L’Euro 2016 est parti pour se dérouler sous tension, à juste titre. Les risques terroristes sont bien réels et les forces de l’ordre se préparent déjà pour l’événement. Mais il n’y aura pas que des humains pour veiller au grain : des drones encore plus performants qu’auparavant entrent en jeu. Et leur entrée sur le marché du civil ne date pas d’hier.
Tout au long du XXème siècle, les drones – aéronefs sans pilote à bord, téléguidés à distance) – à usage militaire se sont multipliés. Dès la fin de la Première Guerre mondiale, en 1916, le Royaume Uni a ouvert la marche avec l’Aerial Target, un avion-cible piloté à distance par des ondes de télégraphie sans fil. En 1917, les Etats-Unis ont eux aussi développé leur projet Hewitt-Sperry Automatic Airplane, un avion radio-commandé. Depuis, les drones se sont peu à peu imposés comme de nouvelles armes, pour permettre des frappes plus ciblées, plus discriminées et moins de pertes humaines. Leur autre mission est la surveillance des zones de combat, particulièrement celles qui sont peu accessibles géographiquement, trop dangereuses et où les informations sont compliquées à obtenir. Les arguments contre cet usage militaire existent déjà depuis longtemps : déshumanisation de la guerre à distance – avec toute la symbolique héroïque créée, depuis des centaines d’années, de la guerre au corps à corps(1) -, prolifération abusive des assassinats ciblés par drones légitimés par la Lutte contre la Terreur, etc. Les critiques faites à l’usage civil des drones sont beaucoup plus tardives.
Extension du drone dans le domaine civil
Il faut dire que la problématique est elle-même récente. Ces dernières années, l’usage des drones civils, y compris en France, a pris de plus en plus d’ampleur dans le domaine de l’agriculture(2) et des infrastructures(3) par exemple. Dans ces deux domaines, les propriétaires de drones peuvent respectivement suivre l’avancée de cultures et leurs possibles maladies ou surveiller le réseau et des microfissures. Mais la démocratisation du coût de ces engins (quelques dizaines d’euros pour les plus petits que l’on monte soi-même) a également entraîné une multiplication de ses usages. Ainsi, on a vu, en 2013, Domino’s pizza utiliser des drones en Angleterre pour livrer des pizzas. Judicieuse stratégie de communication sauf que cet usage est réglementé et non libre. En France, cette utilisation, qui tend à se généraliser, commence à rendre poreuse la frontière entre l’utile et la dérive. Les particuliers comme les services de l’Etat se sont appropriés le drone. Dans le premier cas, on peut citer à titre d’exemple l’affaire d’un pilote de 18 ans qui avait fait survoler Nancy par son drone en 2014. Il avait amassé quantité d’images et fut condamné à 400 euros d’amende. En effet, dès lors qu’il y a captation d’images, une autorisation de la Direction générale de l’aviation civile (DGAC) est nécessaire. A ce titre, l’article D133-10 du Code de l’aviation civile dispose que « toute personne qui souhaite réaliser des enregistrements d’images ou de données dans le champ du spectre visible au-dessus du territoire national est tenue de souscrire une déclaration au plus tard quinze jours avant la date ou le début de période prévue pour l’opération envisagée auprès du chef du service territorial de l’aviation civile dont relève son domicile ». Acheter un petit drone de loisirs est très facile, on en trouve sur Amazon. Il devient dès lors de plus en plus délicat d’éviter la surveillance des particuliers entre eux. Pour quiconque parvient à maîtriser ces petits objets (qui doivent être faciles d’accès s’ils sont proposés au plus grand nombre sur internet) peut surveiller son ex-femme, sa ville, son voisin et même l’État.
Instrumentalisation politique
Il y a quelques jours, la Préfecture de Paris a lancé un appel d’offres pour s’équiper de drones destinés à surveiller les manifestations. La Ligue des droits de l’homme a d’ailleurs dénoncé une atteinte à la vie privée. Deux critiques peuvent être formulée à l’encontre de ce procédé. La prise d’images de particuliers reconnaissables et identifiables dans la rue pose déjà problème juridiquement et peut porter atteinte au droit à l’image. Les utilisateurs de drones doivent alors prouver qu’il y a un vrai droit à l’information ou que l’événement est d’actualité. Il faut alors que le drone fasse la différence entre le manifestant au milieu de la foule et celui qui fait son casse-croute de midi à deux mètres de là avec sa femme. De plus, comme les caméras de vidéosurveillance, les drones sont synonymes d’une systématisation de la surveillance. Les allées et venues des manifestants, comme des riverains pour les caméras, sont enregistrées et les visages vus et revus. Les services de l’Etat peuvent arguer qu’il s’agit d’une mesure raisonnable dans le but de dénicher les fauteurs de trouble. Cependant, cet argument utilitariste est à manier avec précaution car il peut ouvrir la voie à une généralisation de la surveillance pour tous. Nul besoin d’être technophobe pour reconnaître que nous vivons dans un monde où l’électronique – du simple ordinateur aux humanoïdes les plus performants – règne en maître. Et si les bénéfices pour l’humanité ont été immenses, il y a toujours un revers de la médaille. Dans 1984, George Orwell ne connaissait pas les outils qui existent actuellement, y compris les drones. Mais il prévoyait des grands écrans pour observer les individus. Les drones permettent aussi de visualiser en direct. Dans les manifestations comme dans d’autres situations, chaque fait et geste serait potentiellement suspecté et décortiqué en vue d’y trouver une faille. Ce procédé pour les manifestations pose un autre problème, plus sournois. Le fait que rien n’échappe aux drones peut mener à une traque des manifestants et à une déformation de ce qui se passe réellement. Les images captées par les drones pourraient donc servir à décrédibiliser toute initiative venant de la rue, comme son contraire, c’est-à-dire qu’il n’y a aucune dérive à signaler.
Des cas d’accidents répétés
L’autre critique qui peut être avancée sur les drones civils est le risque d’accidents. Le risque zéro n’existe évidemment pas et les erreurs sont toujours possibles. Mais les drones sont réputés pour être sûrs et ne sont pas autonomes. Ils dépendant d’une main humaine et, sauf problème technique, c’est l’homme derrière qui le contrôle et qui est responsable. Parmi les cas d’accidents, celui du drone qui a failli écraser le skieur Marcel Hirsher(4) en décembre 2015. En outre, on a assisté plusieurs fois à des collisions évitées entre avions et drones(5). Et les assurances sont encore peu nombreuses à se lancer sur le marché du drone. Face à l’absence de recul sur les risques et au matériel (capteurs, récepteur radio,…) coûteux, les assurances se montrent réticentes à s’engager sur cette voie. Et quand elles le font, le prix se fait ressentir.
Notes :
(1) Jean-Baptiste Jeangène Vilmer, « Légalité et légitimité des drones armés », Politique étrangère 2013/3 (Automne), p. 119-132.
(2) Benoît de Solan, Mathilde Closset, « Les potentialités et les limites des drones en agriculture », arvalis-info.fr, 24 avril 2014.
(3) Démonstration en video d’usages de drones par la SNCF.
(4) « Accident de drone en plein slalom : de ‘fortes interférences’ à l’origine du crash », leparisien.fr, 23 décembre 2015.
(5) « Encore un accident entre un drone et un avion évité à Roissy », ouest-france.fr, 21 avril 2016.