Quatre mois après le début de la XVe législature, les partis peinent à se remettre du bouleversement qu’ont constitué l’élection d’Emmanuel Macron et l’entrée déferlante de députés La République En Marche au Palais Bourbon. La reconstruction de l’opposition promet d’être longue et laborieuse.
Sans état de grâce dans les sondages d’opinion où il plafonne autour de 40 % d’avis favorables, sans parvenir non plus à imposer son mouvement au Sénat lors des élections de septembre, Emmanuel Macron enchaîne pourtant les réformes. La passivité du pays face à l’envergure des changements en cours (Code du Travail, sécurité sociale, fiscalité…) ne tient pas à une popularité dont le nouveau chef de l’État ne jouit pas. Elle ne s’explique pas non plus par l’approbation massive des Français aux textes en cours d’adoption, perçus avec beaucoup de contrastes sinon négativement les électeurs[1]. Cette passivité pourrait être en réalité le fruit de deux facteurs conjugués qui n’invitent guère à l’optimisme. D’abord la résignation à l’inévitable alignement du modèle français sur celui préconisé par l’Union européenne (et plus exactement par l’Allemagne). Ensuite la faible audibilité des partis d’opposition (Les Républicains, La France Insoumise, le Parti Socialiste, le Front National). Dans un champ politique dévasté par le rouleau compresseur LREM, l’opposition accumule les obstacles.
Les Républicains et la fuite en avant
Malgré la défaite de leur candidat François Fillon lors d’une présidentielle considérée encore imperdable six mois auparavant, Les Républicains étaient sur le papier les mieux placés pour incarner la principale opposition à la majorité LREM. Limitant les dégâts lors des législatives (112 élus, auxquels il faut ajouter des alliés à droite et au centre) et renforçant leur emprise au Sénat (13 sièges gagnés le 24 septembre), ils pouvaient aussi compter sur leur expérience du pouvoir par contraste avec le mouvement novice En Marche ! Le premier facteur – interne – qui a dissipé l’illusion a été la création du groupe des Constructifs (35 députés, incluant des UDI et divers droit). L’opportunisme de ces soutiens prudents de la majorité LREM, qui se gardent bien de quitter leur formation d’origine, ne peut masquer une vérité plus brutale. La politique menée par le gouvernement d’Edouard Philippe (LR) pour le compte du Président Macron est parfaitement compatible avec les orientations soutenues par les caciques de l’UMP/LR depuis le début des années 2000. Parce qu’Emmanuel Macron réussit au-delà des rêves de l’électorat de cette droite libérale, la lecture d’un sondage simulant en octobre 2017 le premier tour de la présidentielle d’avril dernier est d’une logique absolue. Si les Français « rejouaient » l’élection, Emmanuel Macron arriverait à nouveau en tête au premier tour avec 28 points, soit 4 de plus qu’en avril. François Fillon perdrait pour sa part 5 points, relégué à 15 % des suffrages[2]. LR sont aujourd’hui menacés de substitution pure et simple par LREM, qui applique leur politique avec beaucoup plus d’audace encore. D’ailleurs, LR se concentrent pour l’heure sur leurs débats internes et n’opposent qu’une parole molle et convenue aux réformes en cours.

L’orientation de la campagne interne de Laurent Wauquiez, grand favori pour décocher la présidence du parti en novembre, est la conséquence d’un glissement mécanique de LR vers l’espace qui s’ouvre plus à droite sous l’effet de l’érosion de la dynamique FN. Remplacé sur ses positions par une République En Marche conquérante, le parti refondé en 2015 par Nicolas Sarkozy avait pourtant des alternatives au national-conservatisme. La redécouverte de ses lointaines racines gaullistes offrait une possibilité, en se portant sur la question de la souveraineté plutôt que sur l’identité, et sur les vertus de l’interventionnisme plutôt que sur l’affaiblissement de l’État avec la chasse caricaturale à « l’assistanat ». Celui qui semblait se rapprocher le plus de cette orientation, le séguiniste Julien Aubert, n’a pas obtenu les parrainages nécessaires pour briguer la présidence des Républicains. L’issue du scrutin ne fait aucun doute : Laurent Wauquiez l’emportera. Pour construire ce grand parti de « droite forte » en misant sur l’écrasement du Front national. Un pari à hauts risques.
Le Front National et les limites de l’imposture
Le départ du stratège Florian Philippot du Front National n’a pas entrainé une cassure de l’ampleur de la scission mégrétiste de 1998. Structurellement, le FN n’est qu’à peine secoué par l’éviction de celui qui constituait le pivot du parti depuis sa reprise en main par Marine Le Pen. Les conséquences de cette exfiltration seront programmatiques. Les cadres du parti misent désormais sur la redéfinition d’un projet plus conforme aux valeurs originelles du FN : libéralisme économique, xénophobie, conservatisme sociétal. Ainsi débarrassé de la ligne sociale-souverainiste qu’avec tenté de greffer Florian Philippot au vieux parti nationaliste, le FN se retrouvera sur un programme assez voisin de celui des Républicains à la sauce Wauquiez.
« La faiblesse du FN repose bien sur sa présidente elle-même »
Dans ce bras de fer qui s’engage, le FN avance en position de faiblesse. Le fusible Philippot ne fait pas oublier la prestation consternante de Marine Le Pen lors du débat d’entre-deux-tours face à Emmanuel Macron. L’agressivité stupide et l’incapacité de la candidate FN à défendre un projet dédouane son ancien conseiller stratégique du faible score obtenu au second tour de la présidentiel ainsi que du semi-échec des législatives (8 députés élus, pas de groupe parlementaire). La faiblesse du FN repose bien sur sa présidente elle-même. Faiblesse congénitale en l’occurrence.
Le Parti Socialiste et le complexe du sandwich
L’ancienne « gauche de gouvernement » est un autre cas désespéré. Il y a cinq ans, le Parti Socialiste possédait tous les leviers du pouvoir : l’Élysée, la majorité à l’Assemblée et au Sénat, la plupart des régions, une majorité de conseils généraux et de grandes villes. Sa chute en est d’autant plus vertigineuse… L’insatisfaction des Français à l’égard du quinquennat Hollande, avec ses inconstances doctrinales, a favorisé la renaissance d’une « vraie » gauche à la gauche du PS. Par une ironie de l’histoire qu’explique probablement la personnalité falote de l’ancien Président de la République, la ligne sociale-libérale (et plus libérale que sociale…) qu’il privilégiait sans l’admettre a triomphé sous des habits neufs, ceux d’Emmanuel Macron. Dès lors, le PS devient invisible, pris en sandwich entre, d’un côté, la vitalité d’une France Insoumise qui rappelle les fondamentaux de la gauche et modernise son discours et, de l’autre, l’application décomplexée d’une politique euro-conforme, prétendument réaliste, mais qui n’est que l’aboutissement de la longue évolution des socialistes depuis 1983.

Pour de nombreux électeurs de gauche, le PS et François Hollande en particulier ont commis une erreur rédhibitoire en favorisant l’ascension fulgurante d’Emmanuel Macron, l’homme qui procède méthodiquement à la destruction de l’État social. Contrarié de surcroît par de grandes difficultés financières, le PS doit résoudre une équation impossible. En perdant son influence en Parlement, il perd de sa présence dans les médias nationaux. Son ultime chance de reconquête passe par la gestion de terrain, même si les derniers scrutins locaux l’ont fait également reculer en région, dans les départements et les villes. En cas d’échec, restera donc à connaître son sort : l’interminable agonie de son ancien allié le PCF, la voie courageuse de la dissolution ou bien la fusion avec une formation politique existante, LREM, EELV ou FI.
La France Insoumise et les infortunes de la vertu
À la tribune de l’Assemblée Nationale comme aux micros des matinales, les 17 députés de la France Insoumise forment à ce jour l’opposition la plus virulente à la majorité LREM. Elle est aussi la plus constructive. La fougue et l’humour d’un François Ruffin, la maturité politique d’un Adrien Quatennens[3] confirment l’existence d’une colonne vertébrale au sein d’un mouvement politique qui a déjà montré sa force militante avec la campagne réussie de Jean-Luc Mélenchon pour la présidentielle. Les Insoumis sont bien partis pour devenir pour les quatre ans à venir la première force d’opposition – donc d’alternance – à la politique d’Emmanuel Macron.
« En investissant le domaine moral et en dénonçant la politique inégalitaire du gouvernement, les Insoumis s’obligent à l’irréprochabilité »
La FI a réussi au printemps le tour de force de toucher un électorat plus large que celui dont pouvait bénéficier le défunt Front de Gauche. Sociale, souverainiste, écologiste, antisystème, elle représente l’antithèse du programme suivi par LREM. Mais la FI découvre aussi les défauts de ses qualités. En investissant le domaine moral et en dénonçant la politique inégalitaire du gouvernement, les Insoumis s’obligent à l’irréprochabilité. Dès lors, les quelques polémiques qui ont concerné les logements publics à loyer modéré occupés par Alexis Corbière, Raquel Garrido et Danielle Simonnet[4] fragilisent leurs discours. La majorité, cible des tirs nourris de FI, s’en délecte et surexploite ces révélations malgré les faits autrement plus nombreux et graves reprochés à ses propres élus. Plus problématique : en rassemblant large, la FI accepte une diversité de courants, et leurs ambiguïtés. Ainsi, les accusations de complaisance avec le communautarisme, distillées entre autres par Manuel Valls contre des élus Insoumis[5], brouillent la position du mouvement, dont le président du groupe parlementaire s’est affiché hostile à toute forme de communautarisme[6]. Une aubaine pour la majorité comme pour les autres partis dans l’opposition qui peuvent ainsi contrecarrer l’influence de FI et, au besoin, réactiver la stratégie puissante de la diabolisation.
Hier depuis Athènes, Jean-Luc Mélenchon a reconnu son incapacité à entraîner une dynamique suffisante pour s’opposer à la politique d’Emmanuel Macron[7]… Le panache en tribune et les quelques journées de mobilisation sociale ne peuvent rien dans le contexte présent. La politique du gouvernement est impopulaire, mais l’exécutif profite encore d’un crédit qu’aucune force de l’opposition, écartelée à la droite et à gauche de LREM, n’est pas parvenu à lui ravir.
Désormais, la question se pose : et si les chemins suivis par les quatre grands partis d’opposition menaient tous vers une impasse ?
Notes :
[1] Vincent Kranen, « 65 % des Français opposés aux ordonnances de la loi travail », lcp.fr, 9 octobre 2017 ; Eric Decouty, « Suppression de l’ISF : 73 % des Français ne croient pas Macron », marianne.net, 27 octobre 2017 ; « Sondage : Macron toujours plombé par l’étiquette de président des riches », lexpress.fr, 24 octobre 2017.
[2] « La popularité de Macron repart à la hausse », lefigaro.fr, 22 octobre 2017.
[3] Lire par exemple : « ‘‘Notre objectif ultime est la prise du pouvoir’’ : Entretien avec Adrien Quatennens », Le Vent se Lève, 11 septembre 2017.
[4] Alexis Boisselier, « Simonnet, Corbière, Garrido : Pourquoi ils ont pu conserver leurs logements sociaux », lejdd.fr, 27 octobre 2017.
[5] Ludovic Galtier, « Manuel Valls sur RTL : La France Insoumise porte ‘‘un discours islamo-gauchiste’’ », rtl.fr, 3 octobre 2017.
[6] Jean-Luc Mélenchon invité de « Questions politiques », (voir extrait), francetvinfo, 11 décembre 2016. Voir également le livret Laïcité du programme « L’Avenir en Commun » de la FI.
[7] « Pour l’instant, c’est lui qui a le point »… Jean-Luc Mélenchon au micro de France-Info, 29 octobre 2017.