« Après Daech : une occasion importante pour reconstruire l’identité irakienne » – Entretien avec Ali Al Yaqoobi

Irak - Guerre

Avocat francophone, docteur en droit et professeur à l’Université de Bagdad, Ali Essa Al Yaqoobi, revient pour Voix de l’Hexagone sur le processus démocratique irakien, interrompu par quatre années de guerre contre l’Etat Islamique. 

Propos recueillis par Pierre-Henri Paulet.


Voix de l’Hexagone : Le mois dernier se sont tenues des élections législatives en Irak. Quels en ont été les enjeux, en particulier dans la province d’al-Anbar, sunnite, où s’était implanté Daech ?

Ali Al Yaqoobi
Ali Al Yaqoobi, professeur à l’Université de Bagdad, est spécialiste de la transition irakienne

Ali Al Yaqoobi : Les élections du 12 mai ont été une occasion importante pour reconstruire l’identité irakienne après la victoire contre Daech, en Irak d’une façon générale, mais plus spécialement dans la zone sunnite qui avait été touchée par Daech. En fait cette zone avait été libérée par des soldats irakiens, en majorité chiites, avec l’aide des Peshmergas kurdes et tous avaient risqué et parfois donné leur vie pour libérer cette région sunnite. Après cela les sunnites ont davantage ressenti leur appartenance à une société multiethnique et multi-religieuse.

Cette élection a été la première élection libre après Daech. De plus, on a remarqué que les listes très marquées religieusement et ethniquement étaient moins nombreuses. Les listes du Premier ministre, chiite, ont été présentes au Kurdistan et dans les régions sunnites. Les listes sont devenues beaucoup plus mélangées, ce qui marque une évolution par rapport aux élections précédentes. Ce qui veut dire que l’unité irakienne a remporté un succès en face des tentatives de division de Daech.

Le référendum pour l’indépendance du Kurdistan a été un « échec », la Cour Suprême fédérale, encouragée par la société internationale, ayant déclaré son inconstitutionnalité et ayant assuré l’unité de l’Irak après la victoire contre Daech et contre l’Etat islamique.

VdH : La période qui s’ouvre serait-elle donc propice à refermer la fracture entre l’Irak sunnite et l’Irak chiite, ravivée par la disparition du régime baasiste en 2003 ?

A.A.Y. : Il est en effet permis de penser que cette fracture se refermera.

« L’unité irakienne a remporté un succès en face des tentatives de division de Daesh »

VdH : Vous avez consacré une partie de vos recherches, notamment votre thèse de doctorat, au processus constitutionnel en Irak depuis la chute de Saddam Hussein. Peut-on considérer aujourd’hui que les institutions fonctionnent et que la démocratie irakienne est consolidée à l’échelle fédérale ?

A.A.Y. : La Constitution irakienne de 2005 et la victoire contre Daech ont été les faits les plus marquants dans la vie de l’Irak depuis la chute de Saddam Hussein. Selon la Constitution irakienne, plusieurs institutions ont été organisées suivant les principes de la démocratie. Pour répondre précisément à votre question nous avons encore besoin de temps. Beaucoup de travail reste à faire, c’est une démarche que nous accomplissons par étapes. L’application de la Constitution a encore besoin de beaucoup de lois. Il faut renforcer la démocratie avec l’aide de la société internationale et des experts. Mais il ne faut pas oublier que c’est cette Constitution qui protège l’Irak d’une évolution semblable à celles de la Syrie, de la Libye ou du Yémen : grâce à la Constitution, l’Etat n’est pas divisé en Irak.

conférence Koweit 2018
La conférence du Koweït sur la reconstruction de l’Irak s’est tenue en février 2018

VdH : On a appris il y a quelques jours que la mosquée al-Nouri de Mossoul, rasée par l’État islamique l’an dernier, allait être reconstruite. Est-ce le symbole de la victoire définitive remportée contre Daesh ?

A.A.Y. : La conférence du Koweit – qui a rassemblé les pays donateurs pour aider tout l’Irak à se reconstruire – a permis de réunir de l’argent, comme subventions et prêts. La mosquée al-Nouri a présenté son plan, supervisé par l’Unesco. C’est bien un symbole fort de la victoire contre Daech.

VdH : Les Irakiens connaissent-ils aujourd’hui le bilan humain et économique de cette guerre de près de quatre ans contre le « Califat » d’Al-Baghdadi ?

A.A.Y. : Les délégations irakiennes présentes à la conférence du Koweit ont donné comme chiffre de bilan économique 100 milliards de dollars. Pour le nombre des victimes, les chiffres officiels ne sont pas encore publiés, on en trouve dans des journaux ou donnés par les Nations Unies mais ce n’est pas officiel. On attend donc les chiffres officiels pour les citer.

« Nous avons encore besoin de temps. […] Il faut renforcer la démocratie avec l’aide de la société internationale et des experts »

VdH : La coalition internationale contre le terrorisme, emmenée par les États-Unis, poursuit ses raids ponctuels sur les territoires syriens et irakiens. Les frappes auraient même fait 883 victimes civiles depuis 2014. L’intervention des Occidentaux dans ces deux pays est-elle encore justifiée ?

A.A.Y. : Bien que les conseils et les formations donnés par la coalition internationale aient encore leur utilité pour renforcer l’armée irakienne, les raids ne sont pas justifiés dans les territoires irakiens sauf à la demande du gouvernement irakien.

VdH : Dans la région, la situation du Yémen, pilonné par l’Arabie Saoudite et ses alliés (opération « Tempête de fermeté »), vous préoccupe particulièrement. Quelle est la position diplomatique tenue par le gouvernement irakien dans ce conflit meurtrier ?

A.A.Y. : L’Irak, à plusieurs occasions, a donné son opinion et a refusé l’utilisation de la force militaire au Yémen. Mais le gouvernement pense que c’est le dialogue entre les Yéménites qui réglera ce problème sans recourir à une action militaire.

Entretien réalisé par messagerie électronique en mai 2018.

Auteur : Pierre-Henri Paulet

Contributeur et éditorialiste de 'Voix de l'Hexagone'. Rédacteur en chef de la revue 'Cité'.

Un commentaire

  1. L’article très intéressent, le choix de l’interlocuteur est excellent d’autant plus qu’en Europe, nous n’avons pas très souvent l’occasion d’écouter les experts irakiens qui connaissent parfaitement la situation sur place.

    J’aime

Votre commentaire

Entrez vos coordonnées ci-dessous ou cliquez sur une icône pour vous connecter:

Logo WordPress.com

Vous commentez à l’aide de votre compte WordPress.com. Déconnexion /  Changer )

Photo Facebook

Vous commentez à l’aide de votre compte Facebook. Déconnexion /  Changer )

Connexion à %s