Le magazine Forbes le répète : Poutine est encore l’homme le plus puissant de la planète (rien que ça !) en 2015. Il l’était déjà en 2014. Si la notion de puissance se révèle protéiforme et bien que d’autres acteurs, tel que la Chine, l’Inde ou l’Allemagne, fassent la pluie et le beau temps politiquement dans de grandes régions du monde il est toutefois difficile de nier la place centrale de la Russie. L’État se veut sur tous les fronts : en Israël, en Ukraine, en Iran, en Syrie, et surtout…en Russie.
Poutine est partout. À la belotte mondiale, il joue ses cartes et semble détenir le valet à chaque fois. La faute à des concurrents trop indolents ? Les États-Unis, noyés dans leur indécision, cherchent assidument tout nouveau groupe de « rebelles démocratiques » à armer en Syrie, comme un assoiffé cherche une oasis dans le désert ; une quête désespérée pour mieux éviter d’aider directement ou même indirectement Bachar Al Assad. La France, quant à elle, commence à trouver sa position antirusse inconfortable.
Hollande refuse pourtant d’admettre la nécessité d’une « alliance de circonstance » avec le dirigeant russe, même si des politiques de tous bords en revendiquent l’utilité tel que Fillon, Chevènement… Son blocage au nom du caractère autoritaire de la Russie ne sert toutefois pas à faire remonter sa côte de popularité : entre 15 et 28 % selon les sondages. Poutine, en revanche, fait figure de combattant du terrorisme pour une partie importante de son peuple.
Cependant, la crash d’un avion russe dans le Sinaï pourrait bien relancer le jeu. Et c’est là que l’illogisme accourt. D’un point de vue de la Realpolitik stricto sensu, Poutine aurait sans nul doute un coup à jouer : 144 morts, quelle meilleure raison pour légitimer son action en Syrie ? Si les sources se contredisent sur les véritables cibles de la Russie, Daech avait déjà prévu, pour sa part, de terribles représailles contre le géant russe. De plus, ce groupe islamiste n’a pas pour habitude de revendiquer des attentats qui ne sont pas de son fait. Vanité islamiste quand tu nous tiens ! Mais Poutine n’a cure de cette possibilité. Vanité russe quand tu nous tiens ! En appeler à la sûreté des russes et de la Russie ? Admettre la faillibilité de son pays, du hard power de ce dernier ainsi que ses propres doutes ? Refus net. Cet orgueil mal camouflé, cette incapacité (feinte ?) d’envisager une attaque terroriste seraient en mesure de lui faire perdre crédibilité sur la scène mondiale comme nationale.
Le peuple russe a désormais deux choix qui s’offrent à lui : soit il juge plausible la théorie de son dirigeant. Soit ce n’est pas le cas et il se sentira floué, d’autant plus que seul le président russe et l’Égypte soutienne officiellement la thèse de l’accident. On pourrait cependant estimer que reconnaître l’attentat équivaudrait à questionner la stratégie des russes en Syrie. Mais cet argument peut être contrecarré. Bon nombre de ses opposants comparent Daech (à tort ou à raison mais c’est un autre débat) au nazisme ou autre idéologie dictatoriale. Or, on n’a jamais vu une seule forme de barbarie faiblir et disparaître parce qu’on l’a caressé dans le sens du poil, bien au contraire. Alors pourquoi « l’homme le plus puissant du monde » se sent-il obligé de travestir la vérité ?