Éditorial de juin 2021

Il fait peu de doutes que l’étrange séquence politique à laquelle nous venons d’assister affectera le déroulement des dix mois qui nous séparent du second tour de l’élection présidentielle. L’enchaînement des polémiques a rendu irrespirable en quarante-huit heures une atmosphère déjà pesante.
Invité de l’émission dominicale conjointe de franceinfo, France Inter et Le Monde, Jean-Luc Mélenchon, au terme d’une longue tirade confusionniste, a expliqué qu’un « grave incident » interviendrait certainement pendant la dernière semaine de la prochaine campagne présidentielle, à l’instar de la tuerie commise par Mohammed Merah en mars 2012 ou de l’attentat des Champs-Élysées en avril 2017, tout cela étant « écrit d’avance ». Sous le feu nourri des critiques, le candidat déclaré de la France insoumise, ainsi que ses lieutenants, ont choisi de s’abriter derrière le piètre bouclier de la mauvaise foi, jurant que d’odieux détracteurs avaient honteusement déformés les propos tenus. Jean-Luc Mélenchon ne pense peut-être pas, laissons-lui le bénéfice du doute, que les attentats terroristes résultent d’un scénario préétabli. N’empêche que c’est bien ce qu’il a dit… Il craint très certainement que des faits divers soient à nouveau instrumentalisés dans les dernières encablures de la campagne, notamment par l’extrême-droite. N’empêche qu’il ne l’a pas dit ainsi… Se posant en victime d’« un bon coup monté à partir d’une phrase », il a indéniablement contribué à alimenter l’indignation générale contre lui au lieu de calmer le jeu en reconnaissant ce qui était, a minima, une grosse maladresse d’expression.
La faute politique commise par le chef de file des Insoumis est réelle, mais n’explique ni ne justifie les réactions démesurées qu’elle a générées. On a vu un philosophe centriste bon-teint, intellectuel organique au sens gramscien du terme, admettre sans complexe qu’entre Le Pen et Mélenchon, il voterait Le Pen. On a vu un « influenceur » d’ultra-droite simuler en vidéo l’exécution d’un électeur de Mélenchon. On a vu une intervention en direct du principal intéressé, destinée à dénoncer légitimement cet appel au meurtre, interrompue sans gêne par BFM-TV au motif qu’il s’agissait d’une « manœuvre politique ». Pas une rédaction qui n’y soit allée de ses commentaires tendancieux pour une installer l’image d’un Mélenchon complotiste au mieux, antisémite au pire.
Le phénomène d’hystérisation du débat public a pris une coloration nouvelle ce mardi avec la gifle infligée à Emmanuel Macron par un individu proche de la droite identitaire, lors d’un déplacement du Président de la République à Tain-L’Hermitage (Drôme). Ce geste, condamnable comme l’est toute violence physique dans le cadre de la vie publique, excessif par nature mais bénin dans ses conséquences, a suscité un torrent de réactions de condamnation rarement à la mesure de l’offense. Pour de nombreux commentateurs, gifler le chef de l’État, c’est attenter à la République elle-même voire à la « souveraineté nationale » (Jean-Pierre Chevènement), quand ce n’est pas carrément « porter un coup à chaque Français » (Marlène Schiappa). À les entendre, l’offense semble d’une gravité inédite. Oubliés, les 150 tirs d’arme automatique contre la DS du général de Gaulle au Petit-Clamart ou les bombes qui le manquèrent de peu au Mont Faron et au Pont-de-Seine. Oubliée, la tentative de meurtre au fusil contre Jacques Chirac lors d’un défilé du 14 juillet. Oubliés plus encore les assassinats d’une violence inouïe contre les présidents Sadi Carnot et Paul Doumer, sous une autre République. L’agression contre Emmanuel Macron ressemble davantage à celle qu’avait subie Nicolas Sarkozy dans le Lot-et-Garonne en 2011 sans susciter le même emballement émotionnel ni la même peur d’un vacillement de la République. Comme s’il n’était désormais plus possible de faire la part des choses.
Les provocations d’élus ou la brutalité physique et verbale des opposants à la politique du gouvernement d’un côté, l’indignation surjouée des soutiens du gouvernement et leurs relais médiatiques de l’autre, rendent plus difficile chaque jour le fonctionnement serein de la démocratie. La sortie inappropriée de Jean-Luc Mélenchon a occulté la problématique sérieuse que son intervention soulevait initialement, à savoir l’impossibilité pratique de voir triompher un programme politique alternatif dans le cadre institutionnel et médiatique qui est le nôtre. La radicalité d’un youtubeur-militant comme Papacito rappelle, si besoin était, le danger que représente l’ultra-droite sans répondre à la seule question qui vaille : comment reconstruire une offre politique à la hauteur des attentes des Français ? Invoquer la République en péril pour un soufflet sur la joue présidentielle renforce, enfin, la distorsion entre l’anecdotique et le fondamental. Un quinquennat de régressions sociales, de recul des libertés publiques, la concentration du pouvoir entre les mains d’un homme au détriment de la représentation nationale et même les pitreries communicationnelles auxquelles nous nous résignons menacent bien plus assurément la République que le dérapage verbal d’un candidat de l’opposition ou qu’une atteinte mineure sur la personne du chef de l’État. Gardons cela à l’esprit.