The Handmaid’s Tale : « Ne laisse pas les bâtards te broyer. »

Par Marine Dulac.

Les conséquences de la pollution sur l’environnement et notre santé, les nombreux débats et autres pressions – encore aujourd’hui – entourant les femmes et la maternité, la restriction de certaines libertés… Autant de sujets très actuels dans le monde en 2017 et abordés il y a déjà plus de 30 ans dans le livre The Handmaid’s Tale (1). Oeuvre visionnaire vendue à des millions d’exemplaires à travers le monde, ce roman dystopique a fait l’objet de plusieurs adaptations, la dernière en date étant la série du même nom diffusée à partir du mois d’Avril 2017 sur la plateforme à la demande Hulu, sur OCS en France. Pari réussi puisque la première saison a été un succès public et critique (plusieurs prix aux Emmy Awards) et qu’une deuxième saison est prévue pour 2018. Les 13 nouveaux épisodes traiteront largement d’éléments seulement évoqués dans le livre. L’occasion de se pencher d’un peu plus près sur la complémentarité entre le roman et la série, lien d’autant plus intéressant et révélateur que l’auteure du livre, Margaret Atwood, participe à l’élaboration de la série.

[Attention, cet article contient des spoilers sur la série et le livre.]

The Handmaid’s Tale (La Servante écarlate en VF) est à l’origine un livre de Margaret Atwood, publié pour la première fois en 1985. Le monde qui nous est présenté est celui de la République de Gilead. Dans cette société, les femmes sont divisées en plusieurs catégories : les Epouses des Commandants, les Marthas qui s’occupent de la maison, les Tantes, qui veillent à « l’éducation » des Servantes écarlates. Ces dernières, vêtues de rouge, ont désormais pour seul but de procréer. Toutes les autres femmes sont envoyées dans les Colonies pour trier des déchets toxiques. The Handmaid’s Tale suit l’histoire de June, servante écarlate désormais appelée Defred. Plutôt que de faire la liste des points communs et des différences entre le roman et la série de 2017 pour évaluer la réussite (ou non) de l’adaptation, il semble ici plus pertinent de montrer dans quelle mesure les deux œuvres se complètent et s’apportent mutuellement.

La reconstitution et la recontextualisation de la série

La série diffusée cette année n’a pas opté pour une adaptation à la lettre. En effet, une adaptation signifie faire des choix, il s’agit donc d’une reconstitution. C’est pourquoi il apparaît important d’avoir recontextualisé la série dans notre monde d’aujourd’hui que l’on retrouve au travers de flashbacks : technologies, mode vestimentaire, évocation de Tinder… On peut apprécier que peu de descriptions physiques des personnages sont données dans le roman. Chaque lecteur fait fonctionner son imagination, et la série a pu tirer profit de cette liberté au niveau du choix des acteurs. Pour ceux qui ont lu le roman, il est très facile de retrouver l’esprit du livre, qui est complètement respecté, lorsque l’on regarde la série. Les monologues internes de Defred (autrefois appelée June) reprennent parfois mot à mot des passages marquants de l’oeuvre de Margaret Atwood. Pourtant, il est fort probable que le spectateur se trouve également étonné à la vue de certains décors, notamment celui du supermarché. Puisque le roman a été rédigé il y a plus de 30 ans, cela se ressent forcément dans l’écriture. La société a changé et fortement évolué lors des dernières décennies, il était donc logique qu’une adaptation en 2017 reflète notre période actuelle.

servantes 2

Néanmoins, outre la recontextualisation très intéressante et révélatrice, certaines scènes de la série s’appuyant directement sur le roman ouvrent une réflexion par rapport au point de vue du personnage principal ainsi que du spectateur (et lecteur) lui-même. Citons une des scènes entre Defred et le Commandant dans le bureau de ce dernier : dans la série, il s’agit d’un moment où l’on perçoit très clairement qu’elle doit se faire violence pour accéder à la requête du Commandant, à savoir l’embrasser. Le regard qu’elle lui lance, la lenteur et la tension de la réalisation, le Commandant qui nous apparaît presque menaçant marque un contraste avec la lecture de cette même scène dans le roman. En effet, si Defred laisse son esprit dériver sur la façon dont elle pourrait le blesser et le vider de son sang, voilà ce qu’elle nous apprend quelques lignes plus tard.

« En fait, je ne pense à rien de tel. Je l’ai seulement rajouté après coup ; peut-être aurais-je dû y penser, sur le moment, mais je ne l’ai pas fait. Comme je l’ai dit, ceci est une reconstitution.

Je réponds ‘D’accord.’ Je vais vers lui et pose mes lèvres, serrées ; je sens l’odeur d’après-rasage, celle de toujours, le relent d’antimite que je connais bien. Mais c’est comme s’il était quelqu’un que je viens de rencontrer.

Il s’écarte, baisse les yeux sur moi. Encore ce sourire, le sourire désarmé. Quelle candeur. ‘Pas comme cela, dit-il. Comme si vous m’embrassiez pour de vrai.’

Il était tellement triste.

Cela aussi est une reconstitution. »

Cet extrait, qui peut être mis en lien avec d’autres moments, nous amène à une analyse beaucoup plus générale sur l’interprétation que l’on peut avoir en lisant un roman, en regardant un film ou une série, ou même ce que l’on vit. Chaque lecteur et spectateur a sa propre interprétation, son point de vue unique, résultat d’une multitude de paramètres, de son expérience personnelle et de sa compréhension du monde. On peut également se faire la remarque suivante : le roman nous offrait le seul point de vue de Defred, et par conséquent la manière dont nous est décrite les personnages l’entourant. Et si cela expliquait en partie le contraste entre des scènes de la série et des passages du roman ? La citation de Zadie Smith « Chaque moment se produit deux fois : à l’intérieur et à l’extérieur, et ce sont deux histoires différentes. » (2) – se révèle particulièrement juste et matière à (auto)analyse. La série, tournée en 2016 et diffusée cette année, a forcément une mise en lumière, une interprétation, une relecture qui évolue par rapport au roman écrit en 1985. Cela n’ôte en rien l’aspect visionnaire du livre qui touche à des problématiques bien actuelles : la pollution et ses conséquences, le statut des femmes, une certaine pression sociale vis à vis de ces dernières et de la maternité, et bien d’autres thèmes encore.

The Other Side

Concernant les personnages, la mère de June n’est citée qu’une fois dans la série alors qu’il est plus souvent fait référence à elle dans le roman. Impossible également de ne pas évoquer le rajeunissement des personnages du Commandant et de sa femme, Serena Joy. L’intérêt réside plutôt dans l’interrogation et le but de ce rajeunissement dans la série. Un début de réponse est peut-être apporté grâce au traitement du personnage de la femme du Commandant, qui est encore en âge de procréer dans l’adaptation télé. Plusieurs scènes évoquent sa tristesse et son désarroi de ne pas avoir d’enfant, d’être infertile. Chaque mois, elle attend avec de plus en plus d’impatience, voire de frustration, la nouvelle du « miracle ».

Un choix a été fait par rapport à la problématique de la pollution : nous en apprenons bien plus sur le contexte dans la série. Dans le roman, nous ne quittons pas Defred, nous apprenons ce qui se passe en même temps qu’elle. La série permet de prendre un peu de hauteur et de recul, et même si Defred reste incontestablement le personnage principal et celle dont on suit l’histoire, certaines scènes se déroulent sans elle. Ce n’est pas le cas dans le roman puisqu’elle est la narratrice. La série met en lumière d’autres personnages, notamment grâce à des flashbacks. Cela laisse l’occasion d’en apprendre plus sur la société sous la République de Gilead et les raisons de l’infertilité croissante des femmes et des hommes. Nul doute que la saison 2 continuera bien plus encore sur cette lancée.

Réalisation, B.O. et choix des acteurs

Une adaptation réussie sous-entend une réalisation de qualité, une B.O. dont on se souvient et qui enrichit l’oeuvre, ainsi qu’un casting talentueux. Le trio est réuni pour The Handmaid’s Tale.

Offred

La réalisation est très soignée, notamment les scènes entre Defred et le Commandant dans le bureau de ce dernier. Une attention particulière a été apportée au traitement des couleurs, ainsi qu’à l’ambiance de la série.

Le choix de la B.O. marque le spectateur, le plus souvent en fin d’épisode, juste avant de lancer le générique, avec une musique qui peut surprendre tout en faisant sens.

Enfin, les acteurs de la série sont extrêmement convaincants, avec une mention spéciale à Elisabeth Moss, habituée des séries télé, qui réussit à donner vie au personnage de June/Defred. Les nombreux plans sur son visage témoignent de son talent et de sa capacité à transmettre des émotions sans même parler, ou à travers la voix off. Elle incarne son personnage au point qu’il paraît bien difficile d’imaginer une autre actrice dans ce rôle après avoir regardé la série.

Des personnages nuancés aussi bien dans le livre que dans la série

Impossible de parler de The Handmaid’s Tale sans évoquer son personnage principal, June/Defred. Il est particulièrement facile d’avoir de l’empathie pour elle (grâce à l’écriture de Margaret Atwood et l’interprétation d’Elisabeth Moss). C’est avant tout un personnage extrêmement nuancé et imparfait. Defred n’est pas sans défaut ou sans conflit interne et c’est ce qui la rend intéressante.

« Alors que le roman, en suivant le monologue intérieur du personnage principal, passe régulièrement du présent au passé, à la femme qu’elle était, à la vie qu’elle avait, la série comporte de nombreux flashbacks qui apparaissent un peu plus structurés que les souvenirs du roman. »

On peut évoquer le rapport de « séduction forcée » qu’elle entretient avec le Commandant, usant de sa compréhension de lui et de la moindre occasion pour l’amener à lui donner des informations. La séduction en tant que telle est par ailleurs abordée à plusieurs reprises dans le roman. Defred est, comme toutes les servantes écarlates, avant tout un utérus, au service d’un Commandant et de sa femme. Il n’y a pas de place pour le désir, la séduction ou le romantisme. Defred note parfois le moindre détail ramenant à une possibilité de pouvoir de séduction. Le personnage de June/Defred est marqué par une envie de survivre et de retrouver les gens qu’elle aime, dont son mari et sa fille. Elle est courageuse tout en ayant peur et ne se montre pas aussi ouvertement rebelle que d’autres, comme son amie Moira. Elle observe beaucoup, sait se plier à ce qu’on attend d’elle pour survivre. Elle vit des moments de bravoure, d’autres où elle se sent impuissante, désespérée, mais aussi des passages où sa force de caractère porte l’histoire et nous inspire. Ce personnage principal est extrêmement complexe et riche, échappant à des clichés de femme idéalisée, sans combat intérieur.

Les souvenirs de June ont une place importante, si ce n’est primordiale, dans les deux oeuvres. Le roman suit le monologue intérieur du personnage principal, passe régulièrement du présent au passé, à la femme qu’elle était, à la vie qu’elle avait. En revanche, la série comporte de nombreux flashbacks qui apparaissent un peu plus structurés que les souvenirs du roman. Ceci se révèle cohérent, la série pouvant se permettre de se focaliser sur un aspect du passé en particulier durant un épisode, tandis que le livre suit les pensées de Defred. La série a eu la très bonne idée d’utiliser la voix off pour nous faire connaître les pensées et sentiments de June. Les questionnements de ce personnage, ses doutes, ses peurs, sa culpabilité, ses réflexions et analyses sur le monde dans lequel elle est, sur elle-même, sur ce qu’elle vit, sont passionnants. Le contexte et la violence de l’univers dans lequel elle se trouve désormais n’ôtent pas son caractère de femme intelligente, complexe, qui réfléchit et se pose des questions, mais également une femme avec des sentiments.

« ‘L’amour ?’ dit le Commandant.

Voilà qui est mieux. Voilà quelque chose que je connais. Nous pouvons parler de cela. J’avais dit, tomber amoureux. Tomber en amour, nous le faisions tous alors d’une manière ou d’une autre. Comment a-t-il pu prendre cela tellement à la légère ? Ricaner, même. Comme si c’était banal à nos yeux, une pose, un caprice. C’était, au contraire, une opération laborieuse. C’était l’événement central ; c’était le moyen de se comprendre soi-même. […]

Tomber amoureux, disions-nous. Je suis tombée amoureuse de lui. Nous étions des femmes qui tombions. Nous y croyions, à ce mouvement de chute : si délicieux, comme si l’on volait, et pourtant à la fois si terrible, si extrême, si improbable. »

Les autres personnages de The Handmaid’s Tale se révèlent tout aussi intéressants et nécessaires à l’histoire : le mari de June, Luke, et leur fille Hannah, Moira et d’autres servantes écarlates dont Deglen (formidable Alexis Bledel dans la série) ou Janine, tante Lydia, le Commandant et sa femme, Nick, Rita… Chaque personnage est suffisamment creusé, surtout dans la série où le format des 10 épisodes de 50 minutes permet d’en découvrir plus sur eux à un moment ou à un autre.

Les interactions entre les personnages sont très riches et complexes, notamment dans leur relation avec June/Defred. Parlons également du lien entre les servantes écarlates, mis en valeur à plusieurs moments dans la série et le roman.Selon les mots de June, puisqu’il y a un « eux », il y aura un « nous », celui des servantes écarlates.

Une œuvre de science-fiction au féminin

Le personnage principal de The Handmaid’s Tale est une femme, tout comme une grande partie des personnages. Les amateurs et amatrices de science-fiction le savent, les personnages principaux et les auteurs de romans de science-fiction sont encore en grande majorité des hommes. L’idée de cet article n’est pas de débattre sur l’existence ou non d’une « écriture féminine », mais il est tout de même très intéressant en tant que lecteur de suivre une dystopie d’un point de vue féminin, surtout quand la qualité et la réflexion sont au rendez-vous. La servante écarlate est une référence, un chef d’œuvre qui mérite sa mise en lumière, notamment depuis la diffusion de la première saison.

The Handmaid’s Tale est une œuvre glaçante sur bien des points, et qui pose de nombreuses questions. June est un personnage qui se rappelle, qui a connu un monde différent. Une terrible citation nous fait comprendre que si la République de Gilead s’installait dans le temps, les nouvelles générations n’auraient connu que ce système. La série nous amène à remarquer que le changement est progressif, pas instantané.

En résumé, il n’est pas indispensable de lire le livre pour comprendre et apprécier la série, et l’inverse est également vrai. Néanmoins, la combinaison du roman et de la série permet une réflexion et un point de vue plus poussés et complémentaires, que cela concerne l’histoire, les personnages ou sa propre reconstitution et compréhension de l’histoire. La réussite de l’adaptation de The Handmaid’s Tale ne fait pas de doute. Il n’y a plus qu’à espérer une saison 2 tout aussi pertinente. Elle aura la possibilité d’aller plus loin que le roman, sans pour autant dénaturer l’œuvre originale grâce à la participation de Margaret Atwood. Si l’on estime la qualité d’une œuvre de science-fiction par sa capacité à parler de notre société et à nous faire réfléchir, The Handmaid’s Tale mérite bien son statut d’incontournable. Que ce soit le roman ou la série, ce chef d’œuvre est à (re)découvrir.


Notes :

(1) The Handmaid’s Tale (VF : La Servante écarlate), d’après l’oeuvre de Margaret Atwood (1985), Etats-Unis, 2017. Série créée par Bruce Miller. Avec Elisabeth Moss, Alexis Bledel, Madeline Brewer, Amanda Brugel, Ann Dowd, O.T. Fagbenle, Joseph Fiennes, Max Minghella, Yvonne Strahovski, Samira Wiley.
(2) https://www.goodreads.com/quotes/511667-every-moment-happens-twice-inside-and-outside-and-they-are

Auteur : Marine D.

Ancienne contributrice de Voix de l'Hexagone. Aime observer, sonder les esprits, apprendre, transmettre. Serdaigle dans l'âme. Diplômée en droit privé et en sciences humaines et sociales. Passionnée par l'écriture, le cinéma, les séries, la musique et la littérature.

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