Candidat aux élections européennes sur la liste Les Républicains, Gabriel Melaïmi entend porter un discours gaulliste au sein de son parti. C’est l’une des raisons qui l’ont poussé à s’engager dans le mouvement de Julien Aubert, Oser la France. Souveraineté, modèle culturel, reconstruction de la droite, euro, défense de nos fleurons industriels, il s’est confié sur ces sujets à Voix de l’Hexagone.
Propos recueillis par Ella Micheletti.
Voix de l’Hexagone : Vous êtes secrétaire général d’Oser la France, le mouvement de Julien Aubert. Depuis quand êtes-vous adhérent à LR et qu’est-ce qui vous a poussé à vous engager pour ces élections européennes ?

Gabriel Melaïmi : J’avais été séduit en 2007 par l’audace et le dynamisme de Nicolas Sarkozy. À partir de 2015/2016, j’ai décidé de pleinement m’engager chez Les Républicains et en politique de manière générale car j’aime le débat d’idées. Je ne peux pas me résoudre à voir les choses se faire sans essayer d’être un acteur de ces événements. Pour essayer d’influer ou de pousser quand je trouve que cela va dans le bon sens. Je suis quelqu’un de très attaché à l’amour de la France, de la patrie. C’est quelque chose qui me meut, ainsi que des valeurs comme le travail, le mérite, la défense d’un certain ordre car je pense que pour pouvoir vivre en liberté, il faut aussi un peu d’ordre.
Il y a aussi des considérations plus anthropologiques et économiques. Je suis attaché à la liberté économique sans être néo-libéral. À la suite de l’élection présidentielle 2017, j’ai décidé d’aller voir Julien Aubert car j’avais l’impression qu’il défendait tout ce en quoi je crois : l’amour de la France dans une Europe des nations, un attachement à la défense nationale, d’un État stratège, une rupture avec le néo-libéralisme, un souci des questions culturelles, une fibre sociale également. Et puis un intérêt pour l’écologie car c’est un expert des questions énergétiques. De fil en aiguille, on a travaillé sur sa candidature à l’élection interne de la présidence des Républicains à l’automne 2017 et à la constitution d’Oser la France, un collectif de réflexion gaulliste, qui n’est pas lié à LR. Certains de ses membres sont adhérents à LR mais il n’est pas lié juridiquement et structurellement au parti. En dix-huit mois, je pense que nous avons fait un très beau travail. J’ai un attachement à tout ce qui constitue les principes fondamentaux du gaullisme.
Pour ce qui est des élections européennes, il me semblait que c’était l’occasion d’essayer d’influer sur le discours de LR. À titre individuel, au fur et à mesure, après avoir discuté avec des gens d’horizons divers, j’ai présenté ma candidature. Ma position sur la liste m’importait peu. Il ne s’agissait pas forcément d’être élu mais de défendre mes positions. La tonalité du discours européen de LR avait un peu évolué par rapport à 2014, il y avait un petit signal positif qui favorisait mon engagement. Julien Aubert, Patrice Verchère ou Pierre Vatin m’ont appuyé dans cette démarche et je les en remercie. J’ai pu m’impliquer à fond dans une campagne. C’était l’occasion de se battre pour soutenir François-Xavier Bellamy qui était à mon sens une excellente tête de liste et de pouvoir essayer d’influer sur la ligne, modestement. La question européenne me tient à cœur car c’est celle de la France dans l’Europe et dans le monde, et de son avenir. Est-ce que la France a vocation à être une nation souveraine dans un ensemble confédéral ou une alliance de nations, ou à être diluée et à devenir un État fédéré dans un État fédéral européen ? Pendant un mois, j’ai été sur le terrain et fait des émissions. C’était enrichissant et enthousiasmant. Malheureusement, le score n’a pas été à la hauteur des espérances.
VdH : Au soir des résultats, le score de François-Xavier Bellamy a créé des remous chez LR. Certains, comme Gérard Larcher, appellent à un rapprochement de la droite avec le centre. Mais cet espace politique parfois qualifié d’ »extrême-centre » est déjà occupé par LREM. Un tel rapprochement reviendrait-il pas de facto à singer LREM ou se calquer sur elle ? Pour vous, l’avenir de LR réside-t-il dans ce positionnement ?
G.M. : C’est intéressant que vous parliez d’extrême-centre. En effet, je crois qu’il y a un populisme de gauche, incarné par LFI ou d’autres, un populisme de droite que l’on connait bien avec le RN mais également un populisme du centre. Je pense qu’Emmanuel Macron s’est fait élire sur une forme de discours populiste élitaire en 2017. Actuellement, on a un affrontement des populismes ; les deux principales forces politiques sont populistes : le RN et LREM et ses satellites, pour lesquels Emmanuel Macron est une sorte de gourou. Je ne pense pas que le problème vienne de François-Xavier Bellamy. Il a hérité d’un passé, d’une structure et de personnalités qui l’entouraient. Il a donné son maximum. Il a essayé de porter haut le débat public intellectuel sur les questions européennes, sur les questions de civilisation, d’héritage et de transmission qui sont fondamentales à mon sens.
« François-Xavier Bellamy a donné son maximum. Il a essayé de porter haut le débat public intellectuel sur les questions européennes, sur les questions de civilisation, sur l’héritage et la transmission, qui sont fondamentales à mon sens »
Ce n’est pas parce qu’il faut aussi parler d’autre chose qu’il faut évincer tout cela. Il a porté un discours très intéressant, qu’il faut probablement enrichir pour parler à l’ensemble des Français mais qui n’est pas un problème en tant que tel. Les Républicains souffrent d’avoir fait la politique de l’autruche. Ils n’ont jamais fait l’inventaire du quinquennat Sarkozy… J’ai été sur le terrain et j’ai vu ce que nous reprochaient les gens : de s’être assis sur le « non » au référendum de 2005, de ne pas avoir « passé le Kärcher » dans les banlieues, de ne pas avoir fait toutes les réformes promises.
VdH : Mais certains ne tournent pas la page Sarkozy…
G.M. : En effet… Mais il faut faire cet inventaire, n’en déplaise aux sarkozystes et à certains militants. En 2012, on a refusé d’admettre nos erreurs. Certains disent que Nicolas Sarkozy doit revenir mais il est revenu et il a perdu, face à François Fillon et Alain Juppé. Si on proposait aux gens de réélire Jacques Chirac, même s’il est sympathique, je ne pense pas qu’ils voteraient pour lui.
À l’issue de cet inventaire, il faut réussir à faire un aggiornamento idéologique, qui suppose, tout en gardant des valeurs cardinales car on reste la droite, de proposer un autre programme. Depuis 2007, on propose les mêmes recettes : moins de dépenses publiques, moins de fonctionnaires, même d’impôts… Soit. Cela ne fait pas un programme et une vision d’avenir. On propose les mêmes méthodes : l’union de la droite et du centre. On dit que c’est ainsi que Nicolas Sarkozy a fait 31 % mais en 2007, le contexte était totalement différent, il avait réussi une belle synthèse mais il a été au pouvoir et il a été battu par François Hollande. Cette union marche quand on a le pouvoir car on est mu par une chose : garder le pouvoir. Mais elle avait été utilisée en 2002, pour conquérir le pouvoir. On ne peut conquérir le pouvoir en proposant quelque chose de tiède. Cette union mettrait sous le tapis toutes nos divergences. Faire du neuf avec du vieux ne convaincra pas les Français de revoter pour nous.
« La droite ne peut se résumer à moins d’impôts et de dépenses publiques et plus de libre-échange. D’ailleurs, les Français n’en veulent pas. Ils sont en attente de protection »
Il faut aussi renouveler. Ce qu’on nous reproche sur le terrain, c’est que les mêmes têtes apparaissent dans les médias, qui étaient ministres de Jacques Chirac ou de Nicolas Sarkozy et qui prétendent être les chefs… Les querelles de personnes, d’egos… Il faut s’appuyer sur la nouvelle génération de maires et de parlementaires de 2017, sur de nouvelles têtes qui émergent depuis deux ans et qui ont pu s’impliquer vivement. Encore une fois, on ne peut faire du neuf avec du vieux. Bien sûr, il faut garder des principes, on ne va pas adopter du jour au lendemain le programme environnemental des Verts mais on ne peut pas avoir systématiquement le même programme – le monde a changé ! – et garder les mêmes têtes. Il faut aussi parler des sujets qui fâchent : la question culturelle. Quel modèle culturel, anthropologique, d’État-nation, veut-on promouvoir dans notre société, face au progressisme d’En Marche, au libéraux-libertaires, aux communautaristes, à l’islamisme ? La République est laïque mais la République ce n’est pas toute la France. La France est plus ancienne. Enfin, vient la question économique : il faut rompre avec le néo-libéralisme. La droite ne peut se résumer à moins d’impôts et de dépenses publiques et plus de libre-échange. D’ailleurs, les Français n’en veulent pas. Ils sont en attente de protection. Il ne s’agit pas d’être anti-libéral. Julien Aubert le dit : il est libéral mais pas néo-libéral.
Il faut garder le sens de l’État-stratège. On ne peut pas envoyer valser et privatiser les barrages hydrauliques, nos turbines avec Alstom ou ADP (qui est notre principale frontière). Ça c’est du néo-libéralisme irréfléchi, c’est une pensée religieuse et non pas économique. Il s’agit de l’aménagement du territoire et de notre souveraineté. Julien Aubert a signé le référendum d’initiative partagée pour ADP, parce qu’il était convaincu que c’est un investissement stratégique. Plein de raisons justifient de garder dans notre giron ADP, de la même façon que nos barrages ou Alstom. Alstom fait toutes les turbines nucléaires, pas uniquement pour les centrales mais aussi le porte-avions Charles-de-Gaulle. On met notre armée entre les mains de puissances étrangères : ce n’est pas possible.
VdH : Et quid de la question écologique ?
G.M. : On n’a pas de pensée environnementale chez LR. On défend le nucléaire. Je suis d’accord avec ça car je pense que c’est la principale source qui nous permettra de baisser nos émissions de CO2. Si on voit que la France est peu pollueuse en termes de CO2, c’est aussi grâce au nucléaire. Mais on n’a pas réfléchi à la transition écologique avec le photovoltaïque, l’éolien. On a balancé de l’argent à foison dans le cadre du Grenelle de l’environnement sans réflexion. On a favorisé les industries allemande et chinoise.
« L’Europe s’est beaucoup trop intégrée, elle a voulu devenir un super État bureaucratique. Il faut réaffirmer que nous sommes contre l’Europe fédérale et contre le transfert de souveraineté. Il y a des compétences qu’il faut rétrocéder aux États »
De la même manière, on n’a pas de raisonnement autre que celui qui colle à la FNSEA sur l’agriculture. On ne réfléchit pas sur la voiture de demain. La batterie électrique, c’est très bien mais ça pollue aussi. La voiture électrique n’est pas forcément très écologique. On ne réfléchit pas à la voiture à hydrogène, alors qu’on a des savoir-faire en France. Nous avons besoin d’un discours écologique de droite, compatible avec une croissance économique et avec l’emploi.
VdH : Sur la question européenne, quelle ligne Les Républicains devraient-ils affirmer ?
G.M. : François-Xavier Bellamy avait réussi à dire qu’il n’y aurait pas de transfert de souveraineté supplémentaire. Mais il faut aller plus loin : pourquoi pas un grand soir des compétences ? La Commission n’a pas à être une machine à normes, elle doit être un secrétariat général de projets. L’Europe s’est beaucoup trop intégrée, elle a voulu devenir un super État bureaucratique. Il faut réaffirmer que nous sommes contre l’Europe fédérale et contre le transfert de souveraineté. Il y a des compétences qu’il faut rétrocéder aux États. Le discours que l’on tient sur cette question à Oser la France, c’est le gaullisme. C’est ce qu’on veut porter au sein de LR, car c’est la famille fondatrice du gaullisme depuis 1958, celle qui était majoritaire. On l’a perdu depuis la création de l’UMP.
VdH : Mais votre électorat n’est pas majoritairement gaulliste, sinon il ne se laisserait pas séduire par Macron…
G.M. : Je ne pense pas qu’une grosse partie de notre électorat ait voté macron car tout dépend ce qu’on appelle notre « électorat », jusque où on remonte. On avait déjà perdu notre électorat populaire auparavant. Il est parti sur les franges souverainistes (DLF, RN). Il y avait une droite populaire et on l’a perdue. L’électorat aisé en effet s’est tourné vers Emmanuel Macron. On remarque qu’un quart des électeurs de François Fillon a voté pour Emmanuel Macron et un cinquième pour le RN. Donc il y a aussi une part de notre électorat qui a voté RN. Notre électorat se disperse. Je pense fondamentalement que si on retourne aux sources, si on prend en compte les électeurs populaires et aisés, on en trouvera davantage partis au RN. C’est pourquoi je suis allé vers Oser la France. Il faut s’adresser à cette droite populaire, sociale et gaulliste, qui défendait les intérêts nationaux et qui faisait entre 30 et 35 %. Elle s’est recroquevillée pour ne plus peser que 25 % à l’époque de Nicolas Sarkozy, 20 % avec François Fillon, 15 % aux législatives de 2017 et 8 % aujourd’hui…
« Il faut engager un bras-de-fer avec l’UE […] On ne doit pas pouvoir imposer un traité commercial sans que les parlements nationaux n’aient eu leur mot à dire. Il faut un droit de veto pour chacun de ces traités sinon c’est un déni de démocratie »
C’est une Europe des nations pour laquelle on se bat. Sans quitter l’UE, il faut demander à récupérer des compétences. Il faut engager un bras-de-fer. La France est la deuxième puissance européenne et la principale puissance militaire. Ça pèse. L’UE reste un rapport entre États principalement. Il faut rentrer dans un rapport de force. Cela ne veut pas dire qu’on est italophobe ou germanophobe. On veut défendre nos intérêts dans le cadre de l’UE. L’UE peut avoir un intérêt en termes d’agriculture, de commerce international, de consommation, de marché intérieur. Ce sont des compétences qui peuvent relever de la Commission. Mais des secteurs doivent être rétrocédés : l’immigration, l’éducation, la santé, la défense. Par ailleurs, étant donné que nous sommes une union douanière, nous devons peser ensemble mais on ne doit pas pouvoir imposer un traité commercial sans que les parlements nationaux n’aient eu leur mot à dire. Il faut un droit de veto pour chacun de ces traités sinon c’est un déni de démocratie.
Il faut le dire clairement : l’Union européenne n’a pas une vocation à être une fédération. Cela doit être un outil au service de la puissance des États-membres.
VdH : Les juges français censureraient toute volonté de bras de fer en raison de la primauté du droit de l’UE…
G.M. : Oser la France propose que le droit dérivé de l’UE n’ait pas une valeur supérieure aux lois, à la Constitution française. C’est l’inscrire dans notre Constitution. Une réforme constitutionnelle est nécessaire. Il est plus facile de réformer notre Constitution que les traités. Dans notre droit, il faut inscrire une mesure qui nous permette de récupérer une part de notre souveraineté. Sur la directive des travailleurs détachés, Oser la France propose donc que le droit dérivé ne soit pas supérieur à une loi nationale et à la Constitution. Cela provoquerait un conflit au niveau européen mais nous pourrions renégocier une directive pour qu’elle soit davantage conforme à nos intérêts. Si aucun terrain d’entente n’était trouvé, cette directive resterait inapplicable.

VdH : Quelle est votre position personnelle sur l’euro ?
G.M. : Si j’avais été électeur en 2005, je n’aurais pas voté le Traité constitutionnel européen, comme ne l’ont pas voté Julien Aubert ou François-Xavier Bellamy. L’euro a détruit notre tissu industriel, il a appauvri certaines classes sociales françaises, les plus populaires principalement. Il a handicapé notre économie. Le problème, c’est que sortir de l’euro actuellement – vu la structure de notre économie, dépendante des marchés extérieurs, et étant donné le risque inflationniste – achèverait de détruire le peu de tissu industriel que nous avons et ruinerait les épargnants et les retraités. Ceux qui sont captifs car ils ne peuvent plus travailler pour reconstituer leur capital. En revanche, je ne dis pas que l’euro est un totem, qu’il a vocation à durer ad vitam aeternam et je ne dis pas que s’il devait disparaître, je me battrais mordicus pour le conserver… S’il disparaissait de sa belle mort, il faudrait qu’on s’organise pour en sortir de manière ordonnée et convenable.
VdH : Les sujets touchant à la bioéthique sont essentiels en ce qu’ils interrogent notre humanité actuelle et future. Pour certains figures de votre parti, le fait que François-Xavier Bellamy se soit saisi des thèmes sociétaux serait la cause du mauvais score enregistré aux élections européennes. Partagez-vous ce constat ?
G.M. : Le problème n’a pas été notre candidat ou sa ligne ou son discours. Le problème, encore une fois, est le passif de LR et les personnes qui incarnent le parti dans l’opinion publique. On a aussi été victime de la grosse bipolarisation autour du RN et de LREM. L’entrée en campagne d’Emmanuel Macron a tassé notre dynamique et nous a fait du mal. On n’est pas là pour coller aux sondages et à l’opinion mais aussi pour défendre nos convictions. Ceux qui sont prêts à devenir du jour au lendemain « ultra réac » puis, quand ils se rendent compte que cela leur fait perdre trois points dans les sondages, veulent devenir progressistes et vanter la PMA soi-disant pour toutes ou la GPA, l’euthanasie, tant mieux pour eux… Moi j’en suis personnellement incapable. Et je sais que dans notre famille politique, d’autres en sont incapables… Ceux qui sont avec Julien Aubert, par exemple, en sont incapables. Le gaullisme, c’est aussi une certaine éthique de la politique, par rapport à l’intégrité, l’honnêteté. On défend ce en quoi on croit véritablement. Les questions bioéthiques, culturelles, anthropologiques sont au cœur de ce qui fait une société. Cela ne fait pas tout, le discours politiques ne doit pas se résumer à ça. Peut-être effectivement qu’on a trop parlé de civilisation et pas assez du reste mais je n’en suis pas convaincu par ailleurs… C’était aussi une élection européenne donc les thématiques à aborder ne sont pas forcément les mêmes…
« Le gaullisme, c’est aussi une certaine éthique de la politique, par rapport à l’intégrité, l’honnêteté. On défend ce en quoi on croit véritablement. Les questions bioéthiques, culturelles, anthropologiques sont au cœur de ce qui fait une société »
Quand je disais qu’il fallait parler à tous les Français et pas à des fragments de la société, cela veut dire retrouver le sens du gaullisme et défendre ce en quoi on croit. On n’est pas là pour plaire aux sondeurs, aux médias ou avoir le droit à notre rond de serviette dans les dîners en ville parisiens. On doit défendre ce en quoi on croit vraiment. François-Xavier Bellamy a eu l’honnêteté de défendre ses positions sur la GPA, la PMA, et l’affaire Vincent Lambert. C’est son droit. Sur l’affaire Vincent Lambert, je crois que c’était une question délicate, je ne sais pas si j’aurais utilisé les mêmes termes que lui mais c’est compliqué. J’essaie de me mettre dans la peau des parents, je les comprends totalement, je me mets dans la peau de l’épouse, je la comprends totalement. Je me mets dans la peau de Vincent Lambert, et là je ne sais pas ce que je dois penser. C’est délicat. Par rapport à tout cela, je crois véritablement qu’il faut être très modeste, dans une attitude digne, ce n’est pas dire le contraire de ce qu’on pense ou de ce qu’on a dit vingt-quatre heures plus tôt.
VdH : Pensez-vous que François-Xavier Bellamy serait en mesure de parler aux classes populaires ? Pourquoi ces dernières continuent-elles de se porter sur le RN ?
G.M. : Soyons honnêtes, il n’avait pas non plus une extraordinaire notoriété quand il a commencé sa campagne. Ce que j’ai remarqué, c’est que – peu importe les couches sociales rencontrées sur le terrain – il y a un relatif désintérêt vis-à-vis de la politique, un dégoût, un rejet de la marque LR. Je ne sais pas si François-Xavier était en mesure de parler aux classes populaires mais le général de Gaulle était un fin lettré et était capable s’adresser à tout le monde. Ça peut donc venir. Je ne veux pas donner de leçon de morale car je ne suis personne pour dire ça.
« Le discours très intellectuel de François-Xavier Bellamy était difficile dans une élection où on polarise avec des votes utiles, le bien/le mal, le progressisme/les nationalistes. En revanche, sa sincérité fonctionnait parfaitement par rapport à tous les électorats »
Il faut élargir les thématiques pour toucher les classes populaires. Il y avait de la bienveillance envers François-Xavier Bellamy sur le terrain. Les gens sont en attente de sincérité. Le discours très intellectuel de François-Xavier Bellamy était difficile dans une élection où on polarise avec des votes utiles, le bien/le mal, le progressisme/les nationalistes. En revanche, sa sincérité fonctionnait parfaitement par rapport à tous les électorats. Quand j’allais sur le terrain, on me disait : « Vous êtes sincère, on vous croit mais on ne peut pas voter pour les autres membres de la liste. »
VdH : Des électorats traditionnellement de droite ont largement voté pour LREM (exemple : 37 % des catholiques pratiquants). Cela revient-il à dire que l’argument de l’économie est plus fort que tout désormais pour ces électorats ?
G.M. : À mon avis, il y a un électorat de droite effrayé par le RN et par son programme économique notamment. Cet électorat a mordu à l’hameçon d’Emmanuel Macron quand il a dit : « Il ne faut pas que le RN soit premier sinon ça va être la catastrophe. »
En désespoir de cause, il a voté LREM pour éviter que le RN sorte premier. D’autres ont fait le choix inverse : « Je vais voter pour le RN pour mettre un coup dans la tête à Emmanuel Macron. » Cet électorat catholique ne se décide pas uniquement en fonction de sa religion. C’est pour ça qu’il ne faut pas s’adresser à des segments électoraux mais aux Français, porter un discours sincère, clair. Je pense que c’est en partant des fondamentaux du gaullisme, adaptés au XXIe siècle, qu’on pourra retrouver la confiance des Français et notre crédibilité. Et Julien Aubert doit prendre toute sa part à la reconstruction. Peut-être qu’effectivement ces électeurs-là ont fait le choix du porte-monnaie, le choix de l’Ordre. Mais, en tout cas, ils ont fait le choix de ne pas voter pour une aventure parce que le RN leur paraissait aventureux. Je ne crois pas que ce soit perdu pour autant mais ce n’est pas en copiant le programme d’Emmanuel Macron qu’on les récupérera d’ailleurs. Ils préféreront l’original à la copie.
Il faut avoir un discours qui nous soit propre. Ni la copie conforme du RN, ni la copie conforme du discours porté par Emmanuel Macron ; notre propre discours. C’est le gaullisme qui nous permettra de nous distinguer du RN tout en pouvant récupérer les classes populaires et de nous distinguer de LREM pour récupérer les classes plus aisées. Nous devons rester nous-mêmes. Ça peut prendre du temps. Je ne dis pas que c’est pour 2022.
VdH : Que vous inspirent les récents départs du parti, notamment celui de Valérie Pécresse ?
G.M. : Valérie Pécresse a dit qu’elle quittait LR parce que « le parti est cadenassé de l’intérieur« . Elle aurait plutôt dû écrire qu’elle le quittait car les adhérents LR ne se retrouvent pas dans la ligne qu’elle défend ! Valérie Pécresse se sait minoritaire, sa ligne libérale, pro-européenne, certes ferme sur les questions régaliennes, mais globalement assez proche de celle que peuvent incarner Emmanuel Macron LREM, a été réduite à la portion congrue depuis 2017. Finalement, avec elle partent peut-être les derniers bataillons juppéistes, lesquels ont pour la plupart déjà franchi le Rubicon. Cependant, au-delà des désaccords idéologiques, il y a surtout une stratégie individuelle visant à satisfaire une ambition personnelle : Valérie Pécresse est focalisée sur sa réélection à la tête de la région Île-de-France, parce qu’elle veut sauver son poste et qu’elle garde l’espoir de pouvoir présenter sa candidature à l’élection présidentielle de 2022. Elle a fait de l’arithmétique et, voyant que LREM était majoritaire dans sa région lors des élections européennes, a décidé de couper les ponts avec LR en espérant obtenir ainsi la neutralité d’Emmanuel Macron à son égard. Finalement, c’est un choix tactique, plus que de convictions. Ce n’est pas de la politique au sens noble du terme…
En tentant de prendre du recul sur la situation, selon moi, ceci acte l’échec de la stratégie d’union de la droite et du centre dont nous parlions plus haut. Le moment est peut-être mûr pour adopter une autre stratégie, celle d’une troisième voie à même de parler, non seulement à toute la droite, mais aussi à tous les Français : le retour aux fondamentaux du gaullisme, encore une fois.
« Evidemment qu’il faut un leader, c’est dans l’ADN de la droite. Ça fait partie des gènes bonapartistes et gaullistes […] Il s’imposera quand une ligne s’imposera »
Un gaullisme populaire et authentiquement national qui n’oppose pas les « bobos » urbains aux « prolos » périurbains et ruraux, comme le font Emmanuel Macron et Marine Le Pen, mais qui propose un chemin d’avenir à tous les Français. Il n’est pas besoin d’aller changer de convictions, d’idées et de valeurs si on veut de l’audace, de l’innovation et de la « modernité » : la droite peut l’être sans se renier. « Les grands pays le sont devenus pour l’avoir voulu » disait Charles de Gaulle. Il ne tient qu’à nous de le vouloir encore pour la France.
VdH : Les Républicains ne souffrent-ils pas de l’absence d’un leader charismatique depuis la fin de l’ère Sarkozy ?
G.M. : La droite a souvent eu un leader charismatique mais il faisait la synthèse. À vouloir absolument rechercher un leader charismatique, quand on n’en a pas, on se divise car on n’est pas d’accord, sur le programme. Évidemment qu’il faut un leader, c’est dans l’ADN de la droite. Ça fait partie des gènes bonapartistes et gaullistes. Mais on ne le trouvera pas si on ne réfléchit pas d’abord aux idées. Il s’imposera quand une ligne s’imposera. On a potentiellement des leaders charismatiques qui n’ont pas encore reçu l’intérêt médiatique qu’ils mériteraient.
Entretien réalisé à Paris le 30 mai 2019, complété par courriers électroniques le 6 juin 2019.