
Léon Deffontaines est secrétaire général du Mouvement Jeunes Communistes de France. Pour Voix de l’Hexagone, il se confie sur son parcours militant, ses combats, sur l’utilité du communisme, ainsi que sur l’Union européenne, la réindustrialisation et la problématique majeure de l’écologie.
Propos recueillis par Ella Micheletti.
Voix de l’Hexagone : Quel a été votre cheminement politique, intellectuel ou familial pour aboutir à un engagement au parti communiste française ?
Léon Deffontaines : Je me suis d’abord engagé au Mouvement Jeunes Communistes de France (MJCF). J’ai adhéré en 2013 lors d’une manifestation à Amiens, ma ville d’origine, organisée par le Front de Gauche à l’occasion du premier anniversaire du mandat de François Hollande. J’ai adhéré au Parti communiste français (PCF) quelques années plus tard, en 2015. Mon cheminement a été complexe. Ma famille n’était pas communiste. Mes parents m’ont cependant transmis des valeurs qui pourraient apparaître assez proches de celles du communisme. Dès le collège, je me suis intéressé à la politique. J’ai toujours été révolté contre toutes les formes d’injustices, dont la plus grande est l’exploitation de l’homme par l’homme. Je me souviens avoir demandé à mes parents de m’acheter le Manifeste du Parti communiste quand j’étais en troisième. Après l’avoir lu et avoir approché différents courants de pensée, je me suis rapidement dit communiste sans même savoir qu’un mouvement de jeunesse et un parti existaient pour incarner ces idées-là. Ce n’est donc qu’en 2013 que les ai rencontrés. J’avais autour de moi un groupe d’amis – nous nous étions politisés ensemble – qui a adhéré au MJCF dans la foulée.
VdH : Vous êtes aujourd’hui secrétaire général du MJCF. Quel est votre rôle en pratique ?
L.D. : J’occupe en effet ce poste depuis juin 2019. Mon rôle est d’animer la direction nationale. Chaque année, les cadres démocratiques de l’ensemble des fédérations du mouvement se réunissent une fois en « assemblée nationale » pour débattre des grandes orientations politiques. Je suis le garant des décisions qui seront prises et je dois les faire vivre nationalement. L’ensemble des productions du MJCF doit donc aller dans le sens de ce qui a été décidé lors de ces « assemblées nationales ». Je dois aussi représenter le MJCF vis-à-vis, tout d’abord, du PCF ou d’autres organisations politiques, d’associations, d’élus ou de médias. Plus marginalement, je suis chargé de suivre la production de notre journal, L’Avant-garde.
VdH : Pourquoi les jeunes sont-ils aujourd’hui si importants pour porter la parole d’un parti aussi ancien que le PCF, qui a été une véritable « institution » au XXe siècle ? Les jeunes peuvent-ils renouveler la pensée communiste ?
L.D. : Depuis cent ans, le PCF a toujours une adresse spécifique à la jeunesse. Paul Vaillant-Couturier qualifiait le communisme de « jeunesse du monde ». Cela ne signifiait pas seulement qu’il pensait que le communisme allait survenir prochainement mais aussi que le communisme repose particulièrement sur les jeunes. Pour le PCF, la jeunesse est la « force créatrice » de la société disait Georges Marchais. Chaque nouvelle génération a une société à construire. Il existe donc une spécificité à la jeunesse. Quand on est jeune, on réfléchit au monde qui nous entoure et à comment l’améliorer. La société de demain se construira par les jeunes et avec les jeunes. Je pense que le communisme reste bien évidemment d’actualité pour de nombreux jeunes et que ces derniers ont beaucoup à apporter au communisme.
« Notre mission, en tant que communistes, est de provoquer une prise de conscience pour que chacun puisse comprendre que ce capitalisme nous conduit droit au désastre. »
Le mouvement communiste a su réinterroger les gestes et les pratiques militants, grâce à la jeunesse, pour s’adapter à la réalité vécue par nos concitoyens. Aujourd’hui, les jeunes générations sont les premières victimes de la crise économique que nous traversons. Aucune force politique actuelle, même parmi les organisations de gauche récemment créées, n’offre une adresse à la jeunesse ni ne présente un programme de sortie de crise, sauf le PCF. Ce dernier propose d’investir massivement, de sécuriser les parcours de vie, de créer des emplois, etc.
VdH : Quels rapports entretient le MJCF avec les autres formations de gauche ?
L.D. : Le MJCF est numériquement la première organisation politique de jeunesse du pays. Notre place est donc particulière et notre vocation est de rassembler les autres organisations pour augmenter notre rapport de force. C’est ce que nous avons initié récemment par exemple pour demander l’ouverture du RSA pour les moins de 25 ans. Pour ce faire, le MJCF a contacté l’ensemble des autres organisations de jeunesse afin de créer le socle le plus large possible et obtenir gain de cause. Cette bataille continue, elle est potentiellement gagnable en rassemblant des jeunes socialistes jusqu’à nous, en passant par les jeunes écologistes,
l’UNEF, l’UNL… Nous travaillons aussi avec les syndicats. La force du MJCF est d’avoir pu constituer le front de la jeunesse le plus large possible.
VdH : Ce modèle de rassemblement réussi de la jeunesse augure-t-il de la possibilité des partis de gauche à s’entendre sur une candidature présidentielle unique ?
L.D. : Ce n’est pas à moi, en tant que responsable d’une organisation de jeunesse, de répondre à cette question. Je ne sais pas si nous y parviendrons et je considère personnellement que ça semble mal engagé. C’est aux partis eux-mêmes de travailler sur cette hypothèse. Le MJCF, en tant qu’organisation de jeunesse, se contente de tracer la voie en démontrant notre capacité de se rassembler sur des batailles très concrètes. Les échéances électorales présentent un tout autre enjeu.
VdH : Quelles sont les luttes sociales qui vous ont demandé le plus d’investissement ces dernières années ?
L.D. : Je me suis, d’abord, pleinement mobilisé contre le CICE et le pacte de responsabilité, ressenti comme une profonde injustice. De même, les mobilisations contre la politique austéritaire sous le précédent quinquennat m’ont particulièrement marquées car j’ai organisé des blocages lycéens. Mais la dernière mobilisation massive des jeunes que nous avons connue était dirigée contre la « loi travail ». Elle est partie directement des lycées et des universités. Pendant deux à trois semaines, du 9 au 31 mars 2016, ce sont les organisations de jeunesse, notamment le MJCF, qui ont mobilisé et réussi à inciter les syndicats à se joindre à elles.
J’ajoute qu’à titre personnel, en qualité de membre de la direction nationale du MJCF à l’époque, j’ai été particulièrement marqué par la mobilisation contre Parcoursup. Plusieurs centaines de lycées ont été bloqués partout en France, dont de nombreux à l’initiative des Jeunes communistes. La violence de la répression policière subie à l’encontre des lycéens m’a fait dire qu’Emmanuel Macron, par le matraquage des plus jeunes plutôt que l’écoute de leurs revendications, a conduit notre pays vers la pente dangereuse de l’autoritarisme. Les images des 150 lycéens agenouillés à Mantes-la-Jolie ont été largement diffusées et j’ai reçu de très nombreux coups de téléphone de ces adolescents qui se demandaient comment réagir face aux charges de CRS. C’était quelque chose de très nouveau, je n’avais jamais connu cela lors des blocages auxquels j’avais participé les années précédentes. Là, des policiers ont utilisé des flashball ou des gaz lacrymogènes, y compris dans des petites villes de province.

Enfin, bien sûr, la mobilisation contre la réforme des retraites a été la plus importante sous le quinquennat Macron. Elle a aussi rassemblé des jeunes qui se sont interrogés sur le système de redistribution en France. Cela a été l’occasion d’une prise de conscience et d’une réflexion globale sur la société. Cette lutte a peut-être été victorieuse puisque la réforme a été suspendue et je pense qu’elle ne reviendra pas au Parlement avant les échéances électorales de 2022.
VdH : Historiquement, le PCF était industrialiste. Il s’est désormais saisi du thème de l’environnement. Pensez-vous que la jeunesse communiste est davantage sensibilisée aux enjeux écologiques ? Dans une société aussi fragmentée que la nôtre, l’environnement pourrait-il devenir une grande cause commune à gauche ?
L.D. : Tout d’abord, sur le programme écologiste, il faut savoir que les communistes ont toujours dénoncé la destruction et le pillage des ressources naturelles par le capitalisme. Marx l’écrivait lui-même. Ce n’est pas quelque chose de nouveau. S’agissant de l’opposition entre industrialisme et écologie, je pense qu’elle n’est pas complètement juste. Le PCF estime aujourd’hui que, pour sauver le climat, il faut repasser par une forme de réindustrialisation de la France. Aujourd’hui, la première cause du réchauffement climatique est liée aux exportations. Prenons l’exemple de Verallia, cette entreprise de Cognac qui produit des bouteilles de verre : elle s’apprête à délocaliser sa production en Europe centrale pour ensuite réimporter les bouteilles en France. C’est ce type de phénomène qui provoque la crise climatique dans laquelle nous nous trouvons. Quand le PCF prône la réindustrialisation de la France, il invite au rapprochement de la production et de la consommation.
Certains partis politiques pensent qu’ils faut désindustrialiser la France pour sauver la planète… Au contraire, cela contribue à la détruire ! Nous constatons donc nos réelles divergences avec une partie des écologistes sur ces questions-là. Il est nécessaire de toujours partir du réel. Il ne suffit pas de se dire : « Demain, il faut fermer l’ensemble des centrales nucléaires ! ». Ce serait catastrophique pour le climat. L’Allemagne l’a fait et a été contrainte de rouvrir des usines à charbon produisant bien plus de gaz à effet de serre que les centrales nucléaires. Il nous faut donc maintenir une vraie réflexion sur l’énergie que nous voulons, les moyens de la produire et pour qui la produire. Soit on rouvre des usines à charbon – et ce n’est pas souhaitable –, soit on essaie de baisser notre consommation énergétique en assumant de n’avoir de temps à autre plus suffisamment d’électricité – ce qui va compromettre la qualité du service public. Je déplore donc l’idéalisme excessif de certains écologistes.
« Oui, l’écologie peut être une lutte qui fédère. Pour autant, je ne pense pas que ce soit LA lutte qui va tout fédérer. Ce qui va fédérer c’est le projet de société à porter avec cela […] Les injustices sont liées au système capitalisme actuel et qu’il faut nécessairement lutter pour le dépassement de ce système-là. »
Concernant votre seconde question portant sur la capacité de fédérer autour de l’écologie, il est évident que cette dernière est devenue un enjeu essentiel. De plus en plus de jeunes se disent prêts à se mobiliser pour elle et la plupart d’entre eux dénoncent l’inaction gouvernementale. Ils demandent aux partis politiques de mettre sur la table des propositions concrètes pour lutter contre le dérèglement climatique. Il appartient aux partis de proposer des projets qui permettent de sortir collectivement de cette crise par le haut. Oui, l’écologie peut être une lutte qui fédère. Pour autant, je ne pense pas que ce soit la lutte qui va tout fédérer. Ce qui va fédérer c’est le projet de société à porter avec cela.
Aujourd’hui, les jeunes se mobilisent sur le climat mais aussi sur d’autres enjeux, notamment sociétaux (par exemple : pour les droits des femmes, contre le racisme). Une grande partie de la jeunesse, par ailleurs, ne se mobilise pas actuellement, ce qui ne l’empêche pas de se poser des questions. Ainsi, les demandeurs d’emploi qui tombent dans la grande précarité pourraient être sensibles à un projet global qui remet en cause le système actuel pour sécuriser les parcours de vie et les sortir de la précarité. Il est important pour le PCF et le MJCF de faire comprendre que les injustices sont liées au système capitalisme actuel et qu’il faut nécessairement lutter pour le dépassement de ce système-là en construisant une société émancipatrice pour toutes et tous. Cela prendra du temps, mais je suis persuadé que ce projet a vocation à devenir majoritaire. Je constate d’ailleurs que les effectifs des MJCF se renforcent d’année en année.
VdH : Vous venez d’évoquer la réindustrialisation et la relocalisation. Or, il est difficile dans le contexte européen qui est le nôtre de mener ce type de politique…
L.D. : Ce que propose le PCF et le MJCF, c’est déjà de redonner le pouvoir au premier concerné, c’est-à-dire le peuple. Aujourd’hui, le pouvoir n’est pas uniquement à l’Élysée mais aussi dans les entreprises. Les travailleurs doivent être en mesure de peser dans les décisions prises par leurs entreprises. On a vu qu’à Béthune, les ouvriers de Bridgestone dénoncent depuis une dizaine d’années le fait que l’entreprise n’investisse plus sur ce site et proposent que des plans de rénovation du site soient mis en place afin de lui permettre d’être rentable et productif. L’entreprise a refusé et décide désormais de délocaliser. Si on avait donné un pouvoir aux travailleurs, ils auraient tout fait pour que le site de Béthune puisse contribuer à être rentable… Quand les employés revendiquent un plan d’investissement massif pour rénover le site, c’est qu’ils estiment que l’usine pourrait poursuivre ses activités pendant de longues années. La question de la souveraineté du peuple ne se limite donc pas à la souveraineté de l’État mais concerne aussi la capacité des travailleurs à se réapproprier les moyens de production et obtenir voix au chapitre sur la politique menée par les entreprises.
Contrairement à beaucoup de socialistes ou d’insoumis, nous considérons que le pouvoir présidentiel n’est pas une fin en soi. Il est bien sûr nécessaire de récupérer le pouvoir politique, mais aussi le pouvoir au sein de l’entreprise. Aujourd’hui, la souveraineté populaire est remise en cause tant par les politiques libérales menées à l’échelle de la France que par les politiques globalement menées à l’échelle de l’Union européenne.
« La question de la souveraineté du peuple ne se limite donc pas à la souveraineté de l’État mais concerne aussi la capacité des travailleurs à se réapproprier les moyens de production et obtenir voix au chapitre sur la politique menée par les entreprises. »
Les communistes se sont systématiquement opposés aux traités de libre-échange proposés dans le cadre de l’Union européenne. Lors des débats sur le Traité de Maastricht, le PCF a été le seul parti à gauche à déclarer qu’il ne fallait surtout pas signer ce texte. Il en a été de même pour le Traité constitutionnel européen. Le PCF revendique donc une cohérence sur le sujet, contrairement à Jean-Luc Mélenchon qui avait été favorable au Traité de Maastricht. Ces traités ont pour objet de mettre en concurrence les travailleurs du monde entier afin de diminuer les salaires et de délocaliser. Ils constituent un scandale social et écologique. Cela rejoint mes propos précédents : la problématique sociale et la problématique environnementale se recoupent.

VdH : Quelle est la position du PCF sur la question des relations avec l’Union européenne ?
L.D. : Je fois préciser d’emblée que le MJCF et le PCF n’ont pas exactement la même position sur cette question. Lors de leur dernier congrès, les Jeunes communistes ont posé le principe de la sortie de l’UE comme préalable à la création d’un système de solidarité à l’échelle continentale. Nous faisons l’analyse que l’UE est par essence libérale et qu’il ne sera possible de reconstruire un autre système qu’en quittant celui-ci. Le PCF estime plutôt qu’il faut sortir des traités de libre-échange. Si la France faisait cela, en raison de son poids politique, elle viderait ces traités de leur utilité puisque notre pays est, avec l’Allemagne, la plaque tournante des échanges commerciaux dans l’UE. Mais le PCF et le MJCF sont tous deux favorables à la construction d’un système de solidarité économique et entre les peuples. Nous ne désirons pas un repli sur soi mais l’établissement d’une nouvelle coopération entre les peuples.
VdH : Considérez-vous que le PCF, malgré la perte de son poids électoral d’antan, bénéficie toujours d’un terreau fertile en France ?
L.D. : Le PCF a pâti d’une absence sur la scène médiatique et des attaques qu’il a subi, notamment au sein de la gauche, depuis les années 1980. Il y a donc eu une forme de repli au sein même du communisme, voire de honte de se revendiquer communiste. Cela a contribué aux débâcles électorales et une absence de candidature lors des deux dernières élections présidentielles. Or, nous n’avons pas à avoir honte de notre histoire, bien au contraire, puisqu’elle est celle de la Résistance, de la construction de la Sécurité sociale, des nationalisations, de l’augmentation des salaires, des congés payés, etc. Cette histoire-là, il nous appartient de la mettre en avant. Le PCF a toujours été le parti de la résistance : contre la barbarie nazie, contre l’impérialisme, contre la société capitaliste. Nous avons vocation à redevenir ce parti de la résistance et à restructurer la contre-société qui avait été édifiée au sortir de la Seconde guerre mondiale.
« Nous n’avons pas à avoir honte de notre histoire, bien au contraire, puisqu’elle est celle de la Résistance, de la construction de la Sécurité sociale, des nationalisations, de l’augmentation des salaires, des congés payés, etc. Cette histoire-là, il nous appartient de la mettre en avant. »
L’ensemble des organisations de gauche se battent actuellement pour savoir qui se présentera à la prochaine présidentielle. Nous, communistes, nous disons que l’élection présidentielle de l’année prochaine ne doit pas nous faire oublier que des sujets beaucoup plus graves et urgents nous attendent. Beaucoup de Français se retournent vers le PCF précisément parce que nous leur proposons ce projet de sortie de crise qui vise à préserver les emplois et la formation. Nous nous intéressons à toute la population, notamment à ceux qui pâtissent le plus des politiques libérales et de la crise économique que nous traversons. Je suis par conséquent persuadé que le PCF possède un terreau favorable à travers les travailleuses et travailleurs du pays. Cela devrait lui permettre de revenir sur le devant de la scène politique et d’engranger de nouvelles victoires électorales. Lors des dernières municipales, nous sommes arrivés à convaincre à l’échelle locale grâce à notre projet, je pense notamment à la ville de Corbeil-Essonnes. C’est cette stratégie-là qu’il faut poursuivre à l’échelle du pays.
VdH : Que-ce qu’être communiste, pour vous, en 2021 ?
L.D. : Rien n’a pas fondamentalement changé. Depuis un siècle maintenant, être communiste c’est se lever, se battre contre toutes les formes d’injustices et pour l’avènement d’une société émancipatrice pour toutes et tous. C’est vouloir structurer en partant des réalités vécues par les populations en leur faisant comprendre que la cause de ces injustices résulte du capitalisme. Notre mission, en tant que communistes, est de provoquer une prise de conscience pour que chacun puisse comprendre que ce capitalisme nous conduit droit au désastre.
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