreux à avoir assuré une présence de fond quotidienne lors des différentes audiences, donc à avoir pu répercuter ce qu’il s’y disait. Ceux qui ont assisté à l’audience ont très bien perçu, au-delà même de la question des qualifications pénales, le caractère tout à fait sérieux de ce qui était en train de se dire, notamment au sujet de ces rencontres de Abdallah Senoussi avec des proches de Nicolas Sarkozy (Claude Guéant et Brice Hortefeux).
« Il y a eu une sur-présence médiatique en début de procès. En revanche, les médias sont beaucoup moins nombreux à avoir assuré une présence de fond quotidienne lors des différentes audiences, donc à avoir pu répercuter ce qu’il s’y disait. »
Me Vincent Brengarth
L’électrochoc a eu lieu au moment du réquisitoire. Tout le monde a pris conscience de l’importance judiciaire du dossier à ce moment-là. Et plus encore au moment du délibéré. Personnellement, je pensais que cette décision, parce qu’elle était extrêmement motivée, était la réponse apportée aux critiques au début du procès, à savoir la suggestion que le dossier serait vide et que les juges seraient mus par la partialité. Mais, très honnêtement, je ne m’attendais pas à cette puissance de feu médiatique. On a l’impression qu’elle balaie tout. Elle rend quasiment accessoire la question de la réalité judiciaire. De plus, cette nouvelle réalité est aussi la somme d’un ensemble d’incohérences, de positions de personnalités qui en appellent généralement à la fermeté judiciaire.
Il semblerait que ces deux arguments, la présomption d’innocence et un soit disant gouvernement des juges reviennent en particulier quand ce sont des hautes personnalités qui sont jugées ou condamnées. Or, les élites sont censées être aussi irréprochables que les autres citoyens. Quel est votre avis, en fait, sur ce supposé gouvernement des juges et l’utilisation de la présomption d’innocence ?
Je pense qu’on a rarement vu un dossier public et médiatique où on a autant rappelé à quel point la présomption d’innocence devait être respectée. Généralement, il y a plutôt une règle inverse. On garde en mémoire des expressions de ministres de l’Intérieur successifs qui évoquent systématiquement des condamnations. Ce rappel systématique de la présomption d’innocence tranche quand même avec ce qu’on a pu voir de façon habituelle.
Maintenant, je suis d’accord sur le fait qu’évidemment, il s’agit d’un principe fondamental. Et lorsqu’on dit que Nicolas Sarkozy n’est pas au-dessus des lois, il ne doit pas non plus être au-dessous. Néanmoins, on a le sentiment que le principe de la présomption d’innocence sert un peu de cheval de Troie, de véhicule à une critique d’ordre organique. Ce n’est pas une présomption d’innocence qui se nourrit uniquement d’un débat actuel mais qui s’attaque à l’idée même de justice. Or, il n’y a pas de présomption d’innocence qui vous prémunisse de l’appareil judiciaire en lui-même.
« On a le sentiment que le principe de la présomption d’innocence sert un peu de cheval de Troie, de véhicule à une critique d’ordre organique. Ce n’est pas une présomption d’innocence qui se nourrit uniquement d’un débat actuel mais qui s’attaque à l’idée même de justice. »
Me Vincent Brengarth
S’il y a une présomption d’innocence avec des conséquences du point de vue de l’appareil judiciaire lui-même, c’est par exemple dans le cadre des requêtes en récusation. Dans ce dossier où l’on vient critiquer la partialité des juges, on note qu’à aucun moment, la défense n’a soutenu des requêtes en suspicion légitime. Si elle avait estimé que la juridiction était dans un cas de partialité, alors il y avait des outils légaux pour faire valoir cette partialité. Toutefois, ils n’ont pas été utilisés. Je pense que n’importe quel citoyen qui possède un tant soit peu de bon sens peut quand même s’interroger : pourquoi n’est-on pas venu démolir les développements de l’enquêteur si on considère, une fois que l’audience est terminée, que la procédure est politique ?
Avancer le caractère politique de la justice sans chercher à le démontrer devant une juridiction donne le sentiment de vouloir atteindre un résultat tout en sachant qu’on n’a pas les moyens de l’obtenir. S’ajoute à cela le fait qu’on est face à un dossier complexe, comme le sont d’autres dossiers en matière d’anticorruption. On joue aussi énormément sur le manque d’information du public, quand ce n’est pas de la pure désinformation.
J’étais présent pendant la quasi-totalité des jours d’audience. Le processus que j’ai vu se dérouler était respectueux. Moi-même, je posais des questions à Nicolas Sarkozy et il répondait. Après, se pose la question de savoir si on est convaincu ou pas par les déclarations. Mais il y a quand même cette participation au processus judiciaire qui me semble être difficilement conciliable avec l’idée que, dès le départ, on aurait considéré de toute façon que les jeux étaient faits.
Les soutiens de Nicolas Sarkozy distillent également l’idée que le monde de la justice serait de gauche, donc partial. Qu’en pensez-vous ?
Ils ont une vision déformée de la réalité. Si on se réfère à des appartenances supposées à des syndicats qui seraient considérés comme étant à gauche, ce n’est pas du tout la majorité des magistrats qui composent l’ordre judiciaire.
Par ailleurs, nous vivons dans un pays avec une surpopulation carcérale structurelle. Il suffit d’aller assister aujourd’hui à une audience de comparution immédiate pour ne pas voir de « juges rouges ». Concernant les statistiques, 85% des peines supérieures à cinq ans d’emprisonnement font l’objet d’un mandat de dépôt ou d’une exécution provisoire. En réalité, l’affaire Sarkozy nous dit énormément de choses. C’est une affaire qui nous révèle beaucoup le fonctionnement de notre monde médiatique et sa capacité à créer de la désinformation. Elle montre aussi notre capacité à venir protéger nos juges, parce que je rappelle qu’ils ont été menacés. Évoquer une justice partiale permet aux politiques jugés de déplacer le curseur, en présentant le juge comme son ennemi idéologique. Et à partir du moment où ils le présentent comme tel, ils le font évoluer sur un terrain qui n’est pas le sien. Parce que le terrain du juge, c’est le droit. En même temps, le politique contraint l’opinion par les mots. Par ce message médiatique, on suggère qu’on serait dans un rapport d’adversité avec le juge. Sauf que ce n’est pas un rapport d’adversité mais un rapport avec un pouvoir indépendant, qui doit avoir une capacité de contrôle pour tous les justiciables.
Cette réaction d’hostilité d’une caste en place ne peut-elle pas se retourner contre elle dans le sens où certains citoyens prendraient justement conscience d’un instinct de préservation de classe et s’en trouveraient offusqués ?
Je pense qu’on en revient à ce que je disais précédemment, à savoir que le juge est perçu comme un adversaire politique, qui fait mettre un genou à terre. Nous sommes quasiment dans une forme de mythologie. On véhicule l’idée qu’il fait mettre un genou à terre aux politiques qui, eux, n’agiraient que dans le sens de l’intérêt général. Certains font donc de Nicolas Sarkozy une sorte de figure de martyr. On le voit très bien avec la comparaison qui est faite avec le comte de Monte-Cristo… On assiste à une démonstration de force d’un système qui se sent menacé. Et parce qu’il se sent menacé, il renforce la solidarité de ses membres. Chacun joue sa partition dans ce renforcement et dans cette solidarité du système, mais avec peu de considération sur le prix de cette désinformation. La désinformation est un moyen de solidarité de membres d’un corps qui se sent menacé, mais qui n’a aucune considération sur les effets que cela peut entraîner pour le citoyen qui, lui, n’est pas doté de ces outils. Pour une partie des citoyens, l’affaire va venir renforcer une exigence d’exemplarité. Pour une autre, je suis moins optimiste. Je pense également qu’il y a toute une partie de la population qui est convaincue par ce discours médiatique.
« On assiste à une démonstration de force d’un système qui se sent menacé. Et parce qu’il se sent menacé, il renforce la solidarité de ses membres. »
Me Vincent Brengarth
Pourtant, la justice anticorruption a pu évoluer dans le bon sens, après des décennies d’impunité et de clémence. On observe qu’elle devient vraiment opérante. Mais cette justice ne peut pas être opérationnelle si elle n’est pas soutenue par l’opinion, et au moins par une partie de l’appareil médiatique. Sans cela, son effort d’indépendance et sa prise de risque par rapport à la menace qu’elle peut représenter pour une caste se retrouvent immédiatement affectés par la réaction de ce corps.





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