La liberté de la presse est l’illustration d’un humanisme en perpétuelle construction

Éditorial de septembre 2020

« Quand la vérité n’est pas libre, la vérité n’est pas vraie. » Si Voix de l’Hexagone a, depuis ses débuts, choisi cette citation éloquente de Jacques Prévert, ce n’est pas un hasard. Les journalistes et contributeurs qui officient sur ce modeste site sont plus que tout attachés à la liberté d’expression, celle de la presse y compris.

La liberté de la presse est précieuse. Elle fut le fruit d’âpres combats pour désormais figurer dans la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen (article 11) et dans la Déclaration universelle des droits de l’homme (article 19). Ainsi, la scène surréaliste où le président de la République s’en prend ouvertement au très pointu et chevronné journaliste George Malbrunot n’a pas manqué de faire bondir tous les citoyens attachés plus que jamais aux libertés. À l’heure où la reprise en main de la parole populaire apparaît comme un sujet majeur, le monde de la presse est lui aussi concerné. Il l’est tout d’abord en tant qu’observateur du réel, dans ce qu’il a de plus tragique, de plus cru, de plus sensible. Il l’est ensuite en tant que porte-parole des aspirations, des cris de colère, d’amour, d’espoir des peuples. Il l’est enfin en tant que contradictoire potentiel des puissants et non oreille bienveillante ou relais complice de leurs pérégrinations.  Rappelons, en outre, que l’information qui a tant offusqué Emmanuel Macron – menacer de sanctions les leaders politiques libanais hostiles aux réformes qu’il leur intime de réaliser – se trouve être une indiscrétion confiée par lui-même. Aucun manquement à la déontologie n’a été observé.

La liberté de la presse est fragile et consubstantielle à tout régime démocratique. C’est ce qui poussait le réalisateur Miloš Forman à affirmer : « Je vous dis, à mon avis, que la pierre angulaire de la démocratie est la liberté de la presse. » Force est de reconnaître que l’affaire révèle une propension d’Emmanuel Macron au coup de sang jupitérien gonflé à l’hélium de la vanité. Une réaction choquante, inquiétante, mais finalement peu surprenante, eu égard aux antécédents du chef de l’État facilement contrarié. On déterrera allègrement et sans une once de culpabilité sa réplique cinglante au journaliste Paul Larrouturou, après son élection, quand ce dernier l’avait simplement interrogé sur sa soirée à La Rotonde : « Je n’ai pas de leçon à recevoir du petit milieu parisien ».

La liberté de la presse est un bien commun. On se souvient aussi de la réponse du chef de l’État remplie de mépris à peine voilé face à une journaliste qui le questionnait sur sa visite privée au Taj Mahal en 2018 : « Les journalistes ne m’intéressent pas ; ce sont les Français qui m’intéressent. » Les journalistes français seraient-ils frappés d’une opprobre telle qu’ils seraient exclus de la communauté nationale ? Peut-être même s’agit d’une espèce cousine de l’Homme, dérangeante, trop curieuse, qui appuie là où l’égo des politiques n’admet que peu de pression, tout juste des caresses. La liberté de la presse n’est en aucun cas celle d’un petit groupe privilégié. Elle est l’illustration d’un humanisme en perpétuelle construction, que cela soit dans une démocratie ou un régime autoritaire. Elle tire son ciment des lois mais également de la volonté populaire en vigilance constante. Voilà pourquoi les manifestations en faveur de Charlie Hebdo, la défense ferme et inconditionnelle de ce journal et le procès qui s’est ouvert sont si importants, au-delà de la punition des assassins de journalistes. Tous ces événements et ces prises de positions contribuent à polir l’armure de la cohésion nationale face à l’obscurantisme et aux opposants à la liberté de la presse.

La liberté de la presse est un combat perpétuel. Le classement 2020 de la liberté de la presse du réseau Reporters sans Frontières place l’Hexagone à la 34e place mondiale, soit une perte de deux rangs par rapports à l’année précédente. Bien évidemment, la récente sortie du président de la République envers le grand reporter du Figaro n’est en aucun cas comparable aux attaques physiques subies par des journalistes mais toute forme d’intimidation, verbale ou touchant à l’intégration corporelle, sont à condamner. RSF pointe par exemple du doigt les violences, notamment à l’aide de tirs de LBD et de gaz lacrymogène, dont ont été victimes des journalistes en 2019. L’ONG note aussi qu’ils « ont souvent été entravés dans leur couverture, empêchés de filmer ou ont vu leur matériel confisqués ». On songe évidemment aux journalistes Gaspard Glanz et Taha Bouhafs, mais ils ne sont pas les seuls. S’il existe une infinité de degrés dans les entraves faites aux journalistes, toutes ces dernières portent en germe le grain d’un autoritarisme, conscientisé ou non.

Par ailleurs, les réflexions du type « Allez dans des pays autoritaires pour voir vraiment quel est le sort des journalistes ! », entendues parfois de la bouche de ceux qui minimisent volontiers les atteintes portées à la liberté de la presse en France, sont invalides. En usant de l’argument de la distance géographique et des cas les plus calamiteux pour la liberté de la presse, les citoyens (politiques ou non) contribuent à relativiser les dérives dans les régimes démocratiques, à verser de l’eau froide sur des colères brûlantes et légitimes. C’est pourquoi chaque parole outrancière, chaque geste menaçant, chaque intimidation brutale, chaque attaque, chaque « oui mais » asséné à un journaliste qui ne fait que son travail doit faire l’objet d’un rejet univoque. Pour que les propos de Jean-Jacques Rousseau dans Du Contrat social – « Renoncer à sa liberté c’est renoncer à sa qualité d’homme, aux droits de l’humanité, même à ses devoirs » – ne soient pas des mots vides de sens mais un tambour battant au gré de l’écriture de notre histoire commune.

Auteur : Ella Micheletti

Journaliste indépendante. Ex-EPJ de Tours. M2 droit public. Fondatrice de Voix de l’Hexagone. Beaucoup de politique (française et étrangère). Animaux passionnément. Littérature à la folie.

Un commentaire

  1. en effet, les journalistes doivent faire face aux risques psychosociaux et physiques d’une profession soumise au stress à la fois de la rapidité et de la qualité de l’information à délivrer, aux dangers des déplacements fréquents, notamment en zones de conflits armés, ou proches de catastrophes ou d’accidents, d’attentats ou relatifs à des faits divers dramatiques ……: voir Les risques professionnels des journalistes : https://www.officiel-prevention.com/dossier/formation/fiches-metier/les-risques-professionnels-des-journalistes

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