« Vivre avec la covid » : la conciliation inachevée

Éditorial de février 2021

Le gouvernement de Jean Castex a fait le choix, fin janvier, d’épargner un nouveau confinement aux Français, du moins tant que la situation sanitaire ne se dégrade pas. La France semble pour l’heure peu touchée par les variants britannique et sud-africain, plus contagieux. L’épidémie s’est étendue à l’échelle planétaire voilà un an et des incertitudes demeurent sur la capacité des différents vaccins produits d’y mettre fin à court terme. Ce qui pouvait être considéré comme une crise sanitaire aiguë mais temporaire en février 2020 est désormais une épreuve durable. Le confinement n’est donc plus envisagé qu’en solution ultime, à mettre en œuvre lorsque les services de réanimation de l’hôpital public menacent d’être saturés. Le choix de « vivre avec le virus et d’avancer », assumé dès la fin de l’été par l’Élysée, implique de devoir concilier nos activités avec les précautions nécessaires à l’endiguement de la pandémie. Pourquoi, dès lors, l’exécutif s’est-il arrêté au milieu du guet en persistant à distinguer l’essentiel de l’accessoire, avec toute la subjectivité inhérente à une telle dichotomie ?

L’ouverture autorisée des commerces et l’encouragement au télétravail dans les services sont censés permettre de sauvegarder l’économie nationale, les emplois et notre potentiel de croissance une fois la covid vaincue. Or, les orientations politiques des dernières décennies ont mené à la désindustrialisation du pays tout en privilégiant l’essor d’une économie touristique. La France pourra-t-elle conserver après la crise son rang de première destination touristique mondiale si les secteurs de la restauration et des loisirs ressortent durablement sinistrés de l’interminable diète qui leur est imposée ? S’agissant des restaurateurs, les aides de l’État et la capacité de certains établissements à survivre grâce à la vente à emporter n’empêcheront pas les faillites à la chaîne. Il en est de même des bars et boîtes de nuit. Mais la première grande victime des restrictions sanitaires est bien sûr la culture. La fermeture permanente des cinémas, des lieux de spectacle et des musées s’annonce dévastatrice pour un milieu en souffrance avant même la pandémie et dont rien n’assure qu’il pourra compter – tout comme l’hôtellerie-restauration d’ailleurs – sur un regain de clientèle après la levée définitive des mesures sanitaires, puisque le pouvoir d’achat moyen des consommateurs risque d’être lui-même considérablement réduit.  

La France de février 2021 n’est plus celle du printemps dernier, quand masques et gel hydroalcoolique étaient frappés de pénurie et que la limitation drastique des interactions sociales pouvait, seule, préserver du chaos. Nous aurions aujourd’hui les moyens de garantir, par l’application d’un protocole sanitaire strict, la visite des salles d’exposition, la fréquentation des cinémas, l’organisation de certains spectacles musicaux ou théâtraux, peut-être même l’accès aux piscines et gymnases. L’argument de la dissémination du virus dans les rassemblements en lieu clos de publics réduits et masqués ne convainc pas franchement lorsque est toléré, en parallèle, la promiscuité des voyageurs dans les transports en commun, du métro à l’avion. La fermeture des tables de restaurant se justifie tout aussi difficilement devant le maintien des cantines scolaires et des restaurants d’entreprise. S’il nous faut vivre avec le virus, c’est-à-dire accepter l’aléa de la maladie et des mesures sanitaires contraignantes mais poursuivre malgré tout les occupations des temps ordinaires, alors il nous faut aussi retrouver le chemin des lieux de divertissement et de convivialité.

Le traitement défavorable réservé aux loisirs laisse entrevoir les répercutions psychologiques, sociales et même – osons le mot ! – démocratiques à venir. L’être humain et le citoyen, même en période de crise sanitaire, même en période de guerre, ne peuvent se contenter du droit de travailler et de consommer. L’accès aux bibliothèques et aux librairies, heureusement maintenu, ne suffit pas à compenser la fermeture des bars, des restaurants, des clubs, des salles de sport ou de spectacles. Avec elle se trouvent compromis l’épanouissement personnel, l’extériorisation des émotions, l’échange des idées et l’élévation de l’esprit. À cet égard, le mal-être exprimé par la population étudiante est à prendre particulièrement au sérieux, comme un indicateur de la désorientation générale des individus qui gagne la société française. L’alerte est donnée.

Auteur : Pierre-Henri Paulet

Contributeur et éditorialiste de 'Voix de l'Hexagone'. Rédacteur en chef de la revue 'Cité'.

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