Donald Trump ou la victoire de l’Amérique profonde

La candidate démocrate Hillary Clinton, large favorite des sondages, vient d’être nettement battue par l’homme que les médias américains, à de rares exceptions près, et tous les médias européens dénonçaient d’une même voix. Donald Trump, une fois exprimées formellement les voix des grands électeurs en décembre, fera son entrée à la Maison Blanche. A-t-on raison d’en avoir si peur ?

L’élection était jouée d’avance. Après un resserrement des intentions de vote la semaine dernière en raison de nouvelles révélations dans l’affaire des e-mails, Hillary Clinton avait repris du large et ne pouvait plus perdre. C’est tout juste si le champagne ne coulait pas dès l’ouverture des bureaux de vote. À New York, à Berlin ou à Paris, la presse écrite et les chaînes d’information se mettait à l’unisson pour louer l’arrivée de la candidate démocrate à la tête de la première puissance mondiale. L’ex-Première Dame était bien la future Premier Femme à siéger dans le bureau ovale. L’interminable soirée du dépouillement aura donné une toute autre vision de l’état de l’Amérique. Et infligé au passage une claque monstrueuse aux médias traditionnels. Le clown, l’extravagant, le grotesque, le vulgaire – pour n’employer que les plus affables épithètes – Donald Trump a gagné. Sa victoire a été large au décompte du nombre de grands électeurs (indispensables) mais il a manqué d’emporter le vote populaire (symbolique), qui revient de très peu à Hillary Clinton (1). Pour cette dernière, poussée par les milieux artistiques, médiatiques et financiers, c’est une défaite sans aucun honneur. C’est aussi la confirmation du naufrage du Parti démocrate, au sein duquel des fraudes avérées ont permis d’écarter les ultimes chances du challenger Bernie Sanders.

Le repoussoir devenu attrape-tout

Les citoyens européens, simples spectateurs cherchent en vain un point positif dans l’élection de Donald Trump. Cette dernière consacre un milliardaire qui a prétendu connaître les classes populaires, un dilettante qui a prouvé sa méconnaissance des dossiers durant toute la campagne, un provocateur-né capable d’emprunter absolument toutes les voies que lui permet l’ample liberté d’expression garantie par le Premier amendement de la Constitution américaine de 1787, y compris (et surtout) lorsqu’elles le font sombrer dans la xénophobie, le sexisme et l’insulte ordinaire. Trump est l’incarnation du Yankee à la culture médiocre, à l’élégance douteuse mais à l’instinct vif. Un sens des affaires et, nous venons de l’apprendre, un nez pour la politique. Authentiques ou sur-jouées, ses rodomontades fleuries de grossièretés auraient constitué sa seule stratégie, n’étaient ses inlassables flèches décochées à un Establishment dont il fait franchement partie. Donald Trump aura été intuitif et chanceux. Intuitif en percevant que le rejet des élites et le mal-être de l’Amérique profonde était le courant porteur qui le mena du tréfonds des sondages des primaires vers la candidature républicaine, puis du rôle d’outsider à celui de vainqueur. En réalité, Trump aurait dû s’effondrer avant même d’entrevoir les portes de la Maison Blanche. Avec les médias et l’appareil du Parti Républicain contre lui, il luttait face à l’hostilité quasi-générale. Il a eu la force – si ce n’était de la pure folie – de croire vraiment qu’un courant populaire le portait. Mais pour l’emporter, il a bien sûr eu cette chance inconcevable : affronter Hillary Clinton, mal aimée, financée via sa fondation par le régime saoudien (et d’autres !) et surtout soupçonnée d’atteinte à la sûreté de l’État par ses transferts massifs et illégaux de messages électroniques sur une boite personnelle. Trump effrayant contre Clinton criminelle. Voilà l’affiche de ce qui restera, de l’avis général, comme la pire campagne qu’aient connu les États-Unis. Ainsi Donald Trump aura réussi le pari de jouer les attrape-tout, avec peu de soutiens du show-business mais bien des compagnons de route infréquentables (les résidus du Ku Klux Klan par exemple). Dans les dernières heures précédant le vote, il aura collecté suffisamment de suffrages féminins, latinos, noirs et asiatiques pour faire basculer la majorité de son côté. Le rejet d’Hillary aurait-il été le plus fort ?

Les sentiers de la gloire

 C’est dans la campagne tumultueuse des primaires, et paradoxalement dans le camp démocrate que se lisait en filigrane la victoire finale de Donald Trump. Derrière Hillary Clinton, avantagée par la direction du Parti démocratique, la révélation du scrutin fut bien entendu Bernie Sanders. Un quasi-socialiste, un populiste lui-aussi. Populiste de gauche, mais populiste néanmoins, il entraîna un mouvement de contestation autour de lui, résolument anti-élites. Quelques études d’opinions peu relayées mais il faut le dire peu nombreuses aussi avaient mis en lumière qu’en cas de duel Trump/Sanders, le premier avaient moins de chance de l’emporter qu’en affrontant la controversée madame Clinton. Ces études laissaient percevoir que le vote antisystème était potentiellement majorité dans le pays. Trump et Sanders se disputaient une fraction commune du corps électoral bien qu’à l’évidence leurs électorats respectifs ne se recoupaient pas. Sanders défait et refusé par Clinton comme colistier, restait donc le monopole du vote contestataire au tonitruant homme d’affaires. La route vers Washington était toute tracée. Dans les prochaines semaines, les études sociologiques approfondies répondront définitivement à la question de savoir si le vote contestataire porté par la candidature Trump n’a pas supplanté le simple vote de rejet de la candidature Clinton.

Protectionnisme, isolationnisme… et normalisation ?

Les Américains n’ont pas dormi. Les Européens se réveillent sous le choc. L’ambassadeur de France aux États-Unis Gérard Araud parlait au petit matin d’un « monde [qui] s’effondre devant nos yeux » (2). C’était oublier trop vite que Trump, homme des médias, animateurs de divertissements balourds, s’est donné en spectacle pendant un an et demi. La réalité du pouvoir pousse à la normalisation forcée. Élu, Donald Trump aura fort à faire pour rester ce qu’il est tout effaçant de son discours les pires avanies qui conduiraient directement à la violence intercommunautaire ou à l’incident transfrontalier. Son appel à l’unité nationale dans son premier discours d’après-victoire  le 9 novembre confirme d’ailleurs cette perspective optimiste. L’avenir seul la confirmera ou l’infirmera. Vrai danger pour la cohésion d’une Amérique en souffrance, l’élection de Donald Trump augure éventuellement une nouvelle ère géopolitique des États-Unis : un retour à l’isolationnisme, la normalisation des relations avec la Russie et une dose de protectionnisme économique qui passerait par l’abandon du TAFTA. Mensongères ? Démagogiques ? Les promesses ont eu le mérite d’être formulées. Et si peu de choses sont défendables chez Donald Trump, son élection en fait le Président légal et légitimité des États-Unis. Pas pour le meilleur, peut-être pas pour le pire.


Notes :
(1) Voir l’ensemble des résultats au plan fédéral ou État par État sur le site de la chaîne américaine CNN [Consulté le 9 novembre 2016].
(2) Tweet de l’ambassadeur de France à Washington, publié le 9 novembre 2016 à 6h02. Effacé par la suite par son auteur.

Auteur : Pierre-Henri Paulet

Contributeur et éditorialiste de 'Voix de l'Hexagone'. Rédacteur en chef de la revue 'Cité'.

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