On aurait pu croire que le « soutien » officiel apporté par Mauricio Macri à Hillary Clinton avant l’élection américaine constituait une erreur politique définitive qui nuirait de façon conséquente aux relations entre les États-Unis et l’Argentine. Ce pourrait être l’inverse. Et si Trump se révélait une carte à jouer pour le président argentin ?
Durant l’été 2016, en pleine campagne présidentielle américaine, le président argentin de centre-droit Mauricio Macri avait officiellement apporté son soutien à la candidate démocrate, en expliquant qu’il voulait privilégier « les relations, les réseaux », contrairement à Donald Trump qui souhaitait selon lui « dresser des murs » (1). Si ce soutien avait sans nul doute causé certaines tensions internes entre le camp républicain et le parti Compromiso para el cambio (« Le Compromis pour le changement ») de Macri, tout espoir de bonnes relations entre les deux pays est loin d’être perdu, bien au contraire.
Plusieurs raisons expliquent cela. Tout d’abord, un parti pris lors d’une campagne présidentielle ne laisse pas forcément présager de mauvaises relations avec le gagnant que l’on n’a pas soutenu. Si on raisonne en termes de RealPolitik, c’est-à-dire de manière pragmatique, il y a tout lieu de penser que les intérêts respectifs des deux pays feront oublier le faux pas. De plus, et ce n’est pas un détail, Donald Trump et Mauricio Macri se connaissent bien et depuis longtemps. Le président américain a même déclaré que Mauricio Macri était « un bon ami depuis de très longues années », après lui avoir rendu dommage en ces termes : « C’est quelqu’un de bien et il sera un grand président de l’Argentine » (2).

Un parcours commun en miroir
Le parcours des familles Trump et Macri convergent sur de nombreux points. Les deux hommes sont issus de familles d’hommes d’affaires dans lesquelles le deal est maître. Donald Trump a pris les rênes en 1971 de l’entreprise de son père (Fred Trump) Elizabeth Trump & Son, qu’il a aussitôt renommé The Trump Organization. Il a ensuite créé sa célèbre filiale, la Trump Entertainment Resorts en 1995 et bâti un empire gigantesque à son nom autour de secteurs clé tels que les immeubles de luxe, les golfs ou les casinos.
De son côté, Mauricio Macri a grandi dans l’une des familles les plus fortunées d’Argentine. Son grand-père, Giorgio Macri, immigrant italien, a donné naissance à trois fils et une fille, dont le père de Mauricio, Franco Macri. Ce dernier a lui aussi, en l’espace de soixante ans, construit un empire industriel (3) en Argentine autour du groupe familial Socma (Societad Macri). La première rencontre entre la famille Trump et la famille Macri a lieu dans les années 1980. À cette époque, Franco Macri tente de s’allier au groupe Trump pour gagner le marché américain en vendant des parts de sa société.
L’entreprise tourne court mais cela n’empêche pas Donald Trump de qualifier, dans son livre The Art of the Deal, sorti en 1987, le duo Franco/Mauricio Macri « d’équipe très intelligente » (4). « Ce qui leur manquait était l’expérience, en particulier à New-York », ajoute-t-il. Il n’en reste pas moins que les deux familles ont conservé des liens consistants, qui rapprochent le président américain et le président argentin.
Macri : l’interlocuteur sud-américain le plus audible pour Trump
Le protectionnisme affiché par Donald Trump durant sa campagne ne l’empêche pas d’être le chantre du modèle économique libéral et ne le dispensera pas de nouer des partenariats commerciaux s’ils sont dans l’intérêt des États-Unis. Il faut plutôt analyser cet étendard brandi du protectionnisme comme une volonté farouche de ne pas voir d’autres États s’immiscer dans sa politique (ce qui reste une prétention totalement légitime) et de pérenniser ce que les autres présidents ont alimenté avant lui, le principe d’une Amérique intouchable mais gendarme du monde. Autrement dit, un protectionnisme dans les cas où on voudrait attenter à la souveraineté américaine ou la rendre passive dans le grand échiquier international, et un libéralisme pleinement assumé lorsque les États-Unis maîtrisent le jeu. Mieux vaudrait parler d’isolationnisme libéral traditionnellement américain pour qualifier la position de Donald Trump. Avec Mauricio Macri, le président américain partage un socle d’idées communes, autour du libéralisme économique. En effet, le président argentin a souhaité amener son pays sur la voie du libéralisme, rompant ainsi de manière inédite et surtout ferme avec le kirchnérisme.
De 2003 à 2015, le couple Kirchner a mené une politique de gauche, basée sur un modèle économique interventionniste avec de nombreuses nationalisations et une fermeture du pays aux investisseurs privés étrangers (ce qui différencie là l’Argentine kirchnériste de l’Uruguay de José Mujica qui a su combiner un interventionnisme dans l’économie et des mesures sociales, tout en acceptant les investisseurs étrangers). Une politique dont on peut trouver des points positifs comme négatifs mais qui surtout allait dans le sens d’une distanciation avec les États-Unis. Mauricio Macri symbolise le tournant libéral de l’Argentine comme celui que certains pays ont pu observer dans les années 1980. En 2016, il a par exemple organisé un grand forum d’investissement où étaient invités des entreprises internationales et des hommes d’affaires (5).
Ainsi, Donald Trump et Mauricio Macri peuvent passer outre leurs divergences car ils se reconnaissent l’un l’autre, ils parlent le même langage, maîtrisent les mêmes codes et ont gardé leurs habits d’hommes d’affaires. Depuis son élection, le président argentin représente donc l’interlocuteur le plus « trumpo-compatible » sur le continent sud-américain.
États-Unis-Argentine : des partenaires commerciaux intéressants
Après avoir été excédentaire durant des années, la balance commerciale de l’Argentine a été déficitaire en 2015 (338 millions de dollars), pour finalement redevenir excédentaire en 2016 (4,4 milliards de dollars) (6). Depuis son élection, Mauricio Macri entend renforcer ses relations avec les États-Unis et l’Union européenne. En effet, son premier partenaire commercial est le Brésil qui représentait encore, en 2015, 17,8 % des exportations argentines et 21,8 % des importations. Mais la situation conflictuelle et la crise que traverse ce pays a perturbé les exportations de l’Argentine au niveau du secteur de l’automobile.
L’État argentin se voit donc contraint de tout mettre en œuvre pour multiplier ses relations avec d’autres partenaires. S’il est vrai qu’un quart des exportations de l’Argentine sont toujours régionales, avec le Mercosur (25,3 %), les États-Unis représentent à eux-seuls 6 % de ces exportations, composées par exemple de biodiesel. Les Américains occupent donc déjà une bonne place de clients pour l’Argentine (7).
Les États-Unis : tremplin international pour l’Argentine ?
Par ailleurs, Donald Trump et Mauricio Macri se sont réunis fin avril à la Maison blanche afin d’aborder le sujet d’un renforcement des relations entre les deux pays. Qualifiée de « très positive » par le gouvernement argentin, cette rencontre a notamment donné lieu à une facilitation des délivrances de visas et de l’entrée des Argentins sur le sol américain. Donald Trump a également annoncé la levée du veto américain qui pesait sur l’exportation de citrons argentins.
Depuis 2001, les États-Unis avaient fermé leurs frontières à l’arrivée de ces citrons pour des motifs sanitaires en raison de parasites sur les agrumes, danger qui n’existe plus aujourd’hui. L’Argentine restant le plus important producteur de citrons au monde, cette mesure devrait donc logiquement constituer une bouffée d’oxygène pour le pays qui pourra désormais se remettre à exporter ses citrons vers un partenaire commercial important. Autre preuve d’une alliance entre les deux États, il ressort de cette réunion que Donald Trump a décidé d’œuvrer activement à l’entrée de l’Argentine dans l’OCDE (7).
Si des paroles restent des paroles et qu’il faudra attendre des faits, cette promesse constitue néanmoins un soutien de poids pour l’Argentine qui gagnerait sans conteste en puissance sur la scène internationale en entrant dans l’OCDE. N’oublions pas que les pays membres de cette organisation ont tous pour points communs d’être : des démocraties, des pays développés et d’avoir une économie de marché. Gage de stabilité, de reconnaissance internationale et probablement de bénéfices économiques, l’Argentine pourrait dès lors jouer dans la cour des grands. Si l’issue de ces rapprochements reste incertaine, le président argentin fait là un pari aussi bien économique que politique.
Notes :
(1) « Macri apoyo a Hillary y critico a Trump : “Levanta muros” », bigbangnews.com, 10 mai 2016.
(2) « USA : Donald Trump reçoit son ami de longue date, Mauricio Macri », rtbf.be, 27 avril 2017.
(3) Voir la page « Historia de la familia Macri ».
(4) Uki Goñi, « Trump did not ask Argentina’s president for business favor, spokesman says », theguardian.com, 21 novembre 2016.
(5) « L’Argentine convoque un grand Forum pour attire les investisseurs », zonebourse.com, 10 septembre 2016.
(6) Voir sur le site de la direction générale du Trésor français l’actualité économique et financière de l’Argentine du 24 au 30 mars 2017.
(7) Voir les chiffres du commerce extérieur de l’Argentine présentés par la Société générale et par le Trésor public français.
(9) « Estados unidos apoyo a la Argentina para ingresar a la OCDE », infobae.com, 21 avril 2017.