Voix de l’Hexagone a rencontré Benjamin Beauchu lors de l’Université d’automne de République souveraine (RS) le 16 novembre 2019. Adhérent au parti fondé par Georges Kuzmanovic, cet éducateur spécialisé de 34 ans anime les réseaux sociaux du tout jeune parti.
Propos recueillis par Ella Micheletti.
Voix de l’Hexagone : Jeune adhérent de République souveraine, qu’est-ce qui vous a poussé à vous engager en politique ?
Benjamin Beauchu : Dans un premier temps, j’ai rejoint à la fin de l’année 2016 La France insoumise (LFI) car j’en trouvais le programme intéressant. Jean-Luc Mélenchon avait remis à l’époque la nation au cœur d’un programme de gauche. Ça faisait longtemps que ça n’était pas arrivé… J’ai tout de suite accroché. Je me suis engagé dans un groupe d’action à côté de chez moi, à Compiègne. On a fait quelques actions, c’était très intéressant, très diversifié sociologiquement : du chauffeur de poids lourd à l’avocat.
VdH : Quel est votre parcours socialement parlant ?
B.B. : Je viens de la classe ouvrière. Mon père travaillait dans la sidérurgie et il avait été licencié du site Affimet, à Compiègne, à la suite d’un plan social en 2010. Je viens d’une famille où il n’y a pas un oncle qui n’ait été au chômage. Quand j’ai lu La France périphérique de Christophe Guilluy, je m’y suis reconnu immédiatement. C’est mon univers. Mon père, qui était syndicaliste (CGT puis CFE-CGC), ne voulait pas que j’aille à l’usine car il n’y avait pas de futur là-bas. Alors, je suis devenu éducateur spécialisé.

VdH : Il y avait donc un terreau fertile chez vous, qui vous a donné le goût de l’engagement.
B.B. : En effet. Et j’écoutais aussi Bérurier Noir par exemple… J’étais à Paris le 1er décembre 2018 pour le troisième rassemblement de Gilets jaunes. J’ai également participé aux manifestations contre le CPE en 2005 et à celles de 2010 contre les réformes des retraites. L’ironie, c’est que mon père, sans études, gagnait plus que moi, diplômé bac + 2. C’est compliqué de finir les fins de mois.
Pourquoi avoir quitté LFI pour vous engager chez République Souveraine ?
B.B. : J’ai vu des inflexions à LFI qui m’ont déplu, notamment sur l’UE, qui est un discours de moins en moins clair. Les responsables avaient des discours différents. Ils ne parlaient plus de l’euro, qui est le problème central pour moi. Puis, il y a eu les perquisitions… L’attitude de Jean-Luc Mélenchon a été déplorable. Ensuite, il y a eu l’éviction de Georges Kuzmanovic de la liste des européennes, précédant son départ. On a bien compris que deux tendances s’affrontaient à LFI, une plutôt multiculturaliste incarnée par Clémentine Autain et une ligne souverainiste et républicaine, qui était incarnée par Georges Kuzmanovic et François Cocq.
« Le clivage gauche-droite, c’est aussi un statu quo. Depuis le tournant de François Mitterrand en 1983, on a eu une série d’alternances sans alternatives. Tous ont adopté la doctrine néo-libérale et n’ont fait que se séparer sur quelques points culturels »
Je ne me reconnaissais plus dans les valeurs de LFI, qui était repartie dans l’union des gauches, ce que je n’ai pas envie de faire. La gauche est en confettis, leurs militants sont souvent déconnectés des aspirations populaires. Il était hors de question que je continue de militer dans un tel parti. En mars 2019, Georges Kuzmanovic a lancé son mouvement, Républicaine souveraine. J’ai adhéré rapidement et ils m’ont contacté, pour dire que mon profil les intéressait. Depuis, j’anime les réseaux du parti.
VdH : Concrètement, comme s’organise RS ? Est-ce un parti bien structuré, avec des cadres et des militants ? Combien y a-t-il d’adhérents ? Ressentez-vous un élan vers RS ?
B.B. : On débute vraiment, avec plusieurs centaines de personnes engagées. On essaie de structurer les groupes sur le terrain. L’idée est de mettre de la démocratie à l’intérieur de ces groupes, contrairement à LFI. Cela prend plutôt bien : on a accès aux médias, on a des retours de gens intéressés qui veulent adhérer. Enfin, on a un positionnement pertinent car la gauche républicaine a disparu… On revendique le dépassement du clivage gauche-droite parce que ce clivage est aussi un statu quo. Depuis le tournant de François Mitterrand en 1983, on a eu une série d’alternances sans alternatives. Tous ont adopté la doctrine néo libérale et n’ont fait que se séparer sur quelques points culturels. C’est compliqué de parler de gauche républicaine puisque cela ne représente plus rien pour les gens. On pense tout de suite à « populiste ».
VdH : Mis à part le résiduel MRC, la gauche française souffre d’un abandon évident du thème de la nation. RS peut-elle pallier ce manque sur l’échiquier politique ? La nation est un concept encore passablement diabolisé…
B.B. : C’est pour ça qu’on veut le reprendre. Ce thème a été abandonné à l’extrême droite, comme la laïcité. Cette dernière est utilisée contre les musulmans par l’extrême droite. De même, pendant longtemps, critiquer l’Union européenne et l’euro, c’était être d’extrême droite. Ces combats ont été abandonnés par la gauche. On veut les récupérer.La gauche a aussi abandonné l’assimilation au profit du multiculturalisme, lequel serait un synonyme d’ouverture totale sur tous les autres peuples. Mais si on analyse les systèmes multiculturalistes anglais et américains, on voit que ce sont des systèmes ségrégationnistes.
VdH : RS tente donc de suivre une ligne universaliste, en somme…
B.B. : On nous a fait croire que l’assimilation était quelque chose de violent. Il est vrai que c’est compliqué pour les populations qui arrivent mais c’est beaucoup moins désorganisateur et violent que ne peut l’être le multiculturalisme. Il ne faut pas aller chercher plus loin la montée en puissance du Rassemblement national. Cette anxiété culturelle a été produite par nos élites qui se sont ouvertes au multiculturalisme.
VdH : Pour en revenir à l’idée de nation, qui dit nation dit souveraineté. Or, les dégâts causés par les normes européennes (agriculture, concurrence libre et non faussée, traités de libre-échange, affaiblissement services publics, monnaie, écologie) sont aujourd’hui davantage mis en lumière. LFI envisageait un plan A et plan B… Jusqu’où RS est-elle prête à aller sur le thème de l’UE et de l’euro ?
B.B. : En soi, l’idée de plan A et plan B n’est pas bête. C’est cohérent par rapport à l’opinion publique. Ça me semble compliqué de venir devant l’opinion publique et de dire : « On sort ! » Je pense qu’il faut toutefois la mettre devant le fait accompli en lui disant clairement : « Regardez, on a essayé, comme on ne peut pas, on va faire sans ! » Sans l’euro ! Le thème en cours, c’est bien comment sortir de l’euro. Une fois que la France en sera sortie, je ne donne pas cher de l’UE. Sans la France dans l’euro, ce dernier va exploser. L’euro est vraiment l’institution fédérale. Dès qu’il n’y aura plus ce bras armé, il n’y aura plus rien. Comme les choses débutent à République souveraine, on sait ce qu’on veut mais on ne sait pas encore comment le mettre en place.

VdH : Les médias offrent une place relative aux idées souverainistes aujourd’hui. Sans les brocarder entièrement, ils sont partisans du « point trop n’en faut ». On le voit avec le traitement médiatique partial et à charge contre Boris Johnson et les brexiters. Comment dès lors s’adresser à l’ensemble des Français alors que le sujet de la nation est diabolisé ?
B.B. : C’est assez compliqué. Il y a les réseaux sociaux bien sûr. On désire avoir un discours très clair et républicain, ne pas esquiver les sujets, y compris l’immigration. On veut aussi travailler sur le terrain. J’ai quelques contacts et j’espère monter quelque chose dans les mois qui arrivent. Mais comment faire sur le terrain ? Est-ce qu’aller sur les marchés est efficace ? Cette politique à l’ancienne peut-elle encore marcher ? Le cœur du sujet est de faire revenir les classes populaires dans le jeu politique et militant où l’on trouve surtout des classes supérieures de la petite bourgeoisie. Il faut aussi travailler sur le terrain des idées mais, encore une fois, les canaux pour atteindre les classes populaires sont limités. Pour l’instant, je n’ai pas de solution-miracle. Il y a une défiance envers les politiques car ils sont totalement impuissants. C’est un défi !
« Avec les Gilets jaunes, on a eu une prise de conscience collective. J’étais sous l’arc de triomphe le 1er décembre 2018. J’y ai rencontré des personnes que je ne voyais jamais en manifestation : des prolétaires, des artisans, des petits patrons, des précaires »
VdH : Que pensez-vous du mouvement des Gilets jaunes? Peut-on le considérer comme une tentative de reprise en main de son destin par le peuple et comme une forme de repolitisation ?
B.B. : Le mouvement des Gilets jaunes est le sursaut qu’on attendait depuis des années. Jusque là, on avait des mouvements de grève inefficace, comme organisés pour échouer par les centrales syndicales et des manifestations qui ne réunissaient jamais plus loin que les milieux militants. Avec les Gilets jaunes, on a eu une prise de conscience collective. J’étais sous l’Arc de triomphe le 1er décembre 2018. J’y ai rencontré des personnes que je ne voyais jamais en manifestation : des prolétaires, des artisans, des petits patrons, des précaires. Un mouvement populaire spontané a réussi là où les syndicats et la gauche ont échoué. C’est le début de la repolitisation des classes populaires. Elles doivent se réapproprier le politique.
VdH : Participerez-vous aux manifestations du 5 décembre avec RS ?
B.B. : Oui, j’y serai et RS aussi. Cette mobilisation doit être un succès. La réforme des retraites est un plan d’appauvrissement général du pays. J’espère qu’il y aura du monde et que la base syndicale va déborder les centrales qui freinent déjà des quatre fers (cf. les paroles de Philippe Martinez sur Sud Radio : « On peut éviter la grève du 5 décembre si le gouvernement réagit« ). Si la grève est un succès, la base pourra mettre la pression, prendre confiance et organiser la bataille au lieu de laisser les bureaucrates organiser la défaite. Les syndicats sont sortis discrédités du mouvement des Gilets jaunes. Il me semble que c’est le premier mouvement social non suivi par les syndicats. Tout un symbole. Pourtant, il ne faut pas s’y tromper, les syndicalistes ont enfilé le gilet jaune dès le premier jour et organisé la lutte sur les ronds-points. Les centrales syndicales n’ont pas soutenu les Gilets jaunes mais, parmi ces derniers, il y avait de nombreux syndicalistes de la base.
Entretien réalisé à Paris lors de l’université d’automne de Républicaine souveraine le 16 novembre 2019, complété par courriers électroniques le 21 novembre 2019.