Les règles d’organisation de la campagne présidentielle ont été modifiées l’an dernier dans l’indifférence quasi générale. Pourtant, la loi votée contient bien des surprises.
Pas question de traiter ici des choix des médias de multiplier jusqu’à l’overdose les unes sur Emmanuel Macron, de taire ou de minimiser toutes les « affaires » qui pourraient affecter sa campagne. Pas question non plus d’évoquer le tombereau d’articles à charge contre François Fillon, certains violant en toute impunité le secret de l’instruction. Pas question de feindre d’être surpris de l’inefficacité des articles à charge sur Marine Le Pen qui n’influent absolument pas les intentions de vote de ce socle de 25 % d’électeurs qu’elle a réussi à fidéliser. Il y a un autre sujet, peu traité, mais qui doit être absolument abordé pour comprendre en quoi cette élection présidentielle a subi dès l’origine, un coup de poignard démocratique. Ce sujet s’appelle la loi organique du 25 avril 2016 de modernisation des règles applicables à l’élection présidentielle (1), votée par seulement onze députés présents à l’Assemblée nationale. Ce nombre ridicule de parlementaires, alors qu’il était question de débattre d’un texte régressif, laisse songeur. Alors, que trouve-t-on dans cette loi qui engendre assurément des fêlures démocratiques ?
Des entraves au droit à l’information
Tout d’abord, la fin – à terme – de l’envoi par courrier papier des professions de foi. C’est ce que préconise un récent rapport commandé par le ministère du Budget. L’argument : l’écologie. On évitera en premier lieu de se gausser de l’instrumentalisation de ce thème par le gouvernement, lequel fait preuve d’une mauvaise foi en ôtant un moyen d’accès à l’information des citoyens français sous prétexte d’habiter la cause écologique. Finis ces millions de petits papiers que recevaient les Français dans leur boîte aux lettres à chaque scrutin présidentiel. Il faudra, le cas échéant, se rendre en mairie ou en préfecture, ou bien aller sur internet pour découvrir ces professions de foi. Une fois encore, ce genre de mesures ne sert qu’à mieux creuser le fossé entre plusieurs France. On peut observer celle qui surfe sur internet toute la journée et qui a accès à absolument toutes les informations qu’elle veut de manière instantanée, bien qu’elle ne sache pas toujours séparer le bon grain de l’ivraie sur la toile. D’ailleurs, on notera à ce sujet que devoir se rendre sur les sites internet de tous les candidats pour obtenir lesdites professions constituent une tâche longue et fastidieuse, si on veut connaître ne serait-ce que leurs grandes lignes sur des problématiques essentielles. Bien sûr, peu de Français vivent sans aucune technologique aujourd’hui, pourrait-on arguer. Pourtant, en 2015, 17 % des Français (2) n’avaient pas encore internet, par choix ou par contrainte, c’est-à-dire par manque de moyens. Il est alors d’autant plus difficile pour cette France ultra connectée, branchée en continu sur cinq réseaux sociaux à la fois de concevoir l’isolement et le dénuement dans lequel se trouvent ceux qui n’ont pas internet. Pour les élites politiques parisiennes, l’arrêt de l’envoi papier des professions de foi semblait donc parfaitement cohérent. Cette « cohérence » cache cependant mal une certaine désinvolture envers tous ceux qui, isolés financièrement ou socialement, prenaient le temps de découvrir, dans les professions de foi, les candidats à la présidentielle, leurs idées directrices, en débattaient autour de la table avec d’autres membres de leur famille en brandissant les prospectus. Tout cela est révolu. Bien sûr, les personnes âgées, isolées ou limitées dans leurs déplacements n’auront plus qu’à découvrir, ébahies, les noms des prétendants une fois dans l’isoloir. Les Français qui vivent dans les zones enclavées ou qui n’ont que peu de temps pour s’échapper de leur quotidien, par exemple les paysans, seront eux aussi pénalisés. Les petits candidats quasiment inconnus puisqu’ils sont dédaignés par les journaux, la radio et la télévision, auront-ils autant de chance de recueillir leur vote que les traditionnels PS – LR ? On peut en douter. Les candidats ne partent pas tous sur un pied d’égalité et cette mesure rend la course encore plus injuste. D’ailleurs, Jean Lassalle comme Nicolas Dupont Aignan l’avaient ouvertement critiquée. Le président de Debout la France avait écrit sur son compte twitter le 28 septembre 2016 : « C’est un coup porté à la démocratie. Cela va privatiser le scrutin, au bénéfice des grands partis. »
L’équité plutôt que l’égalité : le piège médiatique
Une autre mesure-phare de cette loi est la disparition de l’égalité de traitement des candidats pendant la campagne officielle au profit de l’équité. Comme l’a très bien expliqué le journaliste Romain Houeix : « Auparavant, le principe d’égalité stricte s’appliquait dès la publication de la liste des candidats au Journal officiel. Ce changement de principe a été demandé par les grandes chaînes de télé estimant que la multiplication des « petites » candidatures nuisaient à l’intérêt des débats à cause de cette égalité stricte. Le projet de loi a été défendu par le ministre de la Justice, Jean-Jacques Urvoas. Son adoption n’avait pas manqué, à l’époque, de faire bondir les « petits » candidats forcément défavorisés par le nouveau système puisque réduit, entre autres, à leur poids dans les sondages. » (3)
Cette équité permet en d’autres termes à un Emmanuel Macron d’avoir un temps de parole beaucoup plus important qu’une Nathalie Artaud alors qu’il n’est pas soutenu par un parti, que son mouvement En Marche ! ne s’est jamais soumis à une seule élection contrairement à Lutte Ouvrière qui est un parti historique. Seule semble compter la capacité à faire de l’audience. Certains estiment qu’il ne s’agit que de justice puisque les temps de paroles sont adaptés au poids électoral. Ce raisonnement conduit à renforcer la bipolarité voire la tripolarité électorale et donc à conforter deux ou trois gros candidats qui ont déjà tous les médias collés au train, qui ont des articles chaque jour, des interviews, des portraits. Même leurs proches – à l’instar de Brigitte Macron – font l’objet d’un traitement médiatique parallèle dans des magazines. Ce principe d’équité permet donc aux puissants d’être encore plus puissants et aux petits de rapetisser encore plus car nous savons tous que le traitement médiatique, surtout télévisuel, joue un rôle ou contre-rôle chez les citoyens qui peuvent se découvrir un candidat fétiche ou tout au contraire se détourner d’un autre. À la télévision, les candidats semblent plus « réels », leur voix, leur gestuelle, leur répartie, leur tonalité générale, leur comportement, la façon dont ils amènent leurs idées, tout cela joue, même de façon indirecte, c’est indubitable. L’équité enterre d’office les petits candidats et sous-tend l’idée que leur existence est celle d’hommes et de femmes en orbite autour des candidats médiatiquement favorisés et dont la voix est moindre.
Sans aller jusqu’à prôner la discrimination positive en faveur des petits candidats – même si cette hypothèse n’est pas plus folle qu’une autre – il faut s’indigner d’une équité qui ne donne pas toutes les chances à chacun et qui nuit au pluralisme des opinions politiques.
Quand la transparence devient nuisible
Enfin, une autre mesure qui a fait couler beaucoup d’encre depuis l’entrée en vigueur de cette loi est la publication de la totalité des parrainages au Journal Officiel. L’argument avancé est bien sûr celui de la transparence. Encore un terme employé à tort et à travers car tout n’a pas à être divulgué. La question éthique qui se pose ici est de savoir si un élu local doit nécessairement voir le soutien qu’il accorde connu de tous. La réponse est non. Pour les maires encartés, cette transparence est une véritable prise de risques. Nul n’ignore désormais le harcèlement, les pressions et parfois même les chantages – dont le chantage aux subventions – que subissent les maires. Si Jean-Luc Mélenchon n’a pas encore atteint ses 500 parrainages, c’est aussi parce que le PCF, par ses 850 relais locaux, lui bloque volontairement le passage (4). Les maires des communes rurales souffrent particulièrement de cette transparence. Un récent article d’Ouest-France rapporte à ce sujet les propos du maire d’Estrée-la-Campagne (Calvados), Gilles Lefebvre : « Je suis maire depuis 1989. Si lors des premières campagnes présidentielles, la pression était moindre, elle est devenue plus importante au fil des années […] ». En outre, plusieurs maires avancent l’hypothèse que cette transparence pourrait déplaire à leurs habitants (5). Surtout que parrain ne veut pas forcément dire approuver le programme d’un candidat. Certains maires peuvent aussi vouloir donner à des candidats moins importants la chance de s’exprimer, loin des querelles gauche-droite.
Ainsi, bien loin de constituer une quelconque modernisation au sens d’une avancée démocratique pour les électeurs, la loi organique du 25 avril 2016 alimente toujours plus l’esprit de caste en mettant en valeur les gros candidats et en dépréciant les petits. Elle entrave l’émergence d’un véritable pluralisme des opinions et marque un point de non-retour dans une volonté de contrôler le choix électoral des citoyens. Tout un chacun sait que la politique est une jungle. Le rôle de la loi devrait être de jouer les garde-fous dans ce monde de requins. Au lieu de ça, ces nouvelles mesures entérinent la domination du plus fort.
Notes :
(1) Voir la page « Pouvoirs publics : règles applicables à l’élection présidentielle » sur le site de l’Assemblée nationale.
(2) Delphine Cuny, « Qui sont ces 17 % de Français qui n’ont pas internet ? », nouvelobs.com, 27 novembre 2015
(3) Romain Houeix, « Présidentielle française : quel temps de parole pour les candidats dans les médias ? », france24.com, 25 février 2017.
(4) Marc de Boni et Sophie de Ravinel, « Le chantage aux parrainages du PCF sur Mélenchon », lefigaro.fr, 9 mars 2017.
(5) Guillaume Ballard, « Les maires ruraux harcelés pour leur parrainage », ouest-france.fr, 3 mars 2017.