En finir avec Nicolas Sarkozy

Mis en examen dans l’affaire du financement présumé de sa campagne électorale 2007 par le régime libyen, Nicolas Sarkozy est revenu cette semaine sur le devant de la scène médiatique. Six ans après son départ de l’Élysée, le sixième président de la Ve République continue de susciter des réactions passionnelles. Ses détracteurs et ses thuriféraires n’en font-ils pas trop ?

Mercredi 21 mars, au terme d’une garde à vue courtoisement aménagée sur deux jours dans les locaux de la PJ de Nanterre, l’ancien président de la République Nicolas Sarkozy s’est vu notifier sa mise en examen pour corruption passive, financement illégal de campagne électorale et détournement de fonds publics étrangers. Placé de surcroît sous contrôle judiciaire, il est interdit de déplacement en Afrique du Sud, en Égypte, en Libye et en Tunisie et il ne pourra rencontrer jusqu’à son procès Claude Guéant, Brice Hortefeux, Ziad Takkiedine et six autres personnes liées au dossier. Cité dans plusieurs enquêtes judiciaires, Sarkozy a bénéficié jusqu’à présent de deux non-lieux : l’une dans l’affaire Bettencourt (2013), l’autre dans l’affaire des pénalités de campagne de l’UMP (2015). Ses déboires devant les tribunaux ont immédiatement déclenché des réactions polarisées, dans les rédactions et sur les réseaux sociaux. Des supporters indéfectibles y ont vu l’œuvre d’officines, la hargne d’un magistrat partial, le juge d’instruction Serge Tournaire, et d’un média engagé, Médiapart, sous la houlette d’Edwy Plenel. Ses adversaires accueillirent quant à eux cette mise en examen comme la confirmation du manque d’intégrité de l’ex-chef de l’État et la fin de longues années de mensonges… Les deux camps ont en commun de l’agressivité et des certitudes fort mal venues au regard des éléments probatoires révélés et de l’issue très incertaine de la procédure.

Vieilles pratiques, époque nouvelle

Dans cette affaire de financement libyen, Nicolas Sarkozy a pu accepter ce que ses prédécesseurs ne s’étaient jamais refusé. De Georges Pompidou à Jacques Chirac, grâce au système de la « Françafrique », les campagnes électorales françaises ont été arrosées d’argent liquide tout droit venu de l’étranger, en particulier du Gabon d’Omar Bongo[1]. Mais Sarkozy est soupçonné de l’avoir fait à une époque où la justice – au diapason du désir de transparence exprimé par la société française – se sait suffisamment indépendante pour enquêter sur l’argent douteux des partis politiques. Le concernant, elle le fait avec d’autant moins de scrupules que les relations entre l’ancien président et les magistrats (des fameux « petits pois » au « mur des cons ») ont toujours été houleuses.

« L’animosité que suscite Nicolas Sarkozy ‘à froid’ apporte la preuve qu’il a perdu, au regard de l’Histoire, la mère des batailles : celle de l’image. Le personnage déplaisait et continue de déplaire »

Pour le citoyen lambda, cette histoire de valises pleines de cash rejoint symboliquement la question très sensible de la politique libyenne menée par la France sous Nicolas Sarkozy. Difficile de ne pas sourire à l’écoute du portrait que ce dernier fait du défunt colonel Mouammar Kadhafi sur le plateau du JT de Gilles Bouleau[2]. Ce dictateur « parmi les plus sanglants du XXe siècle », ce « fou », cet « illuminé qui prenait certainement des produits stupéfiants », entouré de sa « bande de mafieux »[3] avait été son convive de choix en décembre 2007, quelques mois après sa prise de fonctions. Le renversement du régime du « Guide » à l’initiative de la France en 2011 a certainement été la plus tragique erreur diplomatique du quinquennat Sarkozy. L’intervention militaire contre le gouvernement de Tripoli demeure dès lors omniprésente dans les esprits des observateurs. Le procès qui va s’ouvrir est susceptible d’éclairer d’une lumière sinistre les liens entre les deux anciens chefs d’États en nourrissant l’idée selon laquelle la chute de Kadhafi pouvait être justifiée pour des raisons personnelles.

Quoi qu’il en soit, il appartient à la justice de suivre son cours sans en oublier, ancien président ou pas, les droits élémentaires de la défense au premier rang desquels la présomption d’innocence.

Réactions disproportionnées

Les prises de position caricaturales autour de la mise en examen de Nicolas Sarkozy témoignent de la fascination qu’il exerce encore, à droite, auprès d’une partie des militants LR qui ne veut pas l’oublier… Elles relayent d’autre part la détestation viscérale que le même personnage suscite à gauche. Onze ans après son élection, il reste pour une fraction de Français un homme politique autoritaire, vindicatif, ni honnête ni fiable, en connivence avec les milieux d’affaires. Son bilan politique contrasté entre 2007 et 2012, période marquée évidemment par la crise financière mondiale, ne justifie pourtant ni enthousiasme délirant ni déchaînement d’insultes. Dans le contexte actuel, celui d’un présidentialisme exacerbé, d’un recul inédit de l’autorité du Parlement, d’une complicité dangereuse entre les pouvoirs politique et médiatique, du démantèlement cynique de l’État social et d’une gestion migratoire bien plus brutale que celle des années UMP, il y aurait matière à relativiser l’action politique de Nicolas Sarkozy.

Nicolas Sarkozy (TF1 Mise en examen)
Nicolas Sarkozy avance ses arguments en défense devant Gilles Bouleau (Capture d’écran TF1)

L’animosité qu’il suscite « à froid » apporte la preuve qu’il a perdu, au regard de l’Histoire, la mère des batailles : celle de l’image. Le personnage déplaisait et continue de déplaire. Une coalition d’opposants a grossi au fil de ses attaques tranchantes, de son style clivant et des frasques des plus médiocres de ses proches. Le feuilleton médiatico-judiciaire mettant en scène Nicolas Sarkozy dans l’affaire libyenne dépasse en partie la personnalité de ce dernier. À travers les accusations portées à leur ancien haut représentant (et la sanction pénale qui pend au-dessus de sa tête), les Français se souviennent qu’ils constituent un peuple régicide. Savoir qu’un monarque déchu, même républicain, rend des comptes et encourt la prison a le mérite d’entretenir la fiction de l’égalité en droit des citoyens au sein d’une société en plein délitement…

Oui, le spectacle ouvert sous nos yeux s’annonce pathétique. Oui, l’image d’un ancien chef de l’État jugé pour corruption est désastreuse et c’est un truisme que de dire qu’elle assombrit encore la réputation des hommes politiques. Oui, l’intéressé doit être jugé et ses partisans doivent accepter l’augure d’une condamnation si les faits reprochés s’avèrent. Mais les surréactions à chacune de ses apparitions, le soutien enamouré comme la haine aveuglante, sont aussi vaines qu’obsolètes. L’avenir du pays ne se situe pas entre les quatre murs du tribunal correctionnel qui jugera Nicolas Sarkozy, astre mort de la politique. Il est plus que temps d’en finir avec lui, à droite comme à gauche. Que cette affaire sérieuse ne détourne pas notre regard des « réformes » bien plus préoccupantes menées par ceux qui, aujourd’hui, exercent le pouvoir.


Notes :
[1] Lire à ce sujet les développements de l’ouvrage d’Yvonnick Denoël et Jean Garrigues (dir.), Histoire secrète de la corruption sous la Ve République, Éd. Le Nouveau Monde, 2016, not. pp. 191-192.
[2] Nicolas Sarkozy invité du Journal télévisé de 20 heures, présenté par Gilles Bouleau. TF1, 22 mars 2018.
[3] Ibidem. Propos tenus par Nicolas Sarkozy lors de l’interview.

Auteur : Pierre-Henri Paulet

Contributeur et éditorialiste de 'Voix de l'Hexagone'. Rédacteur en chef de la revue 'Cité'.

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