Marine Le Pen a lancé il y a quelques années une entreprise de dédiabolisation. Le but ? Déringardiser le parti. Le normaliser aux yeux des gens. Le mouvement Bleu Marine, lancé en 2012, a attiré de nouveaux électeurs, parfois très jeunes, qui n’osaient franchir le pas à cause d’un Jean-Marie Le Pen incontrôlable.
« Une concurrence dans la dangerosité » s’observait déjà du temps de Jean-Marie Le Pen : sa fille semblait plus à craindre que lui. Plusieurs critères étaient avancés. D’abord sa jeunesse. Dans un parti où l’archétype reste, dans l’imaginaire collectif, un homme d’un certain âge. Marine Le Pen n’avait en effet que 43 ans quand elle a été élue présidente du Front National en 2011, en récoltant 67,65% des voix face à un « vieux de la vieille » Bruno Gollnisch, âgé de plus de 60 ans. Choc des générations quand tu nous tiens. En outre, Marine Le Pen est une femme. Certes, le sexe ne devrait pas compter, seules les idées et les valeurs revendiquées sont censées pousser au vote. Mais cela relève de l’idéalisme. Comme le rappelle le sociologue spécialiste de l’extrême-droite Sylvain Crépon, Marine Le Pen est une femme divorcée, qui vit avec Louis Alliot sans être mariée, dans une famille recomposée. Cette situation « moderne » a pu froisser les éléphants du FN mais également séduire des franges plus jeunes, y compris des femmes. Alors féministe Marine Le Pen ? Non. Mais une femme qui vit avec son temps. Et ça marche, parfois. Elle a ainsi élargi son électorat qui a raisonné par analogie. De nombreux spécialistes estiment que rien n’a changé sur le fond. Mais sur la forme, la présidente a une image plus policée. Pour harponner le plus d’électeurs différents, il faut parfois se taire.
Dédiabolisation à la Marine
Depuis, Marine Le Pen a entrepris un processus de « dédiabolisation » visant à rendre plus « fréquentable » son parti. Comme si l’on passait d’une tapisserie noir corbeau à des fleurs aux couleurs pétulantes. Un travail de forme et de communication finement rodé. Finies les déclarations d’un autre temps. Finies les propos outranciers sur les « détails de l’Histoire », les « on fera une fournée la prochaine fois » (Jean-Marie Le Pen en évoquant Patrick Bruel). La forme doit être lisse. Même si le fond reste similaire. S’inscrire dans une lignée inverse du père, renier ce dernier et même le répudier politiquement. Tous les moyens sont bons pour cette entreprise de dédiabolisation. De plus, si le Front National n’est pas favorable au mariage homosexuel, il s’est abstenu de manifester contre, du moins sa présidente. C’est là que la nièce rentre en jeu.
Marion, plus traditionaliste que sa tante
Sous les mêmes traits du visage et la même blondeur se cachent en réalité deux femmes sensiblement différentes politiquement. Marion Maréchal-Le Pen se distingue depuis longtemps de sa tante, que cela soit sur les idées hautement revendiquées que sur la forme qu’elle emploie pour cela. Rien que personnellement, les divergences se font sentir. Face à une tante ancienne fêtarde, Marion Maréchal-Le Pen cherche à donner une image d’enfant sage, voire même de vertueuse. Pas de passé « olé-olé » mais un parcours de « sainte », enfin c’est du moins ce qui ressort. Marion Maréchal-Le Pen apparaît également plus traditionaliste et réactionnaire que sa tante. Ses positions sociétales sont d’ailleurs davantage marquées. Défiler avec la Manif pour tous ? Marion (1). Prendre la parole à l’Assemblée Nationale contre le mariage homosexuel ? Marion. Promettre l’arrêt des subventions au Planning Familial si elle emporte la région PACA ? Marion. (2) Des positions extrêmes qui font beaucoup plus penser à l’ancienne génération du Front National. Tout cela avec une jeunesse éclatante et une fraîcheur qui jouent des rôles non négligeables. Autre différence de taille : les racines chrétiennes. Marion Maréchal-Le Pen ne cesse de les mettre en avant. Habile calcul qui peut lui attirer des voix.
Valeurs chrétiennes et conservatisme sociétal
Dans un pays fracturé, livré à des attaques contre ses valeurs essentielles et en mal d’identité, ce discours unificateur autour des valeurs chrétiennes tombe à pic. Les autres partis se sont immédiatement mis en porte-à-faux face à ces revendications chrétiennes. Même si personne d’intellectuellement honnête ne nie en effet le poids historique de seize siècles de christianisme dans l’Histoire et dans la construction de l’État. Mais Marion Maréchal-Le Pen va bien plus loin : elle place le christianisme au-dessus des autres religions, remodelant là complètement la laïcité telle qu’on l’a conçu depuis 1905. Cet étendard chrétien qu’elle souhaite porter se heurte au schéma de sa tante, laquelle évoque moins souvent le sujet. Marion Maréchal-Le Pen fait un demi-tour idéologique par rapport à la présidente du Front National. Au fond, elle tend bien davantage les idées de son grand-père, dont elle est proche. Sauf qu’avec elle, jeune, souriante et évitant les outrances, les idées passent. Surtout face à des jeunes assoiffés idéologiquement. Au second tour des Régionales, le projecteur médiatique a été braqué sur Christian Estrosi qui l’a emporté sur sa rivale, avec 55 % des voix. 55 % des voix avec la droite, le centre et la gauche derrière lui. Marion Maréchal Le Pen a perdu, avec un peu de 45 % des voix, à elle toute seule. Détail ? Sûrement pas. Et c’est là le plus inquiétant.
Notes :
(1) « Marion Maréchal-Le Pen, plus radicale que sa tante Marine », trt.net, 3 décembre 2015.
(2) « Marion Maréchal-Le Pen part en guerre contre le planning familial », lexpress.fr, 27 novembre 2015.