« Et s’il fallait dès maintenant penser l’après UE ? » par Gabriel Melaïmi

TRIBUNE – Gabriel Melaïmi, ancien secrétaire général d’Oser la France et candidat Les Républicains aux élections européennes 2019 réagit sur Voix de l’Hexagone à l’accord budgétaire conclu cette semaine par les ministres des finances de l’Eurogroupe.


Gabriel Melaïmi (4)La propagation de l’épidémie de coronavirus Covid-19 a, par ricochet, provoqué la généralisation d’une mesure, au point qu’elle concerne désormais quelque 4 milliards d’êtres humains : le confinement. Par sa radicalité, cette mesure a provoqué une crise économique telle que la directrice générale du FMI Kristina Georgieva n’hésite plus d’ores et déjà à parler de « pires conséquences économiques depuis la Grande Dépression » de 1929.

Après avoir tardé à prendre des mesures coordonnées pour se protéger de l’épidémie, puis pour se montrer solidaires de l’Italie et l’Espagne, premières touchées par celle-ci, l’Union européenne tente désormais d’organiser la riposte. À cet effet, les ministres des finances ont fini par se mettre d’accord sur un plan mobilisant plus de 500 milliards d’euros. Mais cet accord n’a pu être obtenu qu’au forceps, tant les positions entre les pays du Nord (Pays-Bas en tête) et du Sud de l’Europe (notamment l’Italie) étaient divergentes. En effet, hors de question pour l’Europe du Nord d’accepter la moindre solidarité budgétaire sans de nouvelles réformes structurelles de la part des États du Sud, aux finances publiques perpétuellement dans le rouge.

Si les mesures en soutien aux investissements des entreprises pour encourager la reprise (200 milliards via la Banque européenne d’investissement) et au financement du chômage partiel (100 milliards) faisaient consensus, il n’en allait pas de même pour les mesures de soutien à l’activité économique et aux investissements publics. Ainsi, si l’activation d’une ligne de crédit de 240 milliards d’euros du mécanisme européen de stabilité sera limitée aux seules « conséquences directes et indirectes » de la crise sanitaire d’après le communiqué final, tout usage pour une autre finalité entraînera l’application des règles habituelles (donc des réformes structurelles supplémentaires). Enfin, si le principe d’un fonds de relance a été acté, ses modalités sont « à venir ».

« Cet épisode démontre également que la France ne devrait pas hésiter à entrer dans le rapport de force pour défendre ses intérêts, plutôt que de systématiquement s’aligner sur l’Allemagne comme elle le fait depuis vingt ans »

L’Europe du Nord a, une fois n’est pas coutume, été contrainte de lâcher du lest. L’Allemagne a bien compris qu’elle serait celle qui aurait le plus à perdre d’une explosion de la zone euro et de l’Union européenne. C’est pourquoi elle est parvenue à convaincre les Pays-Bas de mettre son intégrisme budgétaire sous le boisseau. Cet épisode démontre également que la France ne devrait pas hésiter à entrer dans le rapport de force pour défendre ses intérêts, plutôt que de systématiquement s’aligner sur l’Allemagne comme elle le fait depuis vingt ans… Pour autant, l’Europe du Nord n’a pas totalement baissé pavillon et reste sur ses gardes. Enfin, la réponse envisagée est-elle vraiment à la hauteur des enjeux et permet-elle de clore les conflits entre États membres ? On peut en douter, tant les points de vue des protagonistes semblent distants.

Depuis que cette épidémie a révélé notre vulnérabilité vis-à-vis de l’extérieur en matière d’approvisionnements, notamment de matériels censément stratégiques, de nombreuses voix s’élèvent pour « penser le monde d’après ». Assurément, nous ne pourrons plus continuer comme avant, sauf à ce que les mêmes causes produisent les mêmes effets. Mais cette réflexion sur le monde d’après ne devrait-elle pas nous amener à penser également le monde d’après l’Union européenne ?

Si l’Union européenne a déjà survécu à des crises (2008, dettes souveraines, migrants, etc.), ce ne fut pas sans affrontements. Surtout, aucune de ces crises n’a permis de résoudre les problèmes structurels du continent. Depuis dix ans, on ne peut que constater une différence de préférences en matière économique et sociale de plus en plus grande entre les pays d’Europe du Nord et ceux d’Europe du Sud, du fait même de la structure de leurs capacités productives. Divergence que ne fait qu’accroître l’existence d’une monnaie unique pour les deux parties, l’euro étant parfaitement taillé pour les économies du Nord quand celles du Sud ont vu leur désindustrialisation s’accélérer. On pourrait même, dans une approche culturaliste, aller jusqu’à dire que leurs aires culturelles (germaniques et nordiques d’un côté, latines de l’autre) et géographiques (mers du Nord et Baltique pour les uns, mer Méditerranée pour les autres) les font aborder les problèmes de ce monde avec un prisme différent.

Aujourd’hui, l’Union européenne n’affronte pas une crise : elle doit faire face à une catastrophe. Probablement telle qu’elle n’en a plus connu depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. Quand bien même un ultime compromis de fortune fut trouvé, et si le temps d’acter le divorce entre Europe du Nord et Europe du Sud était finalement venu ? Compte tenu de la situation, si les Européens n’étudient pas toutes les options pour s’organiser, y compris les plus extrêmes, le risque est grand que le continent doive subir une implosion forcée le plongeant dans le marasme.

« Quand bien même un ultime compromis de fortune fut trouvé, et si le temps d’acter le divorce entre Europe du Nord et Europe du Sud était finalement venu ? »

Le rôle du gouvernement doit être de parer à tous les risques : étudier toutes les hypothèses, même celles qu’on ne souhaite pas voir aboutir. Or, jamais le risque de voir l’Europe exploser n’a semblé aussi réel. Il reviendra alors à la France, avec lucidité, de trancher, uniquement en fonction de son intérêt national, si les enjeux en mer Méditerranée et en Afrique, si la structure de son économie et de ses finances publiques, et si son propre tempérament l’amènent à persévérer « quoi qu’il en coûte » dans la voie d’un hypothétique couple franco-allemand (de plus en plus déséquilibré par ailleurs) ou à s’orienter naturellement vers ses voisins latins d’Italie et d’Espagne. Un homme d’État envisagerait la chose. Emmanuel Macron en est-il capable ? Emmanuel Macron est-il un homme d’État ?

Gabriel Melaïmi


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