La révision constitutionnelle : l’arlésienne du quinquennat ?

Constitution française (3)

En annonçant lors de son discours de politique générale du 12 juin un nouveau report de la révision constitutionnelle voulue par le Président de la République, Édouard Philippe s’accorde le temps d’affiner son projet. Et de trouver enfin une majorité qualifiée pour le voter.

Son examen initial était envisagé à l’été 2018. Mais les turbulences subies par l’exécutif à l’occasion de l’affaire Benalla, puis le bras de fer engagé consécutivement avec la Haute assemblée ont conduit à son report sine die. La révision constitutionnelle promise par Emmanuel Macron ne sera pas examinée cette année non plus. Aboutira-t-elle avant les échéances de 2022 ? Avec l’achèvement de la crise des Gilets jaunes et la fragilisation d’une partie de l’opposition à la suite des élections européennes, le ciel s’éclaircit à nouveau pour le gouvernement et la majorité. Placés politiquement en situation de force alors que débute symboliquement « l’acte II » de quinquennat, ils peuvent désormais convoiter le Sénat, sans l’appui duquel réformer la Constitution n’est pas envisageable.

Cap sur le Sénat

Les réticences des troupes de Gérard Lacher à approuver certains aspects du projet de révision viennent donc de conduire le gouvernement à un recul tactique. Et bien que le président du Sénat feigne la surprise et rappelle sa volonté de trouver un compromis, les mots employés par Édouard Philippe devant les députés, mercredi dernier, sont transparents : « Nous attendrons le moment propice et la manifestation de volonté du Sénat, qui peut-être ne viendra qu’après le renouvellement de la Haute Chambre en 2020. » Dit autrement, le gouvernement ne s’engage pas dans un conflit qu’il pourrait perdre mais fait le pari que l’hémicycle du Palais du Luxembourg lui sera plus favorable à l’automne 2020, au lendemain des élections sénatoriales. Entre temps, les municipales permettront peut-être de bouleverser les rapports de force. Derniers bastions des partis traditionnels, les territoires en général et les villes en particulier sont dans le viseur du parti présidentiel, encore peu implanté. L’arrivée massive de conseillers municipaux LREM en mars prochain faciliterait mécaniquement un basculement du Sénat vers le centre, puisque le collège électoral chargé d’élire ses membres est composé à 95 % de délégués de conseils municipaux.

« Le gouvernement fait le pari que l’hémicycle du Palais du Luxembourg lui sera plus favorable à l’automne 2020, au lendemain des élections sénatoriales »

Conformément à l’article 89 de la Constitution de la Ve République, tout projet de loi constitutionnelle doit être voté dans les mêmes termes par l’Assemblée nationale et le Sénat. La révision n’est ensuite adoptée qu’après avoir été approuvée par les trois cinquièmes du Parlement, réuni en Congrès. Difficile, en conséquence, de modifier les règles institutionnelles sans l’accord d’une majorité de sénateurs… Le Premier ministre a cependant, pour la forme, laissé entendre qu’Emmanuel Macron n’hésiterait pas à utiliser l’arme du référendum[1] pour contourner une hostilité persistante du Sénat sur la question de la réduction du nombre de parlementaires. Mais personne ne l’ignore, le référendum est un jeu risqué qu’Emmanuel Macron pourrait difficilement se permettre à quelques mois de la prochaine présidentielle…

Ces marques de volonté atténuent les réserves sur cette réforme plusieurs fois repoussée et plusieurs fois déclarée enterrée. Tout dépendra de l’évolution du contexte politique d’ici la fin de l’année 2020, d’un agenda parlementaire déjà très chargé mais aussi du contenu du texte proposé. Ce dernier doit être conçu pour répondre aux préoccupations démocratiques et écologiques du moment.

Une réforme à dose homéopathique ?

On ignore quand le nouveau projet de réforme institutionnelle sera présenté en conseil des ministres. D’après les « fuites » obtenues il y a quelques semaines par Le Monde, il a été conçu dans une optique consensuelle[2]. Au point de ressembler à une compilation d’ajustements. L’exécutif a concocté trois textes d’équilibre – une loi constitutionnelle, une loi organique et une loi ordinaire – synthétisant les promesses électorales d’Emmanuel Macron (dose de proportionnelle ; transformation du Conseil économique, social et environnemental ; réduction du nombre de parlementaires…), la réponse apportée au Grand Débat national (assouplissement des règles du référendum d’initiative partagée) et la nécessité de renoncer à des initiatives plus polémiques (simplification de la procédure législative).

Telle qu’elle est envisagée avant son examen au Parlement, la réforme ne bouleversera pas les équilibres de la Ve République. La part de députés élus à la proportionnelle sera limitée ; elle contribuera certes à améliorer la représentativité des petites formations politiques à l’Assemblée nationale, mais aussi celle du Rassemblement National, pénalisé face au scrutin majoritaire par le « plafond de verre » qui est généralement le sien dans des duels de second tour. Toutefois, la mesure ne remettra pas en cause le pouvoir « amplificateur de victoires » du scrutin majoritaire qui assure le plus souvent au premier parti en nombre de voix une majorité absolue des sièges. Cette correction marginale ne constitue pas le changement de philosophie de la démocratie représentative que provoquerait le passage à la proportionnelle intégrale. La mesure ne nécessitant que l’adoption d’une loi ordinaire, elle pourrait être mise en œuvre indépendamment de la révision du texte de la constitution, quoiqu’elle face partie du package gouvernemental.

« L’exécutif a concocté trois textes d’équilibre synthétisant les promesses électorales d’Emmanuel Macron, la réponse apportée au Grand Débat National et la nécessité de renoncer à des initiatives plus polémiques »

Sous sa forme actuelle, le projet limiterait à 25 % (contre un tiers prévu initialement) la réduction du nombre de députés et de sénateurs. Cette mesure est l’un des chevaux de bataille d’Emmanuel Macron depuis sa campagne présidentielle. Elle n’a cependant pas grand sens. D’une part parce qu’elle ne permettrait pas de contribuer significativement à la réduction des dépenses publiques, d’autre part car elle dégraderait plutôt la représentation des citoyens au Parlement.

Envisagée déjà par François Hollande, l’abrogation du statut de membre de droit du Conseil constitutionnel des anciens présidents de la République doit être saluée. Il serait bénéfique également que les critères et la procédure de nomination des membres du Conseil constitutionnel soient à cette occasion redéfinis afin de « juridictionnaliser » un peu plus un organe dont la composition demeure encore trop politique. Mais il n’apparaît pas que cette réflexion soit aujourd’hui sur la table.

Edouard Philippe
Édouard Philippe le 12 juin 2019 à l’Assemblée nationale

Un nouveau modèle de décentralisation est en passe d’être affirmé par la consécration d’un « droit à la différentiation territoriale ». Alors qu’il existe depuis 2003 la possibilité pour les collectivités de mettre en œuvre à titre expérimental, donc temporaire, une mesure qui déroge aux normes nationales, le droit à la différentiation leur permettrait, en fonction de leurs besoins, d’obtenir une dérogation permanente à des dispositions légales ou réglementaires. Ce renversement de perspective est à la fois la conséquence du processus de métropolisation et la réponse aux revendications des collectivités elles-mêmes. Il éliminerait ce que la République peut encore conserver de jacobin dans son rapport au local. Il s’agit là de la modification la plus significative portée par la réforme institutionnelle, mais qui sera vraisemblablement la moins commentée par les médias au regard de sa technicité.

Le gouvernement souhaite que la préoccupation écologique de la France intègre l’article 1er de la Constitution, qui disposerait alors que « la République agit pour la préservation de l’environnement et de la diversité biologique et contre les changements climatiques ». La dimension symbolique l’emporte sur les conséquences juridiques. Cette disposition chère à l’ancien ministre Nicolas Hulot demeure vague et n’ajouterait rien à ce que le bloc de constitutionnalité comprend déjà depuis la révision du 1er mars 2005 et l’intégration de la Charte de l’Environnement.

Enfin, le Conseil économique, social et environnemental (CESE) ne sera ni supprimé ni fusionné mais pourrait devenir un « Conseil de la Participation Citoyenne » allégé (155 membres au lieu des 233 qui le composent actuellement) chargé d’organiser des consultations de citoyens tirés au sort. Une manière de mettre un peu de démocratie directe en marge de la prise de décision. En la matière, la plus grosse avancée de la réforme ambitionnée se situe au niveau de l’assouplissement du référendum d’initiative partagée (RIP) et du champ matériel des consultations référendaires en général.

La démocratie directe renforcée

Alors que la procédure de collecte des signatures pour la tenue du premier RIP de l’histoire s’est ouverte le 13 juin dans de bien médiocres conditions[3], le projet de révision constitutionnelle formalise l’annonce faite par le Président de la République à l’issue du Grand Débat national. Le quota de parlementaires signataires pour déclencher la procédure pourrait passer d’un cinquième à un dixième (un assouplissement réel, même à l’issue de la réduction du nombre de parlementaires) et surtout 1 million de signatures citoyennes seraient exigées contre 4,7 millions actuellement.

Cette avancée indéniable s’accompagnerait d’une remise en cause du préalable parlementaire pour initier le RIP. Ainsi, une procédure pourrait être lancée par un dixième des parlementaires ou par 1 million de citoyens. Un bémol : la tenue du référendum, une fois conclue la collecte des signatures, dépendra toujours de l’inertie du Parlement. L’article 11 alinéa 5 de la Constitution dispose en effet que la proposition de loi n’est soumise aux suffrages du peuple français qu’en l’absence d’examen de celle-ci par l’Assemblée nationale et le Sénat dans un délai que le législateur organique a fixé à six mois suivant la validation de la pétition citoyenne.

« Ce projet de révision constitutionnelle intitulé ‘Pour un renouveau de la vie démocratique’ pourrait constituer un progrès contenu mais réel en matière de participation citoyenne. Encore faut-il que le gouvernement finisse par l’inscrire à l’ordre du jour des assemblées »

Le gouvernement envisage l’élargissement du champ matériel des référendums, qu’il s’agisse d’une consultation « classique » à l’initiative de l’exécutif ou d’un RIP. L’article 11 de la Constitution modifié préciserait tout d’abord que les Français peuvent être consultés sur des projets de loi relatifs à l’organisation des pouvoirs publics « nationaux ou territoriaux ». Il s’agit davantage d’un éclaircissement de la rédaction initiale de la Constitution que d’une réelle nouveauté. Deuxièmement, les référendums pourraient aussi à l’avenir porter sur « des sujets de sociétés ». Le champ du référendum avait déjà été élargi à deux reprises ces vingt-cinq dernières années : en 1995 fut ajoutée la possibilité de consultation portant sur « [les] réformes relatives à la politique économique et sociale de la nation et [les] services publics qui y concourent », étendue en 2003 à la politique environnementale. Pourtant, ces avancées n’ont nullement modifié la pratique référendaire qui a poursuivi son déclin. Combinées avec un RIP facilité, il pourrait enfin en être autrement dans les prochaines années. Précisons que le champ du référendum connaîtra dans le même temps une petite contraction puisque le projet de loi constitutionnelle prévoit qu’aucune loi ne pourra faire l’objet d’une abrogation par RIP dans les trois années qui suivront son adoption. De quoi protéger assez largement une majorité parlementaire pour la législature en cours.

Sur la question des référendums comme sur d’autres – dose de proportionnelle, réforme du CESE – ce projet de révision constitutionnelle intitulé « Pour un renouveau de la vie démocratique » pourrait donc constituer un progrès contenu mais réel en matière de participation citoyenne. Encore faut-il que le gouvernement finisse par l’inscrire à l’ordre du jour des assemblées. Rien n’est moins sûr.


Notes :
[1] La réduction du nombre de parlementaires est prévue non par le projet de loi constitutionnelle mais par un projet de loi organique qui l’accompagne. Ce dernier doit être approuvé par l’Assemblée nationale et par le Sénat. Mais l’article 11 de la Constitution permet au Président de soumettre à référendum un projet de loi « portant sur l’organisation des pouvoirs publics » : le vote du peuple se substitue alors à celui du Parlement.
[2] Patrick ROGER, « Révision constitutionnelle : des nouveautés, des inchangés et des retraits », Le Monde, 31 mars 2019.
[3] Lire par ex. Louis NADAU, « Surprise ! Le site pour voter le référendum contre la privatisation d’ADP est truffé de bugs », marianne.net, 13 juin 2019.

Auteur : Pierre-Henri Paulet

Contributeur et éditorialiste de 'Voix de l'Hexagone'. Rédacteur en chef de la revue 'Cité'.

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