Le chant du Phénix

Sur les routes depuis l’automne pour son Phénix Tour, Renaud est passé vendredi dernier par le Zénith de Rouen où l’attendait un public impatient. Retrouvailles émouvantes avec une icône de la chanson française.

Paré d’un tee-shirt portant un message de soutien à Yvan Colonna, du même blue jean que James Dean et de son éternel bandana rouge, Renaud apparaît, dans la lumière, au bout d’un tunnel. La mise en scène est au poil et le groupe qui l’accompagne envoie du lourd. Bien sûr, la voix est ce qu’elle est : abimée, éraillée, enfumée. « Mais vous n’êtes pas venus là pour ma voix, hein ? », clame l’artiste. Personne ne saurait lui donner tort. Et il ne ment pas lorsqu’il ajoute, comme pour se justifier : « Je donne pour vous tout ce que j’ai, et je n’ai plus beaucoup. » Cette voix qui pue le vécu, le pastis lourd et les angoisses, on commence par l’adopter et on finit par l’adorer. Les morceaux s’enchaînent avec leurs textes magiques dont chaque mot trouve un écho dans les chants d’un public qui les connaît sur le bout des doigts. Ses nouvelles compositions, Les Mots, Hyper Casher ou encore Héloïse ont déjà trouvé leur place dans le cœur des fans entre Docteur Renaud, Mister Renard et Manhattan-Kaboul, souvenirs d’un précédent et fructueux come-back (album Boucan d’enfer, 2002), et les grands succès du poète du béton et du macadam (Manu, La Pêche à la ligne, Mon HLM, Les aventures de Gérard Lambert, Marche à l’ombre…). Avec de solides musiciens et des projections de décors urbains en guise de toile de fond, la plongée dans le répertoire de Renaud est quasi-physique. Nous voilà tous ensemble parmi la marche du 11 janvier où l’anarchiste s’épanche sur les forces de l’ordre (J’ai embrassé un flic), au pied de la statue souillée du maréchal de France (La Médaille) et dans les flaques d’eau noyant une place triste, avec la petite Lolita (Mistral Gagnant). Tel le Phénix qui symbolise cette tournée, la première depuis 2007, Renaud revit par son art, une jouvence en même temps qu’une rude séance d’exorcisme contre les démons de l’alcool.

Génération Renaud

Le bonheur des retrouvailles est réciproque. Ce vendredi 20 janvier 2017, le Zénith de Rouen est plein à craquer, du dernier rang jusqu’à la fosse. Dans cette fosse, au pied de la scène, Renaud tient à faire venir les plus jeunes : « Le jour où il n’y aura plus d’enfants qui écouteront mes chansons, je m’arrêterai ! », confie celui qui a vu son public endurer comme lui le poids des années. Vieillir. Devenir moins con, mais vieillir quand même. Et c’est vrai que les plus de soixante ans – le public de la première heure – sont venus en masse le voir, l’écouter et l’applaudir. Évoquant ses années de déprime passées au fond des rades, Renaud moque tendrement l’âge de ses admirateurs : « À ce moment-là, je me suis dit que j’avais hérité du public de Michelle Torr ! ». Qu’il se rassure, s’il y a sans doute une génération Renaud, visible dans les gradins, il n’y a décidément pas d’âge pour recueillir ses pamphlets et entendre sa rébellion. Entre deux morceaux, le voilà porteur de messages aux rimes enfantines. Sus à ces tocards : les 500 connards sur la ligne de départ du Paris-Dakar ! Sus à la procession des « -on » (Macron, Fillon, Mélenchon, Hamon…) qui se précipiteront à l’élection !

La tragédie d’Alep nous rappelle que le monde est aux mains d’assassins (Morts, les enfants) mais la musique est encore cette petite frivolité qui permet de garder foi en l’humanité. Quand ils existent, les meilleurs moments ont hélas une fin. Après son cadeau d’adieu, un « pot-pourri » roboratif comprenant huit extraits de chefs-d’oeuvre du temps passé (dont Pierrot, Hexagone, Laisse béton, Miss Maggie et Fatigué), Renaud s’efface… jusqu’au prochain récital. Ce sera dès le lendemain, dans la même salle. Deux heures vingt de communion chaque soir ne lui font plus peur. Il est revenu du diable Vauvert mais il est, incontestablement, « toujours vivant ».


Photo : Renaud en tournée (2016). Wikipédia.

Auteur : Pierre-Henri Paulet

Contributeur et éditorialiste de 'Voix de l'Hexagone'. Rédacteur en chef de la revue 'Cité'.

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