Lars Vilks : la liberté lui allait si bien

Lars Vilks a été tué, dimanche 3 octobre, dans un accident de la route, en Suède. Même après avoir rendu son dernier soupir, l’artiste et théoricien de l’art subit encore des attaques post-mortem insoutenables de la part d’extrémistes religieux, majoritairement issus de comptes nationalistes turcs et pakistanais.

Il n’y aura plus de Mahomet croqué en chien de rond-point. Il n’y aura plus de dessin du tout. Le caricaturiste et théoricien de l’art suédois Lars Vilks est mort à l’âge de 75 ans dans un accident de la route dimanche 3 octobre. Les deux policiers qui veillaient à sa protection ont également été tués sur le coup, alors que leur voiture banalisée s’est encastrée dans un poids-lourd sur une autoroute.

En France, sa mort est loin de susciter un déluge d’hommages. Depuis 14 ans, l’homme vivait pourtant un enfer sur terre, sous protection permanente, dans un appartement tenu secret. Véritable trublion irrévérencieux à une époque l’on rechigne à défendre les âmes les plus intrépides, Lars Vilks faisait jusqu’ici figure de trompe-la-mort.

Tout a commencé en 2007, soit deux ans après la scandale des caricatures danoises de Mahomet, publiées par le quotidien Jyllands-Poste. En trois coups de crayon acérés, Lars Vilks déclenche à son tour l’ire des extrémistes religieux, aux quatre coins du monde, en animalisant le prophète Mahomet. Le dessin controversé est censé être exposé dans une galerie d’art. Prudence ou couardise ? La galerie refuse l’œuvre au dernier moment. Le journal suédois Nerikes Allehanda accepte de la diffuser le 18 août. Dans la foulée, plusieurs autres quotidiens reprennent le dessin, pour afficher leur soutien à l’artiste, qu’ils jugent le dessin de bon ou de mauvais goût. D’ailleurs, là n’est pas la question.

Plus rapide que Lucky Luke lui-même, Al-Qaïda appelle dans une vidéo « à faire couler le sang de ce Lars qui a osé insulter notre Prophète ». Sa tête est mise à prix pour 100 000 dollars. Une prime de 50 000 dollars est même envisagée s’il finit « égorgé comme un agneau ».

« Véritable trublion irrévérencieux à une époque où l’on rechigne à défendre les âmes les plus intrépides, Lars Vilks faisait jusqu’ici figure de trompe-la-mort. »

Au cours de la décennie suivante, tout le talent de Lars Vilks va résider dans l’art de sauver sa peau. Chaque année ou presque, il slalome entre deux tentatives d’attentats. En octobre 2009, l’Américaine Colleen LaRose, alias Jihad Jane, est accusé d’avoir fomenté un complot dans le but de l’assassiner. Elle est condamnée à dix ans de prison en 2014. En mai 2010, deux frères suédois d’origine kosovare mettent le feu à sa maison avec des cocktails Molotov. Heureusement, l’artiste est absent ce jour-là.

En juin 2010, il est frappé par un spectateur, lors d’une conférence sur la liberté de la presse à l’université suédoise d’Uppsala, à 70 kilomètres au nord de Stockholm. Lars Vilks est en train de diffuser un extrait de film iranien portant sur l’islam et l’homosexualité. Deux hommes, affublés d’un masque du prophète Mahomet, sont en train de faire l’amour. De quoi ulcérer un homme au premier rang. « Tout à coup il s’est précipité sur moi. Il m’a donné un coup de tête et j’ai perdu mes lunettes », témoignera Lars Vilks. En septembre 2011, la Biennale d’art contemporain est inaugurée dans un bâtiment de Göteborg, sur la côte ouest de la Suède. Des centaines de personnes doivent être évacuées en urgence. Motif : la police a de fortes raisons de croire que Lars Vilks allait être attaqué. Quatre personnes sont interpellées par une unité d’élite du contre-terrorisme.

L’attentat de Copenhague, en février 2015, est son plus grand exploit. Tandis qu’il participe à une conférence publique organisée en hommage aux victimes de l’attentat de Charlie Hebdo, il échappe à une des attaques du terroriste Omar Abdel Hamid El-Hussein. Mais le réalisateur danois Finn Nørgaard et le gardien de la synagogue de Copenhague sont tués par l’assaillant. Le lendemain, le jeune homme est à son tour abattu par les forces de l’ordre.

Durant les rares moments de répit qui lui sont accordés, l’artiste prend cette traque acharnée avec une apparente légèreté. « On va tous mourir un jour », glisse-t-il à Libération qui brosse son portrait la même année.

Lars Vilks n’était pourtant pas né de la dernière pluie. Après avoir côtoyé la mort et la haine de si près, il les savait tapies dans l’ombre des obscurantistes. Jamais bien loin. Et plus elles se rapprochaient, plus il brandissait son crayon, la seule arme dont il disposait.

Son décès n’a pas apaisé les appétits funestes des extrémistes religieux, souvent issus des réseaux nationalistes turcs et pakistanais. Depuis l’annonce de sa mort, nombreux sont ceux qui laissent exploser leur joie, tout en déversant des tombereaux d’injures sur les réseaux sociaux. La plupart d’entre eux sont des citoyens ordinaires, se contentant d’un prénom, d’un nom voire d’un drapeau en biographie Twitter. Lars Vilks est par exemple accusé d’avoir « immoralement dessiné des caricatures du Messager d’Allah » et donc d’avoir « eu ce qu’il méritait », par un « consultant en enseignement privé » turc. Un partisan assumé d’Erdogan, se fend même d’un : « Commençons la journée avec de bonnes nouvelles. Le caricaturiste suisse Lars Vilks est décédé dans un accident de la circulation. »

Il y a fort à parier que Lars Vilks aurait balayé d’un revers de main de ces grossières attaques, lui qui considéraient ceux qui essayaient de lui faire du mal comme « des amateurs ».

Les messages relayés par des personnalités susceptibles de toucher un public ou un lectorat se révèlent plus inquiétants. Le chanteur turc Özcan Atsat s’en prend au « scélérat caricaturiste suédois Lars Vilks, qui a insulté notre Prophète » quand Emrah Akay, un rédacteur du site turc islamiste Köklü değişim (« Changement fondamental ») se réjouit de sa mort et vomit « des idées toxiques telles que la démocratie et la laïcité qui défient l’ordre ».

Pour Nasira Faisal, « la promesse de Dieu s’est accomplie » en ôtant la vie à Lars Vilks. De son côté, Saima Khan fait référence à l’incendie qui s’est déclaré dans la voiture banalisée à l’issue de l’accident pour mieux affirmer que l’artiste a été « brûlé pour blasphème ». Ces journalistes pakistanaises freelance travaillent entre autres pour Baaghi TV et le site Daily Bhasha News. Toutes deux se montrent de fervents soutiens du Mouvement du Pakistan pour la justice (PTI), le parti actuellement au pouvoir dans le pays. Au Pakistan, le PTI est classé au centre. Mais « dans le champ politique pakistanais, être favorable à la peine de mort pour blasphème ou à un islamisme hardcore est ‘centriste’ donc il peut clairement être qualifié d’extrême droite islamiste », explique Augustin Herbet, journaliste indépendant et fin connaisseur du Pakistan. Umar Shahzad Niazi en est un exemple éloquent. Le jeune homme, membre du PTI, est décrit par plusieurs sites comme un « entrepreneur, philosophe du soufisme et militant des droits de l’homme ». Sacré défenseur des libertés en effet, pour qui l’accident de Lars Vilks est sans doute un « signe d’avertissement » divin.

Ces prises de position ne représentent qu’une infime partie des attaques observées contre le caricaturiste depuis l’annonce de sa mort. Puisqu’il n’est plus en mesure de se défendre, il ne tient qu’à nous, journalistes, politiques, citoyens engagés, chantres des libertés et de la démocratie, de lui rendre hommage.

Auteur : Ella Micheletti

Journaliste indépendante. Ex-EPJ de Tours. M2 droit public. Fondatrice de Voix de l’Hexagone. Beaucoup de politique (française et étrangère). Animaux passionnément. Littérature à la folie.

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