
Emmanuel Macron a connu ces dernières semaines un regain de confiance plutôt inattendu. Sans atteindre pour autant un « état de grâce », sans pouvoir être qualifié de « populaire », il est parvenu à installer son style et à neutraliser les critiques. Tout semble montrer que les Français ont envie d’y croire.
Le quinquennat d’Emmanuel Macron n’avait pas très bien commencé. Une série de déclarations douteuses, quelques maladresses diplomatiques et un conflit avec l’armée qui déboucha sur la démission du chef d’état-major Pierre de Villiers auguraient une présidence chaotique. Mais l’ex-ministre de l’Économie de François Hollande savait, pour l’avoir observé de près, ce que coûte une première année ratée dans un mandat présidentiel. Aussi, une communication plus maîtrisée et quelques victoires symboliques glanées à l’automne (adoption des ordonnances reformant le Code du Travail sans déclencher de grèves massives ; suppression de l’ISF) ont permis au jeune Président de se relancer et de regagner une part de la confiance perdue à l’été. Dans certaines enquêtes, il est même jugé favorablement par une majorité des sondés : 59 % de bonnes opinions dans le « baromètre » Ifop-Fiducial de début janvier [1]. Même le tassement observé ces tous derniers jours par les instituts ne remet pas en cause la remontée effectuée à l’automne. De sceptiques qu’ils étaient encore au moment de l’élection présidentielle, les Français deviendraient-ils « macroniens » ?
L’anti-Hollande
Emmanuel Macron a le sens du rythme. Sa parole, qu’il avait annoncée « rare », est en réalité omniprésente. Discours, déclarations, hommages, interviews télévisées, il est l’hyperprésident. Toujours chargé, le calendrier des réformes est là pour rappeler que l’immobilisme politique appartient au passé. La figure maudite de François Hollande, le Président du revirement permanent et de la semi-décision, hante Emmanuel Macron au point qu’il se construit en opposition avec son prédécesseur. « J’assume ! » pourrait être la devise d’un chef de l’État dont l’assurance rime avec insolence. Sa volonté de frapper fort – tout en mettant en scène ce volontarisme (cf. la promulgation filmée des lois, à la Trump) – séduit visiblement une bonne partie des Français. Il veut être celui qui aura pris des décisions sans trembler sur des sujets sensibles : la flexibilisation du marché du travail, le durcissement de la politique migratoire[2], la clôture du dossier Notre-Dame-des-Landes et l’évacuation de la ZAD.
« ‘J’assume !‘ pourrait être la devise d’un chef de l’État dont l’assurance rime avec insolence. Sa volonté de frapper fort séduit visiblement une bonne partie des Français »
Même si le Président n’est pas toujours fidèle au candidat (limitation de la vitesse à 80 km/h, renoncement à l’aéroport de Notre-Dame-des Landes), Emmanuel Macron parvient à incarner l’autorité à la tête de l’État. Il ne pâtit guère des frasques des députés LREM et de la mascarade de la « moralisation » de la vie politique. Ni même de sa politique économique et fiscale régulièrement dénoncée pour avantager les plus aisés au détriment des plus modestes, comme l’analyse l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE)[3]. Il est pardonné au nouveau Président de déplaire, pour peu qu’il s’impose… La discipline du gouvernement est d’ailleurs à son image. Tandis que les fameux « couacs » nourrissaient le quotidien du quinquennat Hollande, Emmanuel Macron et Édouard Philippe veillent à la cohérence de leur équipe. C’est avec surprise – et gourmandise ! – qu’on a pu relever l’exceptionnel impair commis il y a quelques jours par la ministre Jacqueline Gouraud à propos des moyens de compenser la suppression de la taxe d’habitation…
Pour déterminer son mode d’action, Emmanuel Macron fait une analyse lucide du rapport qu’entretiennent les peuples avec l’autorité politique en ce début de XXIe siècle. Le pouvoir fort et concentré, caractéristique du présidentialisme, est plus média-génique, plus direct et lisible que le trop subtil régime parlementaire… Un Président français qui décide de tout fait accroire qu’il est l’égal des présidents américain et russe. Il est communément souligné qu’Emmanuel Macron se plait à jouer avec l’héritage de la monarchie française, alors qu’il se contente plus prosaïquement d’exploiter les symboles de l’absolutisme.
Méthode Coué
Il n’est pas utile de revenir une énième fois sur la chance inédite dont il bénéficie, par la combinaison (fortuite ?) de la décadence journalistique, de l’affaiblissement historique des syndicats et de la déroute de l’opposition parlementaire. Ces facteurs n’expliquent pas tout. Ils n’expliquent pas pourquoi les Français, d’ordinaire si pessimistes et insatisfaits, commencent à se montrer encourageants. Car tout se passe comme si beaucoup voulaient y croire… En apprenant depuis près de quarante ans à être déçus, les Français ont aussi acquis la patience. Aussi ne jugent-ils pas encore leur Président sur les résultats mais sur le mouvement permanent qu’il insuffle à la vie publique du pays. Peu importe la rudesse de la politique sociale menée, peu importent les choix économiques qu’ils n’approuvent même pas[4], les voilà prêts à faire confiance coûte que coûte à une nouvelle génération de politiques.
Cet élan imprévisible pourra toujours être expliqué par la lassitude devant le déclinisme ou bien par l’amollissement du débat idéologique. Mais il n’est peut-être pas étranger à de la résignation profonde. Il relèverait, le cas échant, de la thérapie de groupe, d’une sorte de traitement de la dernière chance. Puisqu’on a tout essayé, pourquoi ne pas tenter de se convaincre que ce « nouveau pouvoir », comme le désigne Régis Debray, si dynamique et si sûr de détenir les solutions aux problèmes contemporains, va vraiment redresser la France ?
Plusieurs indices invitent à considérer sérieusement la piste de la bonne vieille méthode Coué… L’adhésion à Emmanuel Macron est encore fragile et trop souvent superficielle : ainsi, une certaine méfiance reste de mise, par exemple, comme cela a été précédemment relevé, à propos de ses projets économique et migratoire. Un récent sondage indiquait qu’une large majorité de 60 % du panel consulté était satisfaite de l’effacement du clivage droite-gauche…[5] Mais en considérant dans le même temps – à hauteur de 54 %, soit une surprenante progression de 18 % par rapport à 2016 ! – que les institutions démocratiques fonctionnent bien, les Français n’ont manifestement pas tiré toutes les conclusions du gouvernement par une force centriste monopolistique : la fin du modèle classique d’alternance. Or, pour l’heure, aucun clivage de substitution n’est apparu dans les faits. Nous avons déjà eu l’occasion de l’écrire en 2017 : le néolibéralisme, par essence mondialisé, qu’incarne En Marche !, n’a pas encore fédéré contre lui ce qui serait son opposition logique : une force souverainiste sociale qui s’émanciperait elle aussi de la frontière droite-gauche.
« Une bonne partie des Français trouve aujourd’hui refuge dans une forme d’indulgence doublée d’auto-persuasion »
En se satisfaisant de l’état actuel du fonctionnement démocratique, les Français ne veulent pas voir qu’aucune alternative ne se dessine à court terme. Ils sous-estiment également les conséquences sur l’avenir de la démocratie française de l’européisme militant du Président. Enfin, ils ne semblent pas davantage alarmés par les tentatives de reprise en main de la parole médiatique : selon l’institut Odoxa, 79 % des sondés se déclaraient début janvier favorables à une nouvelle législation pour lutter contre les fake news…[6] Seule une petite minorité est donc consciente du danger représenté pour la liberté d’expression.
À la lumière de tous ces éléments, l’hypothèse d’une radicalisation de l’opinion en faveur du « macronisme », si tant est qu’il existe, paraît faible… Une bonne partie des Français trouve aujourd’hui refuge dans une forme d’indulgence doublée d’auto-persuasion. Mais les illusions finissent toujours par se dissiper.
Notes :
[1] Une étude différente de l’Ifop, rendue publique le 21 janvier, constate un tassement des bonnes opinions (-2 %) pour Emmanuel Macron, qui garde cependant la confiance de la majorité (50 %). La hausse de popularité du Président chez les principaux sondeurs a été commentée dans l’allégresse médiatique en décembre. Voir à ce sujet l’article (enthousiaste) de Claude Leguilloux, « Emmanuel Macron confirme sa ‘‘remontada fantastica’’ dans les sondages », boursier.com, 21 décembre 2017, ou encore l’édito (enflammé) de Christophe Barbier du 19 décembre 2017 sur BFM-TV.
[2] Si les Français restent méfiants sur la politique migratoire générale du Président Macron… c’est parce qu’ils la jugent « trop laxiste » ! Ils approuvent en revanche la circulaire gouvernementale sur le contrôle administratif des hébergements d’urgence (74 % d’avis positifs chez les personnes interrogées) alors que le texte est dénoncé par les associations humanitaires. Voir l’étude Elabe, « Les Français et la politique migratoire et d’asile », publiée le 18 janvier 2018.
[3] Lire à ce sujet Elise Barthet et Audrey Tonnelier, « Les riches, grands gagnants des premières mesures de Macron, selon l’OFCE », lemonde.fr, 15 janvier 2018. Voir aussi l’étude intégrale sur le site de l’OFCE.
[4] Grégoire Lenormand, « Politique économique : les Français jugent sévèrement Macron », latribune.fr, 17 janvier 2018.
[5] « Sondage : la démocratie ‘‘fonctionne bien’’ pour plus d’un Français sur deux », lefigaro.fr, 12 janvier 2018.
[6] Enguérand Renault, « 79 % des Français favorables à une loi sur les fake news », lefigaro.fr, 11 janvier 2018.