Présidentielle paraguayenne : le choix de la continuité

Sans grande surprise, le candidat du parti Colorado, Mario Abdo Benitez, a remporté dimanche l’élection présidentielle au Paraguay. En dépit de la crise politique rencontrée par l’ancien président Horacio Cartes l’an dernier, les Paraguayens ont fait le choix de la continuité.

Dimanche, le peuple paraguayen a fait son choix. Et celui-ci s’est porté sur le candidat du parti conservateur Colorado. Connu principalement comme le parti de l’autoritaire Alfredo Stroessner, Colorado est au pouvoir depuis presque soixante-dix ans, si on exclut l’intermède du président de centre-gauche Fernando Lugo de 2008 à 2012. L’élu, Mario Abdo Benitez, est un sémillant quadragénaire qui a fait ses études aux États-Unis, en compagnie des petits-enfants de Stroessner, pour en revenir diplômé de marketing. Toute sa vie politique a pour l’instant consisté en un numéro nécessaire d’équilibriste. En effet, Benitez est le fils du secrétaire particulier de Stroessner, ce qui lui laisse un lourd poids familial. Le nouveau président a ainsi passé des années à jongler entre sa loyauté filiale et la nécessité de tirer un trait sur la dictature : « Je ne peux manquer de mentionner mon père, qui a été un grand représentant du parti Colorado », a-t-il déclaré dans son discours dimanche soir. Par ailleurs, il s’est distancié à plusieurs reprise de Stroessner, sans toutefois le renier complètement. Il a ainsi affirmé : « Je regrette la partie noire de notre histoire mais comme beaucoup de Paraguayens, je pense que cela ne doit pas être une excuse pour maintenir une division entre compatriotes. »

Un passé sans incidence sur l’élection

On l’a compris, Mario Abdo Benitez joue la carte de l’union nationale, en voulant faire table rase du passé. C’est pourquoi il a ajouté, reconnaissant là les traitements inhumains des victimes de Stroessner : « Je suis fier que des victimes qui ont souffert de mauvais traitements et de tortures à cette époque travaillent aujourd’hui avec moi. C’était un autre temps. Si je leur suscitais du rejet, elles ne seraient pas avec moi. » On pourrait arguer que le raisonnement est léger mais on ne peut nier que son passé n’a en effet pas joué sur l’élection. Comme le note Olivier Stuenkel, professeur de relations internationales à la Fondation Getulio Vargas de Sao Paulo, dans un article d’Americas Quaterly : « Il y a une génération de plus en plus influente, qui ne se souvient pas vraiment du régime non-démocratique. »

Cette génération a pu plus facilement s’identifier au nouveau président, en dépit de son passé familial, car ce dernier n’était âgé que de seize ans à la chute de Stroessner. Alors, même s’il a assisté à ses funérailles et ne l’a jamais critiqué en profondeur, peu a importé à un électorat dont les 18 à 34 ans représentent 43 %. Pourtant, on pouvait envisager, sinon une alternance politique à l’issue de l’élection, du moins une « punition » infligée au parti Colorado. Le pays a été secoué, l’an passé, par de violentes manifestations de milliers de Paraguayens qui s’opposaient au projet de réforme constitutionnelle du président Cartes, qui souhaitait se représenter.

« Le Parti Colorado reste ancré dans l’habitus politique d’une majorité de Paraguayens qui, si elle a voulu envoyer un avertissement à l’ex-président en 2017, n’a pas pour autant pénalisé son successeur »

Rappelons en effet qu’au Paraguay, la Constitution de 1992[1] est un garde-fou pour la population qui y reste attachée, en particulier à l’article 229 qui précise que « le Président de la République et le Vice-Président resteront en exercice pendant cinq années improrogeables, à compter du 16 août suivant les élections. Ils ne pourront en aucun cas être réélus […] » Le pouvoir de la rue avait réussi à faire reculer Cartes qui avait décidé de ne pas se représenter[2]. Mais là encore, cette crise politique s’est jouée sur un point particulier et ponctuel, le projet de réforme constitutionnelle[3], et non sur une profonde défiance ou remise en cause du Parti Colorado. Celui-ci reste ancré dans l’habitus politique d’une majorité de Paraguayens qui, si elle a voulu envoyer un avertissement à l’ex-président en 2017, n’a pas pour autant pénalisé son successeur. Il faut préciser que Mario Abdo Benitez s’était lui-même opposé à ce second mandat.

L’ambiguïté vis-à-vis du passé

Pour qu’une conscience politique particulière apparaisse, il faut un terreau fertile. En 2014, le sociologue José Nicolas Morinigo a mené une enquête[4] par le biais du Cabinet d’Études d’opinion, au sujet de la vision qu’ont les Paraguayens de Stroessner. Il en ressort que la population paraguayenne n’est pas manichéenne sur le sujet, en dépit des crimes avérés[5] du militaire. Pour 53 % des consultés, il fut « un président-dictateur », pour 21,1 % un « président Colorado », pour 11,9 % un « militaire avec beaucoup de pouvoir », pour 7,2 % un « président qui a violé les droits de l’homme », et pour 4,7 % un « président progressiste ». Pour José Nicolas Morinigo, « beaucoup de gens n’assimilent pas aujourd’hui le concept de dictature comme un régime politique pervers, qui porte atteinte aux lois et aux droits de la citoyenneté. L’ambiguïté des termes se reflète dans l’enquête. »

Ainsi, les Paraguayens sont attentifs au risque de dérives qui peuvent surgir de Colorado, sont prêts à s’y opposer mais sans remettre en cause électoralement le maintien au pouvoir de ce parti ancestral. Il est difficile de connaître les raisons exactes de ce choix de la continuité si ce n’est l’habitude, l’attachement à un statu quo, une nostalgie chez certains de l’ère Stroessner, un bilan pas si catastrophique que ça pour Cartes ou une opposition qui manque encore de vigueur.

« Le candidat de centre-droit a obtenu 42,72 % des suffrages. Avec la montée importante d’une opposition sérieuse et reconnue, on peut affirmer que le pluralisme politique tend, petit à petit, à se développer »

Cette élection ne saurait cependant être comprise comme une allégeance totale et infinie. S’il n’y a pas de remise en cause profonde, l’opposition de centre-droit « libérale » a obtenu, en la personne d’Efrain Alegre, 42,72 % des suffrages. Les sondages dans le pays évoquaient pourtant un écart de 20 points au moins. Le candidat avait obtenu en 2013 37 % des voix face à Horacio Cartes qui avait atteint le score de 45 %. On note donc une bonne progression du Parti Libéral. Avec la montée importante d’une opposition sérieuse et reconnue, on peut affirmer que le pluralisme politique tend, petit à petit, à se développer. Ce qui peut surprendre, en revanche, c’est que le programme économique du candidat de centre-droit, qui était plus social (en proposant notamment une gratuité des soins pour les plus pauvres) n’a pas produit d’effet déterminant sur l’élection. Au niveau sociétal, les deux candidats s’alignent sur une position conservatrice (opposés tous deux à l’IVG) qui reste celle de l’immense majorité du pays.

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L’ex-président Horacio Cartes.

Le programme du nouveau président reste donc conservateur sur ce point-là. L’article 109 du Code pénal[6]  ne prévoit qu’un seul cas possible d’IVG : que la survie de la mère en dépende. On se souvient d’ailleurs du cas de cette enfant de 11 ans enceinte de son beau-père qui n’avait pas été autorisée à avorter. Quasiment toute la population paraguayenne est catholique pratiquante et, comme dans tous les pays à forte religiosité, se montre peu ouverte sur ce sujet. Selon un sondage de 2015 fait par l’institut ProLogo Soluciones Corporativas, 87 % des Paraguayens sont opposés à l’IVG[7]. Mais, pour autant, le besoin d’évolution de la loi se fait sentir. Le Paraguay est l’un des pays d’Amérique Latine avec le taux de mortalité maternelle le plus haut. En 2015, ce taux sur 100 000 naissances atteignait 132. Et les IVG clandestines pratiquées sont parmi les premières causes de cette mortalité maternelle. S’il y a peu de chances que le nouveau président évolue sur le sujet (quasiment aucun candidat n’y était favorable d’ailleurs), il serait au moins souhaitable de « couper la poire en deux » en intégrant les cas de viols, incestes, ou de grave malformation du fœtus au nom de la Santé publique.

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Débat présidentielle entre Efrain Alegre et Mario Abdo Benitez (capture d’écran).
La corruption, un des points noirs du pays

Les chevaux de bataille de Mario Abdo Benitez sont la lutte contre la corruption et un assainissement de la justice qui est accusée d’être à la solde du politique. Transparency International, une ONG de lutte contre la corruption créée en 1993, évalue les taux de corruption des Etats de 0 à 100. Plus on approche de 0 et plus la corruption est élevée. Au Paraguay[8], ce taux était de 29/100 en 2017, ce qui le classait au 135e rang sur 180 pays répertoriés. Or, il est difficile de s’attaquer politiquement à la corruption dans tous les secteurs du pays quand on sait que la campagne présidentielle de 2013 avait été entachée de soupçons de corruption. Horacio Cartes avait été accusé par Efrain Alegre de blanchiment d’argent, de liens avec la contrebande et de narcotrafic. De son côté, Cartes avait accusé son rival d’acquisition illégale de terres et de détournement de fonds publics. Même sans preuves, de tels débats dans une campagne ne laissent pas espérer une lutte sincère contre la corruption si les initiateurs sont eux-mêmes potentiellement dans l’illégalité…

« Au niveau économique, Benitez va poursuivre la politique de son prédécesseur, ce qui devrait permettre au Paraguay de conserver sa haute croissance (4,5 % annoncé pour 2018), sa faible pression fiscale et son attractivité aux yeux des investisseurs étrangers »

En outre, le développement de la sécurité et des moyens de l’Armée souhaité par le nouveau président semble être une idée louable si tant est qu’on s’attaque aux racines du mal c’est-à-dire qu’on s’attaque aux puissants narcotrafiquants qui chaque jour créent des zones de non-droit au détriment d’un peuple qui n’a d’autre choix que de se soumettre.

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Les principales destinations des exportations du Paraguay.

Au niveau économique, Benitez va poursuivre la politique de son prédécesseur, ce qui devrait permettre au Paraguay de conserver sa haute croissance (4,5 % annoncés pour 2018), sa faible pression fiscale et son attractivité aux yeux les investisseurs étrangers. La grande production agricole et les exportations de soja, de coton, de voitures, de viande bovine et de bois ont permis au pays de gagner en 2016 8,48 milliards de dollars, soit 6,9 milliards d’euros, avec toutefois une balance négative puisque les exportations se soldent à 9,7 milliards de dollars, soit près de 8 milliards d’euros.

« Le gouvernement ne doit pas faire l’erreur de bien des pays au monde, à savoir se jeter à corps perdu dans le jeu de la mondialisation débridée, en sachant que celle-ci percutera de plein fouet les petits paysans et les indigènes »

Mais ces points positifs ne doivent pas faire oublier la lutte contre la pauvreté, dans un pays qui compte 28,9 % d’habitants démunis en 2016[9]. Ils étaient 57,7 % en 2002, 28 % en 2013 et 26,6 % en 2015. Une baisse significative de la pauvreté sur le long terme qui s’atténue voire s’inverse depuis trois ans. 40 %[10] des enfants de moins de 10 ans vivent dans la pauvreté.

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Efrain Alegre, candidat du centre-droit.

Outre la nécessité d’une politique d’aides sociales, le gouvernement ne doit pas faire l’erreur de bien des pays au monde, à savoir se jeter à corps perdu dans le jeu de la mondialisation débridée, en sachant que celle-ci percutera de plein fouet les petits paysans et les indigènes, comme le libre-échange sans limites de l’UE a eu des répercussions dramatiques pour les paysans européens. Or, le Paraguay reste un pays encore fortement agricole, dont les différents acteurs ne sauraient faire face à la concurrence généralisée.

Ainsi, si l’on peut espérer certains changements pour le Paraguay, notamment au niveau de la lutte contre la pauvreté et de la corruption, il ne faut pas attendre de rupture radicale avec la politique d’Horacio Cartes. L’âge de Mario Abdo Benitez, sa volonté de tourner une bonne fois pour toute la page du passé et la nouvelle génération de Paraguayens qui s’identifie à lui sont des éléments qui peuvent laisser songer à une politique tournée vers l’avenir. Mais, dans l’ensemble, ce mandat devrait se dérouler plutôt dans la continuité de l’ancien président.


Notes :
[1] Constitucion de la Republica de Paraguay.
[2] « Presidente paraguayo renuncia a reforma para reeleccion que desato disturbios », 24horas, 17 avril 2017.
[3] Tony Robin, « Paraguay : des manifestations embrasent la capitale », RFI, 1er avril 2017,
[4] Dino Capelli, « Paraguay : nostalgia de la dictadura », El Mundo,
[5] Mike Ceaser, « Paraguay’s archive of terror »BBC News, 11 mars 2002.
[6] Codigo penal de Paraguay.
[7] « Mayoria de la poblacion esta en contra del aborto », hoy.com, 19 mai 2015,
[8] Taux de corruption au Paraguay, Transparency International, 2017.
[9] Ratio de la population pauvre en fonction du seuil de pauvreté national (% de la population), Banque Mondiale, 2016.
[10] « Paraguay: 40 % de la población infantil vive en pobreza », Telesuftv.net, 26 juillet 2017.

Auteur : Ella Micheletti

Journaliste indépendante. Ex-EPJ de Tours. M2 droit public. Fondatrice de Voix de l’Hexagone. Beaucoup de politique (française et étrangère). Animaux passionnément. Littérature à la folie.

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