Le blues des Foulards rouges

Qu’ils étaient devenus tristes, les dimanches, depuis la mi-novembre ! Quelle désolation au lendemain de chaque acte épique de nos braves Gilets jaunes ! Quel ennui d’assister, dans les colonnes et sur les plateaux, à la bataille hebdomadaire des chiffres, au recensement des blessés de la veille, aux mises en garde sans effet de ministres déboussolés… Mais ce 27 janvier, enfin un grand moment ! Enfin une contre-manifestation à opposer à la foule fluo qui beugle sa colère en plein hiver. La France qui soutient le gouvernement, cette « majorité silencieuse » nous avait-on dit, se décidait à entrer en scène. À se rassembler, à assurer au pouvoir élu en 2017, aux institutions, à l’État sa loyauté indéfectible. Les participants déclarés avaient tous en mémoire ce 30 mai, quand un million de Français avaient défilé, avenue des Champs-Élysées, en pleine chienlit soixante-huitarde, au nom du Général de Gaulle. Leur signe de ralliement ? Un foulard rouge. Étrange accessoire, popularisé jadis par Renaud, le chanteur anar, pour ces citoyens en colère ne supportant plus le foutoir des samedis qui nuit tellement à la liberté de commerce et à la crédibilité du PDG de la Start-Up Nation. Bref, ils seraient beaux ainsi attifés. Avec eux, annonçaient-ils, l’intelligence et le calme contrasteraient avec la furia des Gilets jaunes, leurs ennemis mortels.

« Ils étaient parisiens ou provinciaux et n’avaient qu’une idée en tête : défendre la République attaquée par les séditieux vêtus en gilets Lagerfeld »

Mais au fait : qui étaient donc les organisateurs de cette démonstration de force ? Des femmes et des hommes ordinaires qui, dans un esprit transpartisan, voulaient se battre pour la défense « des libertés » et de la « démocratie ». N’y voyez surtout pas des Marcheurs déguisés ! C’est ce qu’ont tenté d’expliquer aux plus incrédules les instigateurs de l’événement initialement intitulé « Marche républicaine de soutien à Emmanuel Macron », puis subitement renommé « Marche républicaine des Libertés ». On comprend que, soucieux de neutralité, les porteurs du projet aient fait le choix de promouvoir un principe plutôt que de sombrer dans la facilité publicitaire d’utiliser le nom d’un représentant politique aussi populaire. C’était tout à leur honneur que d’avoir renoncé au succès facile pour agir en harmonie avec leurs convictions. Le défilé du 27 janvier, donc, n’avait rien à voir avec Emmanuel Macron ou même avec La République En Marche ! Il suffisait pour s’en convaincre de feuilleter Le Canard Enchaîné de la semaine précédente. On y lisait que l’Élysée avait discrètement déconseillé aux ministres de s’associer à l’événement. Sans doute par modestie, le gouvernement et la majorité ont préféré laisser toute la gloire aux Foulards rouges plutôt que de surfer sur l’immense succès annoncé…

Dimanche, donc, ils sont venus se rassembler, place de la Nation. Au début, ils ont eu du mal à former un cortège : quelques dizaines, puis quelques centaines. Les petits ruisseaux faisant parfois les grandes rivières, les Foulards rouges ont fini par devenir, oh pas une foule, mais une cohorte… 2 000, 3 000, 4 000 personnes notèrent les observateurs sur place. La Préfecture de Police, dans sa grande mansuétude, les évaluera finalement autour de 10 500. Ils étaient parisiens ou provinciaux et n’avaient qu’une idée en tête : défendre la République attaquée par les séditieux vêtus en gilets Lagerfeld. Au total donc, 10 500 à tout casser (façon de parler, les Black Blocks n’en ayant pas grossi les rangs)… Face à un tel raz-de-marée, on sent bien que la République en est ressortie rassérénée, ragaillardie pour longtemps.

« Face à un tel raz-de-marée, on sent bien que la République en est ressortie rassérénée, ragaillardie pour longtemps »

Comment cerner leurs revendications à ces Foulards rouges ? Jauger leurs bonnes intentions ? Contrôler leur agressivité ? Comment évaluer leur représentativité ? Ils avaient heureusement tout prévu ! Depuis un mois qu’ils préparaient leur marche, ils avaient défini le mode d’emploi à suivre avec les Gilets jaunes, en deux règles simples : « évalue ton nombre par rapport au corps électoral » et « dis moi quels sont tes slogans et tes cibles, et je te dirai qui tu es ». Conseils suivis à la lettre ! Qu’ont donc revendiqué les 0,023% d’électeurs défilant dimanche dans la Capitale ? Nous avons aperçu des pancartes au sens improbable : des cris d’amour à Alexandre Benalla, Christophe Castaner ou aux lanceurs de balles LBD, des déclarations d’amitié à la finance. Par la suite, nous avons su qu’il s’agissait de canulars. Nous avons entendu sur un média russe le témoignage édifiant d’un jeune homme en appeler à une répression plus ferme du pouvoir contre les « factieux ». Par la suite, nous avons appris qu’il s’agissait d’un autre canular. Nous avons croisé aussi des individus passablement énervés, invectiver qui des journalistes, qui des passants pas assez macronistes, qui les classes modestes réputées râleuses, analphabètes et paresseuses. Par la suite, nous avons compris qu’il s’agissait d’authentiques manifestants.

Les Foulards rouges nous ont livré une formidable démonstration. Mais de faiblesse.

Alors, gardons le cap et les yeux ouverts !

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