À peine diffusée l’annonce de la participation de Manuel Valls à l’émission On n’est pas couché du 16 janvier 2016, une polémique prenait naissance. Était-ce la place d’un Premier ministre en exercice de se rendre à une émission dite d’infotainment, réputée pour les clashs et les « dérapages » plus ou moins spontanés qu’elle génère ? Mieux valait attendre de visionner la prestation du chef du gouvernement pour se faire son idée.
Tout paraissait (presque) normal sur le plateau d’On n’est pas couché. L’invité politique n’est entré en scène qu’en deuxième partie d’émission. Ses contradicteurs, la journaliste Léa Salamé et l’écrivain Yann Moix, étaient bien décidés à ne pas le ménager. Pour la première fois pourtant, un Premier ministre en fonctions participait à cette émission. Exceptionnellement aussi, l’invité a pu s’exprimer une heure et trente minutes, contre une petite heure habituellement. Curieusement encore, Laurent Ruquier s’est abstenu d’interrompre le fil du débat à grand recours de plaisanteries vaseuses et de gloussements irrespectueux. Preuve s’il en est qu’il reste un peu de déférence pour nos représentants politiques. Bref, c’était une émission d’On n’est pas couché adaptée aux circonstances. L’opus publié ce mois-ci par Manuel Valls (1), L’Exigence, qui reprend ses deux discours post-attentats (janvier et novembre 2015) n’était qu’un prétexte pour son auteur de venir justifier la politique sécuritaire du gouvernement. Le débat avec Léa Salamé et Yann Moix a d’ailleurs tourné principalement autour de la déchéance de nationalité.
Ni complaisance, ni guet-apens
Il était à craindre que les passe d’armes habituellement mouvementées chez Laurent Ruquier ne se transformassent en fleurets-mouchetés obséquieux. Il serait injuste d’écrire que ce fut véritablement le cas. Léa Salamé a pertinemment souligné les paradoxes du Premier ministre sur l’explication sociale du basculement dans le terrorisme et la controverse sur la déchéance de nationalité. Elle a, seule, évoqué le problème insoluble du chômage à l’occasion d’une dernière question à laquelle Manuel Valls n’a répondu qu’à l’aide de généralités et de rappels factuels peu convaincants. Les interventions de Yann Moix, qui avait pourtant su se montrer particulièrement agressif au cours d’émissions précédentes, se sont révélées plus anecdotiques. Sauf lorsque le chroniqueur a ironisé sur l’incapacité de la France à valoriser sa propre Histoire (citant l’anniversaire de la victoire d’Austerlitz qui ne fit l’objet d’aucune célébration) alors même que Manuel Valls prétendait puiser l’identité de la Nation dans la grandeur de son passé. Sur le fond, à défaut de convaincre ceux qui ne l’étaient pas, Manuel Valls n’a pas commis d’erreur. Il a su répondre avec conviction, parfois même avec une certaine hauteur aux critiques sérieuses qui lui ont été opposées. À l’évidence flatté de se voir rappeler son statut de favori en cas de très hypothétiques primaires à gauche pour 2017, il s’est montré aussi loyal à l’égard de François Hollande qu’habile sur le cas Taubira, en évitant d’alimenter la crise qui couve au sujet de la Garde des Sceaux. Il peut dormir sur ses deux oreilles : l’exercice lui aura plutôt servi et le succès d’audience fut au rendez-vous (2).
Le vrai faux-clash sur la politique étrangère de la France
Dès la veille de la diffusion de l’émission (enregistrée le jeudi), des témoins présents sur le plateau ont évoqué une confrontation houleuse entre Manuel Valls et l’humoriste Jérémy Ferrari à propos de la politique étrangère de la France, en particulier de ses interventions militaires. La colère du second n’a pas poussé le premier à sortir de ses gonds. L’interpellation du Premier ministre – franchement confuse dans la formulation – portait en substance sur la communication guerrière de l’exécutif en contraste avec le ressenti des Français. L’échange fut court mais vaut surtout par l’aveu que laissa échapper Manuel Valls : la France, dit le Premier ministre, n’est intervenue au Mali que pour des raisons humanitaires… mais il fallait protéger nos intérêts au Niger voisin, plus exactement les mines d’uranium exploitées par Areva, ajouta-t-il finalement. Ainsi, en abandonnant partiellement la langue de bois, et en évitant les pièges que pouvaient réserver ce type d’émission, Manuel Valls a réussi son grand oral du samedi soir. Quoiqu’on pense du politique, le communiquant ne manque pas de panache (3).
Notes :
(1) Manuel VALLS, L’Exigence, Grasset, 2016, 96 pages.
(2) Ce sont 2,1 millions de spectateurs qui ont regardé l’émission en direct, ce qui est supérieur à l’audience habituellement observée pour On n’est pas couché. Lire « ‘‘On n’est pas couché’’ fait un très joli score grâce à Manuel Valls », 20minutes.fr, 17 janvier 2016.
(3) Il est possible de revoir l’émission en streaming.