Le dernier ouvrage du grand reporter David Revault d’Allonnes (Le Monde) a paru en librairie il y a deux mois jour pour jour. Cela semble une éternité, tant les attentats survenus le 13 novembre dernier ont profondément changé le cours de la politique française. Loin d’être dépassé par l’accélération des évènements dramatiques, Les Guerres du Président (1) éclaire brillamment le tournant militaro-sécuritaire de la gauche durant le quinquennat Hollande.
D’une telle plongée dans le centre de décision militaire français, il serait loisible de ne retenir que l’instrumentalisation de la lutte antiterroriste par le Président de la République. Pourtant, la part inévitable de politique politicienne n’est pas ce qui marque d’emblée le lecteur des Guerres du Président. Derrière l’opportunité que constituait l’intervention militaire Serval au Mali pour redorer le blason d’un chef d’État en manque de stature, se trame un bouleversement bien plus profond de la prise de décision diplomatique. Les interventions armées de la France depuis 2013 furent accompagnées d’une lutte de pouvoir entre le Quai d’Orsay, l’état-major des armées et le ministère de la Défense. Le rapport de force a clairement basculé en faveur du dernier. S’appuyant sur le loyal et indispensable Jean-Yves Le Drian – qu’entourent d’autres « faucons » (Cédric Lewandowski, son directeur de cabinet, mais aussi Manuel Valls et Bernard Cazeneuve) – François Hollande a opéré la mainmise du politique sur le militaire en amadouant le très conservateur Général Benoît Puga. Chef d’état-major de la présidence la République, ce dernier avait été engagé en 2010 par Nicolas Sarkozy. La première des révolutions fut ainsi une révolution de palais, qui mit sur la touche un Laurent Fabius dépossédé des dossiers africains et moyen-orientaux. Préservés des mouvements opérés en coulisses, les Français découvrent avant tout un chef d’État déterminé et volontiers « va-t’en guerre ».
De l’indolente indifférence à l’action ferme
David Revault d’Allonnes s’est entretenu à plusieurs reprises avec François Hollande et les membres de son gouvernement, ainsi qu’avec d’anciens ténors socialistes. La confrontation des témoignages avec les faits ne permet pas d’expliquer parfaitement l’attrait soudain du Président pour le domaine militaire, mais l’enquête esquisse des pistes sérieuses. Quoique l’ancienne figure de proue de la Corrèze eût jadis perçu le poids de l’armée et de ses infrastructures dans l’économie locale (cf. les enjeux autour de l’avenir du 126e RI basé à Brive-la-Gaillarde), les questions militaires et diplomatiques lui étaient étrangères, pour ne pas dire totalement indifférentes. Lui, l’apparatchik du Parti socialiste, n’a de passion que pour la tactique politique et le jeu électoral, rappelle l’auteur. Les grandes questions internationales ne l’ont semble-t-il saisi qu’à son arrivée à l’Élysée.
La conversion de l’ex-premier secrétaire socialiste en chef des armées proactif résulte sans doute de sa découverte des atouts d’une bonne hiérarchie militaire. Alors que sa politique économique et sociale s’enlise à force de renoncements, de compromissions et de velléités, l’ordre passé aux armées est exécuté sans atermoiements par des officiers ravis d’être sollicités. Le contraste est saisissant. Il galvanise le Président. François Hollande découvre la facilité du déclenchement des hostilités et ne cille pas lorsqu’il s’agit de faire prendre un risque aux hommes sur le terrain. Dans les premières phases de la guerre au Mali, Hollande va jusqu’à bousculer l’état-major et passer outre la prudence des officiers : il veut que la France frappe fort et vite. Il souhaite obtenir des résultats tangibles immédiatement. À l’opération Serval 1 succédera Serval 2, puis Barkhane (habillage de communication pour ce qui n’est autre qu’un Serval 3) et Sangaris en Centrafrique. Dans la lutte qu’il entend mener contre le terrorisme en Afrique, le Président Hollande, en rupture avec ses prédécesseurs directs, autorise sans complexe les assassinats ciblés (les opérations Homo, pour « homicides »). Et lorsque la France est frappée sur son sol, comme à Paris le 7 janvier 2015, il prend les devants : il se rend sur les lieux sans crainte d’un sur-attentat et, quarante-huit heures plus tard, supervise sans trembler les opérations du RAID contre les terroristes retranchés à l’imprimerie de Dammartin et dans l’hyper-casher de la Porte de Vincennes. Aux commandes des forces françaises, plus de président mou : un « tueur » s’affirme. C’est une révolution personnelle. Pour qui file la métaphore, le Hollande guerrier serait le prolongement du conquérant politique.
La conversion du Parti socialiste à la rhétorique martiale
Il y a les actes : les fameuses « opex » (opérations extérieures) et la lutte antiterroriste sur le sol de métropole. Il y a aussi les mots. Pour justifier l’intervention au Mali en janvier 2013, François Hollande brise les tabous du PS et adopte une rhétorique de guerre. Son quinquennat sonnera le glas du socialisme pacifique et antimilitariste. David Revault d’Allonnes évoque cette scène significative vécue en juin 2015, au congrès du PS à Poitiers : les vidéos projetées des interventions françaises en Afrique et le décollage des rafales trouvent pour écho les applaudissements des militants. Voilà donc la dernière révolution, culturelle celle-ci. Manuel Valls et sa « guerre de civilisation » est au diapason d’un François Hollande qui se laisse aller, le temps d’une cérémonie en l’honneur des héros américains de l’attentat manqué du Thalys, à l’évocation très néo-con’ de la lutte du « bien » contre le « mal ».
Plus aucune digue idéologique ne peut empêcher celui que l’auteur surnomme dans son ultime chapitre « François Homeland » d’accepter et de faire accepter la loi sur le renseignement, votée à l’été 2015. Ni les griefs des ONG, ni les inquiétudes d’une personnalité comme le juge antiterroriste Marc Trévidic ne font obstacle à l’adoption par la majorité parlementaire de mesures potentiellement menaçantes pour les libertés individuelles. Le gouvernement socialiste l’a compris : les Français sont favorables à un durcissement sécuritaire. Il ne veut pas incarner l’équipe qui, au pouvoir, n’aura rien fait pour contrer l’essor du terrorisme djihadiste. Qu’importe enfin le vœu pieu d’une diplomatie des droits de l’homme : les ventes d’armes au Moyen-Orient, patiemment concrétisées par Jean-Yves Le Drian, participent de l’abandon par la gauche des complexes et postures à l’égard du militaire. « La tranquille social-démocratie hollandaise s’est bel et bien transformée, à l’épreuve du pouvoir et du terrorisme, en gauche sécuritaro-militaire » résume David Revault d’Allonnes (2).
À l’évidence, l’actualité de ces tous derniers jours s’inscrit dans le sens de l’analyse portée par Les Guerres du Président. En assumant d’inscrire dans la Constitution le principe de déchéance de nationalité des binationaux, François Hollande s’aventure plus loin encore dans une politique toujours considérée à gauche comme ultra-droitière. Le recul du Président sur cette question est devenu « hautement improbable » ; il entend bien imposer la mesure à son camp (3). Une chose est sûre : la prise de conscience du gouvernement à l’égard de la menace terroriste sur le territoire comme ailleurs dans le monde. Une autre l’est moins : la lisibilité du positionnement idéologique de l’ensemble des partis politiques à l’aube des scrutins nationaux de 2017. Et si la politique de la terre brûlée tentait en définitive le Général Hollande ?
Notes :
(1) David REVAULT D’ALLONNES, Les Guerres du Président, Seuil, 2015, 248 pages.
(2) Ibidem, p. 234.
(3) Lucas BUREL, « Déchéance de nationalité : Hollande peut-il encore reculer ? », nouvelobs.com, 31 décembre 2015.
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