Lors du premier débat organisé par TF1, RTL et Le Figaro dans le cadre de la primaire de la droite et du centre, les sept qualifiés ont navigué sur un long fleuve de monotonie. Si des attaques personnelles ont été décochées, la peur d’un « dérapage » a contraint les prétendants à se concentrer sur l’exposé de leurs idées-maîtresses.
Il échut à Jean-François Copé, désigné par le sort, de s’exprimer le premier. L’intéressé choisit d’engager les hostilités plutôt que d’ouvrir le bal. En quelques phrases, l’ancien président de l’UMP réduit en pièces le quinquennat de Nicolas Sarkozy, et ses promesses déçues. Le carquois du maire de Meaux vidé d’entrée, la tension était palpable sur le plateau. Prenant la parole ensuite, Alain Juppé en bégaie presque. Mais refuse la stratégie des coups : mieux vaut éviter de solder le passé, plutôt tenter de dessiner l’avenir. Ce sera aussi la ligne de conduite de François Fillon, très voire trop docte et technicien. Il n’aura pas fallu dix minutes pour que le débat devienne ronronnant.
Propositions émiettées
L’organisation de la confrontation avait dû être un casse-tête et, quoique imparfait, le format privilégié restait-il le moins mauvais. D’abord découpées en différents thèmes (économie, emploi, terrorisme…), les deux grosses heures de programme étaient ensuite sous-fractionnées pour permettre à chaque candidat d’exposer ses arguments et propositions en une minute. Le pire n’a pas eu lieu : le redoutable compte-à-rebours suffisait pour que messieurs Copé, Fillon, Juppé, Le Maire, Poisson et Sarkozy et madame Kosciusko-Morizet aillent à l’essentiel. Comme dans un débat d’entre-deux tours de présidentielle, les journalistes présents n’ont été que de discrets arbitres du temps de parole et les inévitables distributeurs de questions. La discussion s’est déroulée sans confusion, mais sans point d’orgue non plus. Avec sept intervenants à suivre, les spectateurs-électeurs ont dû rencontrer toutes les peines du monde pour prendre note des propositions des uns et des autres. Pour peu que pointe l’ennui, seules survivront quelques idées-clefs prononcées par des candidats d’une droite devenue presque entièrement libérale.
Bruno Le Maire, en petite forme, n’est jamais parvenu à imposer ni un style ni des solutions crédibles, s’appuyant sur son slogan du « renouveau » jusqu’au ridicule.
NKM, éteinte en début de débat puis progressivement plus énergique, a fini par assumer une politique moderne et créative, libérale aussi (sur les effectifs de fonctionnaires) mais relativement pondérée (une réforme plutôt qu’une suppression de l’ISF).
Nicolas Sarkozy, nerveux (pardonnez le pléonasme) mais combatif, pouvait à bien des égards rappeler le candidat de 2007. Très violent à l’égard de son successeur à l’Élysée, il a prôné une nouvelle fois la liberté du temps de travail, en entreprise comme dans la fonction publique territoriale, et s’est engagé à étendre le service minimum.
Jean-François Copé, le regard parfois absent, a attendu les questions relatives à la sécurité et à l’identité pour s’animer à nouveau. Et dérouler sa stratégie de la « droite décomplexée », n’hésitant pas à dénoncer, à raison, les baisses d’effectifs policiers sous la présidence Sarkozy.
François Fillon avait choisi d’apparaître constructif, sérieux et maître de lui-même, à l’écart des polémiques, concentré sur ses idées en faveur de l’emploi. Seule la question portant sur le fameux dîner avec Jean-Pierre Jouyet – remise sur la table avec la sortie du livre Un Président ne devrait pas dire ça – a manifestement déstabilisé l’ancien Premier ministre.
Le plus attendu des prétendants, le favori Alain Juppé, a choisi le registre de la gravité mais aussi de la tempérance, comme s’il se situait déjà dans une stratégie de « second tour ». Il est vrai que des soutiens venant du centre, sinon de la gauche devraient lui donner l’avantage dès le scrutin des primaires. À défaut d’avoir été flamboyant, le maire de Bordeaux pourra soupirer de soulagement à l’issue d’une première confrontation où il a soigneusement évité un faux-pas.
Quant au candidat du parti chrétien-démocrate Jean-Frédéric Poisson, la qualité de son expression et un certain nombre de positions en rupture franche avec le reste de ses camarades (critiques contre l’euro et la politique de déficit de l’Union européenne, défense des syndicats, modération sur la lutte anti-terroriste) l’a sans doute révélé aux yeux du grand public.
Étouffés sous la mêlée
Le nombre des candidats, celui des sujets à traiter et les restrictions du temps de parole auront fait apparaître des traits de personnalité davantage que de grandes distinctions programmatiques. Les ambitions sont les mêmes, les moyens d’y parvenir varient (un peu). D’ailleurs, ont transparu une nette convergence des propositions en faveur de l’assouplissement des règles du travail et une fermeté partagée sur les thèmes de la sécurité et de la lutte anti-terroriste. Enjeux internationaux et questions européennes ne furent que très peu abordés. Les premiers au détour d’un monologue d’Alain Juppé sur la diplomatie au Moyen-Orient, dans la droite ligne de celle qui est suivie par la France depuis 2011, les secondes par les attaques de Jean-Frédéric Poisson, seul eurosceptique sur un plateau très conformiste dans son approche des politiques de Bruxelles.
Il ressort de cette longue série d’exposés entrecoupée de courtes interpellations et d’inévitables petites piques (à ce jeu, NKM ne fut pas la dernière), l’impossibilité de désigner un vainqueur authentique. Parmi les sympathisants Les Républicains, on devine aisément que les lignes ne bougeront pas et que chaque clan aura trouvé à son poulain toutes les qualités que requiert la fonction de chef d’État. À la réflexion, il est probable qu’un tel constat puisse être étendu à l’ensemble des spectateurs, lesquels furent particulièrement nombreux (1). Les têtes d’affiche (Juppé, Sarkozy, Fillon) auront fourni exactement la prestation attendue de leur part. Pas de quoi modifier les rapports de force en vue du premier tour. Seuls les « petits » candidats devraient connaître à la marge des fluctuations dans l’opinion qui, toutefois, ne leur offriront pas la moindre chance de combler l’écart avec les favoris. Ce premier débat fut en définitive un débat pour pas grand-chose. La deuxième des trois confrontations prévues se tiendra le 3 novembre prochain.
Note :
(1) Le Figaro rapporte que 5,6 millions de spectateurs ont suivi le débat (soit 26,3 % des parts d’audience). Voir Caroline SALLÉ, « Avec 5,6 millions de spectateurs, le débat réunit plus de téléspectateurs que la primaire PS », lefigaro.fr, 14 octobre 2016.