Le jour d’après… L’étrange victoire de La République En Marche

L’interminable séquence électorale a pris fin hier soir avec le second tour des élections législatives. La logique voulue par les instigateurs du quinquennat a été respectée : le Président de la République a obtenu une majorité à sa main pour les cinq années à venir. Plusieurs signaux – à commencer par le record d’abstention – relativisent pourtant la victoire de La République En Marche et rendent imprévisible la situation politique. 

La République En Marche (LREM) et le MoDem totaliseront dans la nouvelle Assemblée nationale 348 sièges (respectivement 308 et 42)[1]. Cette victoire nette, accentuée par le mode de scrutin majoritaire, se fait au détriment des deux partis traditionnels, laminés, frappés de plein fouet par ce que Jean-Luc Mélenchon (élu hier à Marseille) avait appelé le « dégagisme ». Le PS n’obtient que 29 sièges (46 avec ses alliés d’EELV, radicaux et divers gauche) et Les Républicains limitent la casse en « sauvant » 113 sièges (jusqu’à 130 avec leurs alliés). Emmanuel Macron a réussi son pari : quoique le résultat final se situe dans la fourchette basse des projections qui lui donnaient jusqu’à 450 sièges, il pourra compter sur une majorité absolue de députés, sans même l’apport du MoDem. Une donnée clef à l’heure où François Bayrou et Marielle de Sarnez sont directement visés par une affaire de présumés emplois fictifs d’attachés parlementaires.

Large majorité à l’Assemblée, petite minorité dans l’électorat

Favoris sur la plupart des duels de second tour en raison de la quasi-absence de triangulaire, les candidats de la LREM et du MoDem ont triomphé dans une étrange atmosphère de débandade citoyenne. Déjà très élevée et inédite au premier tour dimanche dernier, l’abstention a été hier la plus importante enregistrée sous la Ve République pour ce type de scrutin. Et de loin : 57,36 % des électeurs ne se sont pas déplacés. Avec seulement 42,64 % de participation (- 12,8 points par rapport à 2012 !), c’est la première fois depuis 1958 que la chambre basse du Parlement est désignée par moins d’un électeur sur deux. Si l’on ajoute à ce très mauvais chiffre plus de 9,5 % de bulletins blancs et nuls sur l’ensemble des suffrages exprimés, le contraste entre l’image du nouvel hémicycle et la réalité du vote est saisissant. La majorité présidentielle totalise 60 % des sièges mais ne représente que 15,5 % à 19 %[2] des citoyens français inscrits sur les listes électorales. Si un décalage est inévitable entre la proportion de sièges obtenus et le rapport de voix – ceci en raison du vote non obligatoire et du mode de scrutin majoritaire – son ampleur est hors norme.

AN2017

Des débats sur la représentativité des députés se tiendront dans les mois à venir autour de la question de l’introduction intégrale ou partielle de la proportionnelle pour la désignation de l’Assemblée nationale.  Quelle que soit la réponse, la législature qui s’ouvre pour cinq ans est marquée d’emblée par une contradiction qui aura des conséquences sur le climat politique et social : large majorité d’élus, petite minorité d’électeurs. La position centrale occupée par le parti LREM très dominant dans l’hémicycle anéanti de facto toute opposition parlementaire réelle, d’autant plus que les groupes qui se constitueront autour des élus PS et LR à sa gauche et sa droite devraient régulièrement mêler leurs suffrages à ceux du camp présidentiel. C’est bien la confirmation de la monopolarisation de la vie politique qui était crainte. L’opposition à Emmanuel Macron qui existe dans l’électorat au point d’être majoritaire ne trouvera de traduction à l’Assemblée que par la voix de représentants peu nombreux et éclatés, principalement ceux de la France Insoumise et du Front National (lequel enverra 8 députés au Palais Bourbon).

La recomposition en péril

Ce sont presque des visages d’apaisement qu’offraient aux téléspectateurs de la soirée électorale les émissaires du PS et de LR. Non que ces législatives ne furent pas un massacre, surtout à gauche – on ne compte plus le nombre de ministres de François Hollande défaits par les urnes ces 11 et 18 juin – mais elles s’annonçaient bien pire pour les deux formations historiques et leurs alliés. Ce soulagement est pourtant un grand piège. Le phénomène Macron présentait au moins une vertu : celle de bousculer les lignes partisanes et de forcer à la recomposition politique, quitte à connaître pour une période temporaire l’absence d’opposition cohérente et représentée. En considérant leur peau égratignée mais sauve, les socialistes et la droite de gouvernement pourraient passer à côté de la remise en question profonde auxquels ils doivent faire face. La démission logique, dès 20h15, du premier secrétaire du PS Jean-Christophe Cambadélis ne suffit pas à garantir la mort totale du PS ni à présager sa refonte en profondeur en vue d’un sursaut. Il n’est pas exclu que le PS vivote encore de longues années, inutile et exsangue. La défaite de LR est quantitativement moins sévère mais la tentation de l’attentisme est grande. Très proche du programme macronien, l’aile « gauche » de LR pourrait s’inscrire davantage dans la majorité que dans l’opposition. Une scission est probable avec les tenants de la ligne dure (Wauquiez, Ciotti, Fenech…). La simple droitisation de LR sous l’effet de la « force centrale » exercée par LREM est condamnée d’avance si une réflexion profonde sur la mondialisation et la question sociale n’est pas entamée en parallèle. Il est plus qu’incertain que l’ancien parti pseudo-gaulliste recèle encore des personnalités en mesure de relever le défi qui l’attend.

Un renouvellement en trompe-l’œil

L’élection de juin 2017 marque-t-elle le début d’une ère nouvelle ou n’est-elle qu’une parenthèse insolite, conséquence du marketing électoral ? Très féminisé (233 femmes siègeront jusqu’en 2022), l’hémicycle sera aussi rempli de nouvelles têtes. Emmanuel Macron a su le mieux tirer profit du rejet des Français pour leur classe politique, rejet qui atteignit sous le calamiteux quinquennat Hollande un point de non-retour. Il en a fait une stratégie complète pour vaincre ses adversaires fatigués par des années, sinon des décennies de combat partisan. La manœuvre est habile : elle consiste à donner à une bonne question – comment en finir avec le discrédit du personnel politique et les « cumulards » ? – une réponse délibérément incomplète – changer ce personnel politique. L’affichage de la mesure suffit à lui seul pour stimuler l’espoir et l’adhésion. L’illusion d’un déblocage de la société française parce que M. X., 74 ans et six mandats, va céder son siège à Mme Y., 32 ans et jamais élue, dure juste le temps d’une élection.

« Les Français devraient rapidement percevoir que l’essentiel a été laissé de côté : le renouvellement de la représentation nationale ne s’accompagnera pas d’un changement de logiciel idéologique… »

Selon le politologue Pascal Perrineau, nombre de candidat présentés pour le compte de la majorité présidentielle ne seraient pas des nouveaux venus en politique, mais souvent des élus locaux et d’anciens prétendants malheureux à la députation[3]. Maintenant que débutent les choses sérieuses, les Français devraient rapidement percevoir que l’essentiel a été laissé de côté : le renouvellement de la représentation nationale ne s’accompagnera pas d’un changement de logiciel idéologique, car telle n’était pas l’intention du Président de la République.

Par ailleurs, l’appel à la société civile pourrait modifier la manière d’exercer le pouvoir mais il n’est en rien un gage de vertu. Dès la liste de candidats investis par LREM connue, apparaissaient les premiers ratages : une candidate de l’Hérault visée par une enquête pour prise illégale d’intérêt, une autre soupçonnée d’avoir placé en location un logement insalubre, un candidat guadeloupéen qui tenait l’homosexualité pour une « abomination », une ancienne étudiante exclue de l’école du barreau de Lille pour faux diplôme… La liste s’est allongée chaque jour précédant le scrutin. Au sommet de celle-ci figure le ministre de la Cohésion des territoires, réélu hier député du Finistère, Richard Ferrand. Ce proche parmi les proches d’Emmanuel Macron est aujourd’hui soupçonné de conflit d’intérêt dans l’affaire des mutuelles bretonnes. Les procédures de sélection tant vantées pour les investitures LREM débouchent sur un flop. Et le mythe d’une société civile préservée des bassesses de l’impitoyable milieux politique a d’ores et déjà fait long feu.

L’élan LREM en perte de vigueur ?

Les résultats du second tour des législatives apportent un ultime enseignement, qui n’est pas le moins inquiétant pour la toute nouvelle majorité parlementaire et pour le Président Macron lui-même. Les données de participation et la comparaison avec les chiffres du premier tour laissent entrevoir une démobilisation des électeurs de LREM. L’élan surévalué mais néanmoins réel qui a permis l’élection du plus jeune président de la République de notre histoire s’estompe. Il y a là un vrai signal d’alarme pour l’Élysée.

Malgré l’envie de changement en sa faveur et le soutien massif d’un système médiatique dont le parti-pris se situe quelque part entre l’intérêt de classe et l’indécence[4],  LREM a déjà le couteau sous la gorge. « Nous sommes condamnés à réussir », a averti Emmanuel Macron peu de temps après son investiture. Comment réussir lorsque l’on apporte dans sa panoplie de sauveteur la plupart des solutions déjà éprouvées par les gouvernements précédents ou ceux de nos voisins, avec le succès très contestable que l’on sait ? Comment réussir avec un socle électoral aussi faible et aussi marqué sociologiquement que celui d’En Marche ? Comment réussir en revendiquant à l’avance le passage au forceps d’une remise en cause majeure du modèle social français ? Comment réussir lorsqu’on a sciemment fait élire des députés novices, parfois même douteux, au risque de se discréditer rapidement ? Emmanuel Macron a certainement révolutionné la manière de remporter une élection présidentielle et a ainsi ringardisé ses rivaux. Tout laisse pourtant présager un quinquennat chaotique.


Notes :
[1] Chiffres publiés par le Ministère de l’Intérieur, 18 juin 2017.
[2] Total du pourcentage de voix obtenues par rapport au nombre d’inscrits par l’alliance LREM +MoDem respectivement lors des premier et second tours de ces législatives.
[3] Julien Ricotta, « Pascal Perrineau : ‘‘la République en Marche est une machine à recycler’’ », europe1.fr, 6 juin 2017.
[4] Lire l’interview du sociologue des médias Nicolas Framont par Ludivine Bénard, « Macron et les médias, ‘‘un climat de pâmoison, quasiment masturbatoire’’ », vice.com, 17 juin 2017.

Auteur : Pierre-Henri Paulet

Contributeur et éditorialiste de 'Voix de l'Hexagone'. Rédacteur en chef de la revue 'Cité'.

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