Invité du colloque « Refaire la démocratie », tenu les 6 et 7 octobre à l’hôtel de Lassay, le Président de la République a proposé des pistes pour « revivifier » nos institutions. Aucune proposition phare, encore moins de réelle réflexion sur la démocratie et son avenir ne transparaissent pourtant du discours de François Hollande.
L’allocution aura été peu médiatisée. En un sens, c’est mieux ainsi. Il est vrai que la question institutionnelle ne hante pas quotidiennement des Français inquiets des conséquences du chômage qui peine à décroître et de l’absence d’une vision économique, sociale et culturelle pour leur pays. Le fonctionnement de la Ve République, par contraste, semble un débat de second plan. Sans contredire cette évidence, il faut pourtant admettre que l’impopularité des élus, la crise de confiance citoyenne et l’image d’impuissance renvoyée sur bien des sujets par le gouvernement ne peuvent être appréhendées sans une remise en question de notre modèle politique. C’est précisément ceci que François Hollande – gageons qu’il n’est pas le seul hélas – n’a pas compris, à en juger par son discours au colloque organisé par le président de l’Assemblée nationale Claude Bartolone.
Les habits neufs du Président
D’aucuns auront certainement conservé le souvenir d’un premier secrétaire du Parti socialiste tonitruant, toujours prompt à dénoncer le pouvoir personnel, s’insurgeant contre la réforme institutionnelle adoptée sous l’autorité de Nicolas Sarkozy en juillet 2008 (1), laquelle affaiblissait selon lui le Parlement. Dans les pas de son aîné François Mitterrand, l’homme qui s’émut du « coup d’État permanent » (2) pour devenir une fois élu le plus « monarque » de nos présidents, François Hollande se sent finalement très bien dans ses habits taillés grand. Au point de rejeter l’idée d’un retour au septennat qui risquerait de faire perdre au Président le bénéfice d’une majorité parlementaire pour l’ensemble de son mandat. Au point d’écarter toute idée d’un Président « arbitre » au-dessus des partis, comme le voulait le général de Gaulle. Au point, enfin, de protéger jalousement ses compétences. À ses yeux, le domaine réservé du Président de la République offre une efficacité en interne mais surtout sur la scène internationale que n’auraient pas d’autres grands leaders de la planète. Et de citer en guise de preuve sa volonté de bombarder la Syrie en 2013 sans demander l’avis de l’Assemblée nationale tandis que David Cameron et Barack Obama se tournaient vers leur Parlement respectif. Mais la compétence discrétionnaire du Président français d’engager des frappes militaires ne l’a pas empêché de renoncer piteusement à son dessein. François Hollande s’enthousiasme quand même : les institutions de la France sont « pour le monde aussi une garantie et une possibilité d’avoir un pays qui peut défendre le droit international et les règles de la vie en commun » (3). Comme ne le démontre pas du tout l’illustration qu’il a choisie. Qu’importe. Et puisqu’il n’est pas à une contradiction près, le grand théoricien de la « présidence normale » prétendra déplorer, en fin de discours, la « désacralisation » et la « contestation permanente du pouvoir » (4).
Pour l’actuel chef de l’État, la procédure législative devrait être revue pour qu’en soient ôtés certains archaïsmes qui l’alourdissent. Les citoyens, prétend-il, s’impatientent face à la lenteur de la navette parlementaire. Vraiment ? Ce qui ressort des études portant sur l’œuvre législative ces dernières années n’est pas le manque de lois mais le trop plein de lois inutiles, quand tant de compétences jadis étatiques ont été transférées à l’Union européenne. Adoptés sous le coup de l’actualité, par soucis de communication politique, les textes sont si mal rédigés qu’ils compliquent la tâche du pouvoir réglementaire lors de l’édiction des décrets d’application (4). Certes, François Hollande admet qu’il faut améliorer la loi en prenant plus de temps à sa conception, moins à son adoption. Il réinvente l’eau chaude en suggérant que l’on puisse adopter une loi, en cas d’urgence, au terme d’une seule lecture devant chaque assemblée. Ce que prévoit déjà la Constitution, en son article 45… En revanche, qu’un texte puisse être adopté au bout de la nuit par une poignée de députés sur les 577 que compte l’Assemblée nationale ne le perturbe pas.
L’absence de propositions ambitieuses
Dilettantisme et nonchalance ont été parfois reprochés à François Hollande et son gouvernement. Le discours du 6 octobre 2016 ne sera pas de nature à évacuer ces préjugés. Par manque de conviction profonde, le Président aborde tout et ne se saisit de rien. Aucun mot n’a été prononcé sur les relations entre le Président et le Premier ministre, sujet à débat depuis plusieurs années en raison du renforcement de la présidentialisation du régime. Pas une parole non plus sur les modalités de parrainage des candidats à l’élection présidentielle, qui brisent aujourd’hui tout espoir de se présenter en dehors des grands partis. Alors qu’il montre un intérêt certain pour le principe d’un référendum multithématique, il n’exprime aucune volonté d’engager ce type de procédure… Pour renouer le lien entre les élus et les citoyens, il se contente de brandir la fameuse « dose de proportionnelle », déjà promise lors de sa campagne 2012 et qui n’a pas même fait l’objet d’un projet de loi constitutionnelle durant le quinquennat.
En guise d’approfondissement démocratique, il faudra plutôt se satisfaire de la chasse au cumul des mandats, cette politique entreprise depuis le gouvernement Jospin et que François Hollande entend bien user jusqu’à la corde. Non que l’interdiction du cumul des fonctions ne soit justifiée : au contraire, le bon sens et le souci de la res publica invitent les élus à ne se consacrer qu’à un seul mandat. En cela, les règles de non-cumul introduites jusqu’à présent sont positives. Le Président et candidat (officieux) prône désormais l’interdiction des cumuls dans le temps, avec trois mandats identiques consécutifs. Cet engagement est nettement plus discutable puisqu’il empêcherait les électeurs de reconduire dans leurs fonctions des élus qui apportent satisfaction. Il ne contribuerait pas même à renouveler la représentation dans le sens où ces élus, après deux reconductions, pourraient solliciter un mandat d’une autre nature (un passage de député à maire par exemple). La lutte contre le cumul des mandats est bien en voie d’instrumentalisation, à l’instar des lois sur la transparence des élus et des ministres. Elle devient un gage du volontarisme moderniste du politique. Cette bonne volonté affichée trouve néanmoins ses limites dans le regard pour le moins inquiétant que porte un responsable comme François Hollande sur l’expression de la volonté des électeurs.
Défaire la démocratie
L’intérêt de François Hollande pour la « démocratie participative » est le principal enseignement de son discours. Oui, il souhaite que soit pris davantage en compte l’avis des administrés. Qu’ils soient écoutés. Ce qui ne présume pas qu’ils seront nécessairement entendus. En amont de la procédure législative, le Président aimerait que soit généralisé le recueil des opinions en provenance de la société civile. Difficile de trouver particulièrement avant-gardiste un procédé déjà à l’œuvre sous l’Ancien régime à travers la consultation des états généraux. L’essentiel reste que le peuple ne puisse trancher par référendum, cet ennemi absolu des autorités publiques. Plus moralisateur que jamais, François Hollande blâme le vote des Français en 2005 contre le Traité Constitutionnel Européen, qui aurait même donné de mauvaises idées aux Anglais. Il déplore que la population colombienne ait tout juste rejeté l’accord de paix passé entre le gouvernement et les Farcs (sans s’interroger ni sur le contenu de cet accord, ni sur les motivations des électeurs). Mieux : la faible participation observée lors du référendum sur les quotas de migrants en Hongrie est jugée « encourageante » (sic) par le Président ! En démocratie, il existerait donc la bonne et la mauvaise abstention… L’idée générale est assez limpide : le peuple doit pouvoir s’exprimer, mais certainement pas décider. Et s’exprimer si possible dans le même sens que ses dirigeants. Mais voilà : ça n’a plus grand-chose à voir avec l’essence de la démocratie, gouvernement du peuple, par le peuple, pour le peuple… En bon technocrate, le locataire de l’Élysée s’est montré évidemment ambigu sur les initiatives populaires. Tout en déclarant son intention d’abaisser le seuil de signatures citoyennes exigées dans le cadre de la procédure de référendum d’initiative partagée (6), il se garde bien de remettre à plat cette procédure en réalité totalement contrôlée par les parlementaires. Qu’il annonce que 500 000 pétitionnaires suffiront pour ouvrir un débat parlementaire n’enlève rien au fait que les assemblées resteront libres d’abandonner le sujet à l’issue de la discussion.
« Refaire » la démocratie aurait dû conduire en premier lieu à interroger les limites de la représentation et à jauger les possibilités d’améliorer les mécanismes de démocratie directe pour combler le gouffre entre le pays légal et le pays réel. Si les maigres idées avancées à l’hôtel de Lassay devaient effectivement constituer le programme institutionnel du futur candidat, la démocratisation concrète de la vie publique aura cédé le pas, encore une fois, à la stratégie de la poudre aux yeux.
Notes :
(1) Loi constitutionnelle n°2008-724 du 23 juillet 2008. Cette révision majeure dans l’histoire de la Ve République a notamment permis la création de la question prioritaire de constitutionnalité et du Défenseur des droits (ex-Médiateur de la République), la maîtrise par le Parlement de son ordre du jour et la possibilité pour le Président de la République de s’exprimer devant les assemblées réunies en Congrès. Elle a, en outre, imposé une limite de deux mandats présidentiels consécutifs.
(2) Expression qualifiant la prise de pouvoir et le maintien à la tête de l’État du Général de Gaulle, grâce aux prérogatives importantes que lui confère la Constitution de la Ve République (François MITTERRAND, Le Coup d’État permanent, éd. Plon, 1964).
(3) François HOLLANDE, Discours au colloque « Refaire la démocratie », Paris, 6 octobre 2016. Disponible en ligne sur le site elysee.fr
(4) Lire à ce sujet les commentaires de Céline PINA dans son récent ouvrage Silence coupable (éd. Kero, 2016, pp. 228-229).
(5) François HOLLANDE, Discours au colloque « Refaire la démocratie », préc.
(6) Article 11, al. 3 à 5 de la Constitution. Un référendum législatif à l’initiative d’un cinquième des membres du Parlement pourra être organisé si un dixième du corps électoral (soit environ 4,5 millions d’électeurs) apporte son soutien à la proposition et à la condition que le Parlement ne décide pas lui-même de débattre sur celle-ci. À ce jour, aucune initiative n’a été émise par les députés et sénateurs.