Le bilan social de Macron : de l’art de la casse

[Le bilan Macron – IV] Entre sa réforme de l’assurance-chômage, celle de l’aide personnalisée au logement, ses cadeaux octroyés au patronat par le biais d’ordonnances et la suppression de l’ISF, Emmanuel Macron ne brille certainement pas par son bilan envers les plus humbles. Entre casse sociale et enjolivement des chiffres du chômage, le président sembler assumer de laisser une France encore plus fracturée par les inégalités.

À quelques jours du premier tour de l’élection présidentielle, et alors que le président sortant continue de dominer ses adversaires dans les sondages, il apparaît plus que jamais nécessaire de tirer un bilan de son mandat. Alors que le pouvoir d’achat constitue la première préoccupation des Français selon plusieurs sondages, Emmanuel Macron s’est méticuleusement évertué à avantager les plus aisés, tout en pénalisant les plus précaires. Panorama des principales « réformes », abouties ou prévues.

La réforme controversée des APL

Selon la direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (Drees), fin 2018, 6,6 millions de foyers allocataires bénéficiaient d’une aide au logement, dont 45 % de l’APL (aide personnalisée au logement), 37 % l’ALS (allocation de logement sociale) et 19 % l’ALF (allocation de logement familiale). Entrée en vigueur le 1er janvier 2021, la réforme des APL constitue l’un des projets-clé d’Emmanuel Macron. Auparavant, ces aides étaient attribuées pour une année entière, selon les revenus perçus deux années plus tôt. Désormais, leur montant est revu tous les trimestres, en fonction des revenus touchés au cours des 12 derniers mois. Un an plus tard, on sait que cette réforme a pénalisé de nombreux Français. Selon un rapport de la sénatrice Dominique Estrosi Sassone (Les Républicains), remis dans le cadre de l’examen du projet de loi de finances pour 2022, « la réforme a amplifié les ajustements à la baisse et atténué les réévaluations à la hausse ». Certes, 115 000 citoyens supplémentaires ont pu devenir allocataires avec cette réforme mais seuls 18,2 % de tous les allocataires ont vu leurs APL augmenter de 49 euros. Pire : 29,6 %, soit près d’un tiers d’entre eux ont subi une baisse de leur allocation de… 73 euros ! 52,2 % des bénéficiaires ont reçu les mêmes sommes. Mais surtout, 400 000 personnes se sont retrouvées privées de leurs droits et ne perçoivent plus aucun versement.

En parallèle, le rapport 2021 de la Fondation Abbé-Pierre a recensé 4,1 millions de personnes victimes de mal-logement – notamment car elles habitent des appartements insalubres. En outre, 300 000 personnes (hommes, femmes, enfants) sont privées de domicile dans l’Hexagone. La Fondation en tire logiquement la conclusion suivante : « Le logement n’apparaît pas comme une priorité de ce gouvernement, comme c’est le cas au fond depuis 2017. À tel point que les aides publiques au secteur du logement, exprimées en pourcentage de PIB, n’ont jamais été aussi basses (1,59 % du PIB). » D’ailleurs, selon une étude du ministère de la Transition écologique publiée en février 2021, les aides au logement ont diminué de 4,5 milliards d’euros, entre 2017 et 2019.

Par ailleurs, les différents confinements imposés entre 2020 et 2021 ont révélé des inégalités criantes des habitants en matière d’équipements de leur logement. Alors qu’un tiers des salariés français se sont retrouvés au chômage technique, nombreux sont ceux parmi eux qui n’avaient pas un accès suffisant à Internet ou un matériel informatique adéquat dans leur logement.

« La Fondation Abbé-Pierre a recensé, en 2021, 4,1 millions de personnes victimes de mal-logement – notamment car elles habitent des appartements insalubres. En outre, 300 000 personnes sont privées de domicile dans l’Hexagone »

La réforme des APL et cette baisse conséquente des aides publiques ne pourront que se faire cruellement ressentir dans les chiffres du prochain rapport annuel de la Fondation Abbé-Pierre.

La réforme de l’assurance-chômage

Deuxième réforme qui a socialement pesé sur les plus précaires : la réforme de l’assurance-chômage, dont la majeure partie des mesures sont entrées en vigueur en octobre et en décembre 2021. Dès le mois d’avril de cette année-là, des manifestations ont été observées un peu partout en France. Ainsi, le 23 avril, des milliers de citoyens sont descendus dans la rue, à l’appel de la CGT et de Solidaires, afin de protester contre l’imposition de nouvelles règles jugées injustes. En vain. Depuis l’hiver dernier, il est concrètement devenu plus difficile de toucher l’allocation chômage et, surtout, on la touche moins longtemps. D’une part, un nouveau mode de calcul du salaire journalier de référence (SJR), lequel permet de calculer le montant de l’indemnité-chômage, a été appliqué. Avant la réforme, il était tenu uniquement compte des jours travaillés au cours des 24 derniers mois pour effectuer ce calcul. Désormais, les jours non-travaillés sont également compris dans l’opération, ce qui rend le SJR automatiquement plus bas pour les nouveaux demandeurs d’emploi. De plus, il faut avoir travaillé six mois au cours des deux années qui viennent de s’écouler pour avoir droit à une allocation chômage, alors qu’il suffisait de quatre mois pour en bénéficier avant la réforme. Ce procédé pénalise notamment les travailleurs qui alternent des périodes d’activité et de non-activité, qu’on appelle les « permittents ».

« L’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE) va même plus loin : l’immense majorité des emplois salariés totaux créés depuis 2019 est due à la poussée des contrats d’apprentissage des jeunes. »

Concernant le taux de chômage – qui serait selon Emmanuel Macron au plus bas depuis 15 ans – il est à relativiser. Au dernier trimestre 2021, il s’élevait à 8,1 % de la population active selon l’INSEE, contre 8,6 % fin 2006. Or, début 2008, il était tombé à 7,1 %. En moyenne, en 2017, il s’établissait à 9,4 % de la population active. Le monde de l’emploi a également été traversé par un double mouvement ces dernières années : le chômage strict (catégorie A) a certes baissé mais le sous-emploi (dans les catégories B et C) a augmenté, surtout en 2020, avant de baisser à nouveau en 2021. En 2021, 24,4 % des hommes et femmes qui travaillent se trouvent encore soit à temps partiel soit en situation de sous-emploi. Le taux de chômage des jeunes, dont se félicite Emmanuel Macron, atteint 15,9 % fin 2021, ce qui le ramène à un de ses taux les plus bas, comme à la fin des années 1980 et 1990. Une embellie en grande partie due à la hausse des contrats d’apprentissage en deux ans : 900 000 fin 2021, contre 478 000 fin 2019. L’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE) va même plus loin : l’immense majorité des emplois salariés totaux créés depuis 2019 est due à cette poussée des contrats d’apprentissage des jeunes. De quoi appréhender différemment l’actuel taux d’emploi de 67,5 % dont s’enorgueillit le gouvernement.

Il faut ajouter les 1,9 million de personnes qui se retrouvent, en 2021, exclues des chiffres du chômage car elles ne cochent pas les cases de la définition légale du chômeur selon le Bureau International du Travail. C’est par exemple le cas pour ceux et celles qui ne sont pas disponibles sous 15 jours pour entamer un nouveau contrat.

Les ordonnances, l’arme favorite du gouvernement

Au cours du quinquennat, les cinq « ordonnances Macron » ont eu pour conséquences un affaiblissement des syndicats et une valorisation du patronat. À la base, les accords d’entreprise ne peuvent pas primer sur les accords de branche, s’agissant des salaires minima hiérarchiques, de la durée du travail et de l’aménagement des horaires par exemple. Toutefois, ces mêmes accords d’entreprise peuvent outrepasser les accords de branche, pour les primes, les indemnités de rupture, la durée du préavis, etc. L’autre nouveauté majeure est l’instauration du référendum dans les TPE (de moins de 11 salariés) voire les PME (de 11 à 20 salariés). Autrement dit, le référendum peut être proposé par un employeur en l’absence d’élus syndicaux. Interrogé en septembre 2017 par l’Express, Emmanuel Dockès, professeur agrégé de droit français spécialiste de droit du travail, faisait déjà part de ses craintes à ce sujet. Selon lui, le référendum pourrait en réalité dissimuler une « décision unilatérale de la direction ». Sans élus syndicaux pour les défendre et jouer le rôle de contrepoids, les employés, « soumis par un lien de subordination », « non mandatés, non informés », pourraient se retrouver démunis face à l’initiative de leur patron.

La suppression de l’ISF ou le grand cadeau fait aux « ultra-riches »

Si les réformes touchant les APL ou l’octroi de chômage entraînent des conséquences directes sur la population bénéficiaire, la suppression de l’impôt sur la fortune en janvier 2018 reste probablement la mesure la plus symbolique du bilan macronien. Quatre ans plus tard, l’État français a perdu des recettes fiscales. En 2017, 360 000 contribuables étaient imposables à l’ISF. Ce dernier a été remplacé par l’impôt sur la fortune immobilière. Problème : ce nouvel impôt ne taxe pas les actions, obligations, et une partie de l’assurance-vie… Résultat : en 2018, 130 000 contribuables seulement ont été soumis à l’IFI. En 2017, l’ISF avait rapporté 4,2 milliards d’euros ; l’année suivante, l’IFI ne lui a permis de récolter qu’1,2 milliard d’euros.

En supprimant l’ISF, Emmanuel Macron avait affirmé compter sur l’investissement de ces grandes fortunes dans les entreprises françaises. Naïveté réelle ou cynisme ? Mystère. Reste que nul ruissellement ne s’est produit, comme l’a noté à plusieurs reprises le Comité d’évaluation des réformes de la fiscalité du capital. Dans un rapport d’octobre 2020, le Comité montre que les fortunes anciennement soumises à l’ISF n’ont pas investi plus dans des activités productives. Leurs dividendes engrangés ont même explosé, passant de 14 milliards en 2017 à 23 milliards d’euros en 2018. En revanche, ces ménages d’ultra-riches ont effectué beaucoup plus de placements financiers, « de 95 à 143 milliards d’euros, principalement en numéraire et en dépôts », précise le rapport.

« En supprimant l’ISF, Emmanuel Macron avait affirmé compter sur l’investissement de ces grandes fortunes dans les entreprises françaises. Naïveté réelle ou cynisme ? Mystère. Reste que nul ruissellement ne s’est produit »

Après ce bilan que l’on pourrait qualifier d’anti-social, on peut, dans une certaine mesure, spéculer sur les réformes à venir, dans l’hypothèse où le président sortant serait réélu. Le conditionnement du RSA à une activité de 20 heures hebdomadaires et l’augmentation de l’âge du départ à la retraite à 65 ans constituent les fers de lance du candidat Macron. Dans le premier cas, Emmanuel Macron s’aligne tout naturellement sur la position habituelle de la droite libérale, laquelle stigmatise les allocataires (cf. le fameux « cancer de l’assistanat » pour reprendre les mots de Laurent Wauquiez). Dans le second cas, le chef de l’État justifie son projet par le simple fait que les Français vivraient plus longtemps que leurs ascendants. En un siècle, ils ont gagné 40 ans d’espérance de vie. Néanmoins, ces dernières années, l’espérance de vie progresse plus lentement. Pour les femmes, elle est d’approximativement 85 ans, contre 79,5 pour les hommes. L’espérance de vie en bonne santé est loin d’être aussi haute :  64,9 ans pour les femmes et 62,6 ans pour les hommes, d’après un rapport de la Drees d’octobre 2018. Ces chiffres se trouvent légèrement en dessous de la moyenne européenne… Et, sans surprise, ils tendent à s’aggraver pour les classes populaires. Ainsi, l’Insee a-t-il révélé en décembre 2021 que 25 % des Français les plus pauvres sont déjà morts au moment de prendre leur retraite… à 62 ans. Si ce chiffre a vraisemblablement marqué l’opinion publique, du fait de son importance et de sa médiatisation, il n’a semble-t-il produit aucun effet sur le gouvernement qui entend aller toujours plus loin dans sa politique de dislocation sociale au cours des cinq ans à venir.

Auteur : Ella Micheletti

Journaliste indépendante. Ex-EPJ de Tours. M2 droit public. Fondatrice de Voix de l’Hexagone. Beaucoup de politique (française et étrangère). Animaux passionnément. Littérature à la folie.

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