En annonçant jeudi que les États-Unis entendaient se retirer de l’Accord de Paris signé en décembre 2015 au terme de la Cop21, le président américain Donald Trump a suscité une vague d’indignation, d’inquiétude et d’incompréhension. La colère qui suit le renoncement aux promesses environnementales de son pays est certes légitime mais les réactions observées s’avèrent souvent disproportionnées aux conséquences probables de la décision.
C’était le 12 décembre 2015. Laurent Fabius, ministre français des Affaires étrangères, ému aux larmes, paraphait le texte final de l’Accord de Paris sur le Climat, conclusion réussie d’un long marathon diplomatique. La France était parvenue à convaincre des pays aux intérêts divergents – parmi eux, les gros « pollueurs » que sont la Chine, les États-Unis, l’Inde et la Russie – de signer le protocole commun qui devait permettre de sauver la planète du désastre écologique en limitant à 2°C l’élévation de la température mondiale. Déjà, des experts de l’environnement et des juristes invitaient à la prudence. Garder le sens de la mesure s’imposait au regard du contenu et des modalités d’application de l’Accord. Non qu’il fût déclaratoire : il s’agissait bien d’une convention internationale, qui engagerait les États à l’issue de la ratification et leur imposerait des obligations contraignantes de diverse nature (contribution à la réduction des gaz à effet de serre, obligation de rendre des comptes, révision périodique des objectifs, participation financière…). Mais toutes les précautions avaient été prises pour obtenir l’unanimité, grâce au principe général « d’équité » impliquant des responsabilités différenciées, plus encore à l’absence de sanction en cas de manquement et à la formulation de certaines mesures (il en est ainsi du plafonnement mondial des émissions de CO2) sous forme de souhaits plutôt que des normes[1].
Les États-Unis dans le sens de « leur » histoire ?
En engageant les États-Unis dans l’Accord de Paris, le président Barack Obama avait rompu avec les orientations de ses prédécesseurs, démocrates comme républicains. Les dissonances autour des accords de Kyoto il y a vingt ans traduisaient bien la réticence de l’administration fédérale américaine à imposer à ses industries des normes environnementales qui pourraient affecter la croissance du pays. Obama, pragmatique, avait pris acte de l’essor de l’économie verte pour se distancer de la politique climatique menée jusqu’alors. Mais l’on oublie souvent de mentionner que l’ancien Président n’avait pas facilement accepté le caractère « contraignant » de l’Accord, craignant que le Congrès ne s’opposât à la ratification[2]. En revenant sur cette émancipation pourtant salutaire, Donald Trump respecte une promesse de campagne et revient à ce qui avait été la position quasi-constante des États-Unis dans le débat international sur la protection de la nature. Présenter ce changement de pied comme un « coup de tonnerre » est dès lors excessif : annoncé par le candidat républicain, il marque un retour à une doctrine climatosceptique bien connue outre-Atlantique.

L’argument avancé par un président américain peu réputé pour la diversité de ses formules n’est autre que le leitmotiv de sa campagne 2016 : America first ! Cela s’entend politiquement et économiquement. Politiquement, Trump poursuit une ligne diplomatique ambiguë, qui se voudrait isolationniste sans renoncer à l’interventionnisme militaire (Syrie, Corée du Nord) ; il entend montrer que les États-Unis gardent leur autonomie complète dans le concert des Nations et n’entendent suivre que leurs propres directives. Économiquement, la décision de la Maison Blanche laisse bien plus pantois car elle répond à une lecture probablement erronée de situation du pays et des revendications des Américains eux-mêmes. Donald Trump présente la convention incriminée comme défavorable aux intérêts américains, spécifiquement aux emplois dans l’industrie du charbon. Il s’y oppose donc tout en laissant la porte ouverte à une très hypothétique renégociation. Pirouette déresponsabilisante plutôt que revendication sincère. « Aux États-Unis, le secteur des affaires est plutôt ‘‘pro COP21’’ et il y a un paradoxe dans la position du président américain : même du point de vue strictement économique, il y a plus d’opportunités de création d’emploi et de développement d’activités dans les énergies renouvelables que dans la réactivation de centrales à charbon » relève Bertrand Gacon, spécialiste suisse de la « finance responsable », dans Les Échos[3]. Et si la décision de Donald Trump était davantage une véritable erreur économique interne que ce crime contre l’environnement spontanément dénoncé ?
Pas d’abandon de la lutte contre le dérèglement climatique
Les commentaires délirants qui ont suivi l’annonce par Donald Trump du retrait américain de l’Accord sont au diapason de l’hostilité affichée par la majorité des Américains et par les pays Occidentaux en général envers l’ancien magnat de l’immobilier. Difficile pour autant de considérer la décision comme l’arrêt de mort des efforts internationaux pour le climat. Le secrétaire d’État américain Rex Tillerson, personnellement favorable à l’Accord de Paris, s’est empressé de confirmer dès jeudi soir la poursuite de la politique américaine de réduction d’émission de gaz à effet de serre. La préservation de l’environnement relevant aussi de la compétence des entités fédérées, les politiques vertes engagées par les États américains ne seront en principe pas affectées. Certains représentants d’ONG et des scientifiques abondent déjà dans ce sens : le retrait annoncé n’aura des conséquences que limitées et pourrait même favoriser un renforcement des exigences de la part des pays les plus volontaires pour accélérer la lutte contre le réchauffement climatique[4]. L’aspect le plus négatif sera in fine financier. Sont suspendus les versements américains aux organes de la Convention-cadre des Nations-Unies sur les changements climatiques (15 milliards de dollars annuels, soit près d’un tiers de leur budget) ainsi qu’« fonds vert pour le Climat » destiné à favoriser l’adaptation des pays du Sud (2 milliards de dollars non versés)[5].
« Difficile de considérer la décision de Donald Trump comme l’arrêt de mort des efforts internationaux pour le climat ».
Ni optimisme déplacé ni pessimisme apocalyptique ne paraît justifié. Quoique Trump renie en effet les engagements pris par Barack Obama au nom de la première puissance mondiale, il ne saurait briser la prise de conscience pour l’environnement. Ni, par voie de conséquence, les initiatives nationales ou mondiales en faveur des énergies renouvelables et de la réduction des facteurs de pollution et de réchauffement. Dans la foulée de ce tohu-bohu, l’Inde vient d’ailleurs de réaffirmer son attachement à l’Accord de Paris après avoir été l’un des États les plus difficiles à convaincre en amont de la Cop21, et souhaite même aller au-delà des termes de la convention.
Consensus sur l’essentiel
Les intérêts économiques nationaux produisent une tension permanente sur le compromis de Paris. La consultation de la liste des signataires et des ratifications en atteste. L’Accord est bien entré en vigueur le 4 novembre 2016, grâce au dépôt des instruments de ratification par les 55 premiers États-parties. Ils sont désormais 148 auxquels il s’applique. Reste un quart d’entre eux qui ne sont pas encore allés jusqu’au bout du processus (dont la Russie)[6]. La Cop22 fort peu médiatisée qui s’est tenue en décembre 2016 à Marrakech a précédé la décision de l’administration Trump mais témoignait déjà des dissentions non réglées entre les différentes puissances contractantes. Une vingtaine de représentants du monde arabe ne se sont pas rendus à cette conférence. En cause : des frictions diplomatiques avec le Maroc organisateur mais aussi la protection de l’économie basée sur les énergies fossiles et un manque d’intérêt manifeste de ces États pour les changements climatiques. Les États de la Ligue arabe tardent par conséquent à ratifier voire même à signer l’Accord de Paris[7]. Les lubies de Donald Trump n’atteindront pas l’essentiel : la plupart des pays du monde s’accordent désormais sur la nécessité d’accomplir la transition écologique, preuve que les temps ont bien changé. La seule question : quand et comment ? Imposer sur la durée un calendrier et des objectifs communs aux acteurs politiques et économiques reste bien le défi à relever.
Notes :
[1] Bettina LAVILLE, « ‘‘Contraindre les États et les éléments ?’’ : le pari de… l’Accord de Paris », Énergie – Environnement – Infrastructure, n°2 février 2012 (étude 2).
[2] Ibidem.
[3] Emmanuel SCHAFROTH, « Betrand Gacon : ‘‘Il faut relativiser le retrait des États-Unis de la Cop21’’ », lesechos.fr, 6 juin 2017.
[4] « Accord de Paris : pour des experts, sans les États-Unis, c’est mieux », lepoint.fr, 2 juin 2017.
[5] Simon ROGER, « Accord de Paris : la sortie de Washington aura des implications financières immédiates », lemonde.fr, 3 juin 2017.
[6] Voir l’état des ratifications de l’Accord de Paris sur le site de la CCNUCC.
[7] Salaheddine LEMAIZI, « Désunion arabe face aux changements climatiques », orientXXI.info, 13 décembre 2016.