Les listes européennes de 2019, ou la première étape du plan Macron pour l’UE

Le Premier ministre Édouard Philippe a annoncé le 29 novembre l’introduction d’un projet de loi modifiant les modalités du scrutin européen de 2019. Outre l’enjeu interne que constituera, pour la majorité présidentielle, ce premier test électoral depuis les élections du printemps dernier, il s’agira pour Emmanuel Macron d’entamer la mise en œuvre d’un plan pour l’Europe, dicté à l’automne dans son discours de la Sorbonne. 

La clarification du débat européen. Tel est l’objectif affiché par l’exécutif en vue des élections européennes programmées au printemps 2019. Pour le réaliser, Édouard Philippe a annoncé la présentation au Parlement d’un projet de loi rétablissant la circonscription unique et donc les listes nationales pour désigner les prochains eurodéputés français. S’il est adopté (en principe, début 2018), le texte mettra fin au scrutin de circonscriptions inauguré en 2004. Il rétablira le mode utilisé depuis la première élection du Parlement européen au suffrage universel, en 1979, jusqu’à celle de 1999. Concrètement, les citoyens français ne choisiront plus entre des listes établies dans huit grandes circonscriptions multirégionales mais parmi des listes uniques présentées par les partis en lice. Les 74 sièges attribués à la France resteront, en revanche, répartis à la proportionnelle ainsi que l’exigent les règles communes européennes. Mais cette évolution relative pourrait être accompagnée d’une expérimentation beaucoup plus significative : la constitution de listes transnationales pour relancer l’Europe politique.

Vers des listes transnationales ?

Le retour à la circonscription unique a été retenu par le Gouvernement devant le constat de la quasi-unanimité des partis politiques, Les Républicains exceptés[1]. Les arguments de ces derniers sont d’ailleurs peu convaincants. Par la voix de Bernard Accoyer, ils pointent la volonté occulte d’Emmanuel Macron d’éviter un désastre électoral, faute de personnalités implantées et capables de mener des listes territoriales, tout en affirmant que la modification du mode de scrutin nuit toujours à ceux qui l’entérinent. Pourtant, le cadre national pour désigner les représentants de la France au Parlement de Strasbourg est plus cohérent et, en effet, plus propice au débat sur la nature et l’avenir de l’Europe qu’appellent de leurs vœux tant les proeuropéens que les euro-critiques. Emmanuel Macron et son gouvernement souhaitent aller plus loin et imposer, dès 2019, la présentation de listes transnationales en profitant du contexte inédit : la vacance des 73 sièges occupés jusqu’à présent par les eurodéputés britanniques. Théorisée il y a quelques années déjà par l’Anglais Andrew Stuff, ce système est préconisé par le Président Macron depuis son discours sur l’Europe à la Sorbonne le 26 septembre 2017. Le mois dernier, dans une tribune co-signée dans Le Monde, les ministres français, italien et espagnol en charge des Affaires européennes ont plaidé à leur tour pour l’introduction dès 2019 de ces listes transnationales censées « renouer le dialogue » entre les peuples européens et les institutions de l’Union et « créer une véritable agora européenne »[2].

« Cette initiative repose sur l’idée illusoire que le regroupement, la mise en commun, l’harmonisation favorisent une appartenance à l’Europe, effacent les antagonismes et atténuent les sentiments nationaux »

En plus des obstacles matériels qui rendent difficile une mise œuvre dès 2019, cette initiative laisse sceptique. Elle repose à nouveau sur l’idée illusoire des promoteurs de l’Union européenne que le regroupement, la mise en commun, l’harmonisation favorisent une appartenance à l’Europe, effacent les antagonismes et atténuent les sentiments nationaux. Toute l’histoire de la construction européenne depuis Maastricht et l’avènement de la citoyenneté européenne prouve que l’adhésion au projet commun ne répond pas à une logique aussi grossière. La désignation d’eurodéputés à partir de listes transnationales donne effectivement une dimension plus concrète à la citoyenneté européenne mais elle augure un gouffre entre son principe idéal et son exécution concrète. Ainsi, présager un regain d’intérêt immédiat des peuples pour la construction européenne alors même que ceux-ci ne sont pas familiarisés avec les codes de la politique à cette échelle (brouillage des lignes idéologiques, consensualisme a minima, représentation de partis différents de leurs équivalents nationaux) relève de l’optimisme le plus candide. Les listes transnationales seraient surtout un énième trompe-l’œil pour refléter la prétendue démocratisation de l’Union européenne. Les grandes lignes du plan européen du Président français, puisées dans son discours de la Sorbonne, doivent au contraire inciter les citoyens européens à la plus grande vigilance sur les possibles transformations à venir.

L’Europe, clef de compréhension de la politique macronienne

Le 26 septembre 2017, Emmanuel Macron s’est livré, dans un discours détaillé de plus d’une heure et demie, à un véritable plaidoyer pour la construction européenne, déballant pour l’occasion tout un catalogue de propositions. La concrétisation de certaines d’entre elles, par exemple sur la réforme de la zone euro, dépendent moins de la volonté personnelle de Macron, aussi jupitérien soit-il, que de la situation politique en Allemagne, ainsi que l’a déploré la semaine dernière le journaliste Jean Quatremer[3]. On ne pourra pas reprocher à Emmanuel Macron de trahir ses engagements de campagne. Le discours a été le parfait écho, heureusement plus détaillé, des propositions émises dans l’étique programme qui servit à appuyer sa candidature présidentielle. Toute la politique du Président, y compris interne, s’articule autour de ses engagements pour l’Europe. « Nous devons faire chez nous ce que tous nos partenaires ont fait chez eux : remettre notre économie en mouvement et, dans l’intérêt de nos enfants, mieux gérer nos finances publiques » argumentait le futur locataire de l’Élysée[4]. Aux réformes entreprises en France pour flexibiliser le monde du travail et purger les services publics doit répondre une refonte ambitieuse de l’Union européenne. « Disruptif », le projet macronien pour l’Europe ? Pas au point de rompre avec le modèle suivi depuis l’Acte unique, malgré quelques critiques convenues sur la bureaucratie et le manque d’audace de Bruxelles. Avec un sens certain de l’ironie, Macron décide de répondre à la bureaucratie par… plus de bureaucratie encore (création d’une Académie européenne du renseignement, d’une Agence européenne pour l’innovation de rupture, d’un Office européen de l’Asile, d’un Fonds européen de défense…)[5]. Il y a plus grave pourtant. Le nouveau leitmotiv du Président europhorique est « la souveraineté européenne » destinée à prendre définitivement le pas sur la souveraineté nationale. Et la première étape de ce nouveau destin est justement la constitution des premières listes transnationales aux européennes de 2019, puis la désignation de la moitié du Parlement européen selon ce système en 2024…

Macron Europe
Le Président Macron lors de son discours à la Sorbonne (26 septembre 2017)
La liquidation annoncée de la souveraineté populaire

Emporté par l’ambition de son plan pour une Europe souveraine, Emmanuel Macron fait  mine d’oublier, à l’instar hélas de ses prédécesseurs directs, qu’il échoit au Président de la République d’être le « garant de l’indépendance nationale » (article 5 de la Constitution de la Ve République) et non de livrer la France à un pouvoir de décision extérieur. Emmanuel Macron parle ensuite de démocratie européenne et pointe les doutes qui habitent les peuples européens… Peuples qu’il demande avec aplomb de ne surtout pas consulter par la voie référendaire. « La réponse est toujours ‘non’ ! » prétend-t-il au mépris de la variété des précédents historiques. La refondation de l’Europe par le bas doit passer, selon lui, par des débats dans le cadre de « conventions démocratiques » aux contours flous. L’hypocrisie de la méthode est au diapason de l’infantilisation des électeurs européens et de la crainte que suscite leur hypothétique rejet d’une Europe des marchés et de l’effacement des frontières. L’Europe des peuples n’existera pas tant que les Européens ne pourront se prononcer individuellement ou à travers une consultation électorale à l’échelle du continent sur les institutions européennes qui leur sont imposées. Emmanuel Macron, que l’on ne peut suspecter de méconnaître les bases de la théorie constitutionnelle, dessine le système de l’Union européenne – qu’il amalgame délibérément au concept bien plus profond d’« Europe » – en distordant toutes les composantes propres à l’État démocratique reposant sur la souveraineté populaire.

« Emmanuel Macron refuse catégoriquement l’approbation par le suffrage universel des règles de fonctionnement du système de la future Union européenne »

Les exemples de contradictions dans son discours sont légions et préoccupantes. Le Président français reconnaît qu’ « un État ne peut seul faire face à une crise lorsqu’il ne décide plus de sa politique monétaire » pour justifier le renforcement de la zone euro. Puisqu’il ne peut admettre le retour aux monnaies nationales, il assimile donc l’Union européenne à un État… qu’elle n’est pas et pourrait ne jamais être. Plus loin dans ce même discours à la Sorbonne, il évoque les frontières futures de l’UE, qu’il souhaite fluctuantes en vue d’accueillir les pays balkaniques et le retour des Britanniques (sic)… Or, l’un des éléments composant classiquement un État est l’existence d’un territoire délimité par des frontières fixes, à moins d’afficher une ambition impérialiste… Emmanuel Macron évoque la réforme de l’UE avec « si le projet le nécessite, un changement de traité »… Sauf que les règles de fonctionnement d’un État souverain sont garanties par une Constitution, non par un traité international, ainsi que le sait pertinemment n’importe quel étudiant de droit de première année. Pour enfoncer le clou : un « État souverain » (c’est-à-dire un État dont le peuple détient la souveraineté, le pouvoir de choisir de son propre destin) se dote d’une Constitution approuvée par les électeurs. C’est précisément cela qu’Emmanuel Macron refuse catégoriquement : l’approbation par le suffrage universel des règles de fonctionnement du système de la future Union européenne. Si l’Europe ne devient pas un État, elle ne saurait être souveraine. Si elle devient un État souverain et démocratique, alors il faudra en fonder la légitimité sur le suffrage universel.

Il n’est pas surprenant dans ce contexte qu’aucun mot n’ait été prononcé sur les institutions politiques européennes de demain, sur leur équilibre et de leur légitimité, si ce n’est une proposition de diminution des membres de la Commission… Le Président de la République n’est ni imbécile, ni ignorant des fondements du droit public. Il fait montre, en revanche, d’un profond cynisme, en jouant, d’une part, sur la complexité abstruse des mécanismes européens et en évoquant, d’autre part, la « démocratie européenne » alors même qu’il rejette ostensiblement les principes indérogeables que sont la souveraineté populaire exercée dans un véritable cadre étatique et le pouvoir constituant des peuples.

Nulle « convention », nulle « agora », nul débat virtuel avec des membres de la société civile européenne ne pourra remplacer la seule légitimité qui vaille, celle du suffrage universel. En maintenant volontairement le flou sur le statut juridique de l’Union (État fédéral ? Confédération ?) et en mélangeant des notions contradictoires, Emmanuel Macron entend donc parachever l’œuvre des pères fondateurs des communautés européennes : la liquidation de la souveraineté populaire, l’encadrement stricte de l’expression démocratique et le règne d’ « élites » inféodées à la finance et à l’économie.


Notes :
[1] AFP, « Élections européennes : retour à des listes nationales en 2019 », lepoint.fr, 29 novembre 2017.
[2] Tribune au Monde des ministres chargés de Affaires européennes de France, d’Italie et d’Espagne (17 novembre 2017) sur le site officiel de la diplomatie française (diplomatie.gouv.fr).
[3] Jean Quatremer, « Réforme de l’UE : Juncker voyage au centre de l’austérité », liberation.fr, 3 décembre 2017.
[4] Voir les pages 20 et 21 du programme officiel « Emmanuel Macron Président » diffusé par le mouvement En Marche !
[5] « Initiative européenne » : Discours du Président de la République, M. Emmanuel Macron. Paris, La Sorbonne, 26 septembre 2017.

Auteur : Pierre-Henri Paulet

Contributeur et éditorialiste de 'Voix de l'Hexagone'. Rédacteur en chef de la revue 'Cité'.

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