
[Le bilan Macron – V] Dans quelle mesure Emmanuel Macron s’est-il emparé de la question mémorielle pour en faire un pilier de son quinquennat, allant beaucoup plus loin que ces prédécesseurs sur le fond comme sur la forme et en quoi diffère-t-elle de leur politique mémorielle ? C’est à cette question que Gurvan Judas se propose de répondre à travers ce dernier article de notre série « Le bilan Macron ».
La France a une mémoire blessée, complexe. Emmanuel Macron n’a eu de cesse faire de sa politique mémorielle une mobilisation pour une réconciliation nationale autour notamment de plusieurs questions. Comment décrypter un quinquennat marqué par autant de commémorations et d’hommages ? Car hommage et commémoration sont aussi à distinguer.
La question de la commémoration de Napoléon à l’occasion du bicentenaire de sa mort ou du 150e anniversaire de la Commune de Paris pose, par exemple, la question des commémorations locales et où nationales, celle de la hiérarchisation de celles-ci et enfin celle du public auquel elles s’adressent. Et ce, sans oublier les éternels 8 Mai et 11 Novembre, c’est-à-dire les commémorations classiques des deux guerres mondiales.
La politique mémorielle d’Emmanuel Macron s’axe en trois parties, dont nous verrons les événements marquants. D’abord, une manière grandiloquente de commémorer et une passion aigüe pour ces commémorations. Ensuite, une tentative de réconciliation mémorielle, notamment autour de la guerre d’Algérie. Enfin, un président voulant se poser en Père de la Nation à travers ces commémorations. Il y a donc une évolution. Mais nous allons surtout voir la manière dont Emmanuel Macron a appliqué le « en même temps » à sa politique mémorielle.
Une manière grandiloquente de commémorer les événements tournant à la célébration
Le 11 novembre 2018, Paris centre du monde
Le 11 novembre 2018 fut un grand moment de la politique mémorielle d’Emmanuel Macron. Nous nous souvenons tous du président de la République qui faisait de Paris le centre du monde à l’occasion du centenaire de la Première Guerre mondiale avec tous les chefs d’État et de gouvernement du monde, ou presque, réunis dans la capitale. Du roi du Maroc en passant par Vladimir Poutine ou encore Donald Trump, tous étaient présents sous l’Arc de Triomphe dans une cérémonie glorieuse. Ce même Arc de Triomphe construit afin de célébrer les victoires napoléoniennes, devenu avec la tombe du soldat inconnu au début du siècle dernier un lieu de commémoration de la Grande Guerre puis de tous les morts pour la France.
Une cérémonie impressionnante, le monde entier à Paris pour la commémoration de la Grande Guerre… L’image est marquante. Elle dit quelque chose et reste dans l’histoire, tout autant qu’un Emmanuel Macron martial faisant la revue des troupes en bon chef des armées.
La Première Guerre mondiale a donc été centrale dans la politique mémorielle du président à travers cette cérémonie. Il place Paris au centre des regards et l’impose logiquement comme l’épicentre de cette guerre et de sa commémoration. Dans un message de paix et d’amitié entre les nations, la cérémonie est rythmée par des lectures de lettres de poilus et des chansons délivrant un message de réconciliation.
Emmanuel Macron a également soigné les autres 11 Novembre et 8 Mai, avec remontée des Champs-Élysées, Marseillaise et dépôts de gerbes devant la statue de Clemenceau, salut à la statue du Général de Gaulle puis éternel allumage de flamme du soldat inconnu. On peut néanmoins relever la manière de bloquer l’accès au public aux cérémonies, ce qui n’est pas une bonne manière d’impliquer les Français dans leur histoire.
Emmanuel Macron lancera également une « itinérance mémorielle » dans 11 départements de l’ancien front, notamment la Moselle. Pendant six jours, en novembre 2018, il multipliera dépôts de gerbe et bains de foule, et rencontrera son homologue allemand à Strasbourg. Emmanuel Macron se heurtera néanmoins à des insultes et controverses suite à son demi-hommage à Pétain dans un contexte politique très particulier marqué par la crise des Gilets jaunes.
On voit ici avec les commémorations de la Grande Guerre et le 11 novembre 1918 une envie de commémorer, et ce de manière grandiloquente.
Beaucoup de panthéonisations : de quoi cela est-il le nom ?
La panthéonisation de Maurice Genevoix, en novembre 2020, cent ans jours pour jours après l’inhumation du Soldat Inconnu sous l’Arc de Triomphe, reprend la séquence de la Grande Guerre. L’exercice de la panthéonisation est difficile à mettre en œuvre tant il est délicat de trouver des figures de sainteté laïque, porteuses d’actions derrière lesquelles un pays divisé peut se rassembler et suffisamment importantes pour entrer au Panthéon. Une belle cérémonie, de nuit, sans public, en plein confinement hivernal. Emmanuel Macron finit ainsi son itinérance mémorielle de 1914-1918, prolongeant celle de François Hollande avant lui.
Maurice Genevoix à travers Ceux de 14 représente le millions et demi de poilus tombés pour la France. Après ceux de l’An II, les soldats de Napoléon et le Maréchal Lannes et les Résistants, ceux de 1914 complètent le panorama des soldats français tombés dans toutes les guerres ou presque depuis 1789.
Mais Emmanuel Macron ne s’arrête pas là. Ses prédécesseurs avaient été plus discrets en termes d’entrées au « Temple des Grands Hommes ». François Hollande, avec l’entrée de quatre résistants – deux hommes et deux femmes – Geneviève de Gaulle, Pierre Brossolette, Jean Zay ainsi que Germaine Tillion. Nicolas Sarkozy avec Aimé Césaire, tentant de contrebalancer le scandaleux discours de Dakar sur la non-histoire de l’Afrique. Emmanuel Macron, lui, a beaucoup panthéonisé. Certes moins que François Mitterrand, car panthéoniser n’est jamais un geste anodin et l’accord des familles est obligatoire. En témoigne la tentative échouée de Nicolas Sarkozy de faire entrer Albert Camus au Panthéon, sa famille refusant, l’Algérois étant bien plus chez lui sous le soleil de Provence à Lourmarin dans sa dernière demeure, que dans un caveau sombre et froid du Quartier latin. De plus, pour Panthéoniser, il faut une personnalité en capacité de faire chambre partagée pour l’éternité avec Hugo, Zola ou Jaurès. Tout le monde ne peut en être.
Emmanuel Macron a donc choisi de faire entrer Simone Veil et son époux Antoine, seule condition à la panthéonisation de la ministre de la Santé de Valéry Giscard d’Estaing. Évidemment, on observe une triple symbolique. Il s’agit une femme – il y en a si peu – puis elle a permis l’adoption de la loi sur l’avortement (le progrès si cher à Emmanuel Macron). Enfin, elle a été première présidente du Parlement européen. Cérémonie grandiose où l’hymne à la joie a été chanté, célébrant la déportée, le courage d’une femme ayant vécu l’enfer et s’étant battue toute sa vie pour raconter l’innommable. Une panthéonisation n’est jamais neutre. Le Président, seul capable de panthéoniser, le fait pour lui, à travers les symboles que représente la personne panthéonisée plus que pour elle-même. C’est le cas avec Simone Veil.
« Emmanuel Macron a adopté le ‘en même temps’ mémoriel. Napoléon a été commémoré, trop pour certains, pas assez pour d’autres. Lors du discours et et de la cérémonie aux Invalides, Emmanuel Macron a adopté une position intermédiaire reprenant la grande histoire de France tout en reconnaissant les phases sombres de l’homme. »
Enfin, plus récemment, Joséphine Baker, après avoir écarté Rimbaud et Verlaine ainsi que Gisèle Halimi pour de nombreuses raisons. Joséphine Baker a sans conteste marqué l’histoire politique et artistique française. En plus d’avoir été meneuse de revue, danseuse, chanteuse, elle s’est brillamment illustrée durant la Seconde Guerre mondiale en devenant espionne. « Je n’avais qu’une seule chose en tête : aider la France », avait-elle déclaré. Elle sera aussi envoyée en mission au Maroc, et nommée sous-lieutenant des troupes féminines auxiliaires de l’armée de l’Air française. Des années plus tard, elle se montre très active auprès de Martin Luther King afin de défendre les droits civiques aux États-Unis. Elle a également combattu le racisme et l’antisémitisme aux côtés de la Ligue internationale contre le racisme et l’antisémitisme (LICRA). Une panthéonisation évidemment encore ici tout en symbole. Une femme afro-américaine combattante pour la France, icône du Paris des années folles. Elle résume la politique de panthéonisation d’Emmanuel Macron et la symbolique qui s’en dégage. Quatre panthéonisations fortes en symbolique.
Napoléon et le « en même temps » commémoratif
Napoléon nous montre que l’histoire est complexe et certains personnages historiques ont un héritage politique et une mémoire diverse et parfois divisée. Alors de quelle manière Emmanuel Macron a-t-il tenté de concilier et réconcilier les mémoires ? Nous avons assisté aux injonctions contradictoires de la mémoire. Nous avons vu la guerre des mémoires à l’œuvre.
Napoléon est l’un des hommes les plus importants de l’Histoire de France, et la deuxième personnalité la plus recherchée sur Internet après Jésus Christ. Personnage controversé, adulé, haï, il ne laisse personne indifférent. Dur de passer à côté mais également dur de le célébrer tant le rétablissement de l’esclavage ou la place des femmes dans le Code civil ont fait débat et font débat.
Emmanuel Macron a ainsi adopté le « en même temps » mémoriel. Napoléon a finalement été commémoré, trop pour certains, pas assez pour d’autres. Lors du discours et de la cérémonie aux Invalides pour le 200e anniversaire de la mort de l’Empereur, Emmanuel Macron a adopté une position intermédiaire rejoignant la grande histoire de France tout en reconnaissant les phases sombres de l’homme. Après avoir dressé un portrait « en clair-obscur » de cette figure controversée de l’Histoire de France, il a déposé une gerbe au pied de son tombeau. Son discours aux Invalides dit tout de ses intentions : il y évoque ses fautes, le bâtisseur, le législateur. Finalement, cette commémoration qui a fait suite à beaucoup de débats se situe dans l’entre-deux entre inscription dans la nation et acceptation des « fautes » reprochées à l’Empereur. Une commémoration inscrite dans son temps sans tourner à la célébration, ce qui était la grande question entre controverse et polémique.
La goût d’Emmanuel Macron pour les envolées rhétoriques et pour la transgression détermine sa politique mémorielle, particulièrement riche. On l’a vu, il possède un goût prononcé pour les grands discours et les cérémonies. On peut se demander s’il n’est pas atteint de « commémorativite ».
Tentative de réconciliation mémorielle
Guerre d’Algérie et harkis ; colonisation et réconciliation
Emmanuel Macron fait de la guerre d’Algérie le défi mémoriel de son quinquennat avec la reconnaissance de la torture et des crimes commis par l’armée française. Depuis le début de son mandat, le président de la République essaye d’engager une politique de réconciliation mémorielle de notre histoire coloniale. Il incarnera une forme de reconnaissance, presque de repentance.
À son arrivée au pouvoir, le président de la République avait eu une formule : « La colonisation est un crime, un crime contre l’humanité et une vraie barbarie. En même temps, il ne faut pas balayer tout ce passé. » Par la suite, il précise que les harkis « ont été les victimes de la trahison de l’État français ». Il y a eu ensuite le rapport de la mission Stora sur la mémoire de la guerre d’Algérie. Emmanuel Macron concède : « J’étais frappé, durant ces dernières années, de voir à quel point l’histoire et les mémoires de la guerre d’Algérie étaient la matrice d’une grande partie de nos traumatismes. Il y a des souffrances qui ont été tues, et qui se sont construites comme étant irréconciliables. Or, je pense tout l’inverse. »
Cela démontre la difficile quête d’une réconciliation des mémoires en invitant à l’Élysée des jeunes d’origines algériennes et ou binationaux avec un objectif : apaiser « cette blessure mémorielle ». L’historien Benjamin Stora était également présent. Il sera l’auteur d’un rapport sur La mémoire de la colonisation et de la guerre d’Algérie afin d’amorcer « la réconciliation entre les peuples français et algérien ». Mais le problème n’est pas réglé.
Cette volonté de réconciliation des mémoires, Emmanuel Macron l’a poursuivie avec le Rwanda.
La rupture Rwanda
Lors d’un discours depuis le Mémorial du génocide au Rwanda, Emmanuel Macron a eu l’ambition de réconcilier les mémoires nationales en s’affranchissant des vieux clivages, selon une ligne mémorielle de commémoration, restitution et reconnaissance. Avec la reconnaissance de la responsabilité de la France dans le génocide des Tutsis au Rwanda, 27 ans après les massacres qui, en l’espace de quelques semaines, ont fait 800 000 morts. L’État français a accepté l’ouverture d’importantes archives. Le rapport Duclert du 26 mars 2021 a conclu que la France n’était pas complice du génocide, mais il dénonce ses responsabilités lourdes et accablantes. Ce rapport pointe aussi du doigt l’aveuglement continu des responsables politiques français, au premier rang desquels se trouve le président de la République d’alors, François Mitterrand.
Emmanuel Macron a fait également un pas sur ce dossier dans son objectif de réconciliation mémorielle, dans un contexte plus large d’acception de l’histoire de la France en Afrique.
Afrique : une acceptation de l’histoire
La question toujours présente de réparer une mémoire blessée avec l’Afrique trouve son aboutissement dans l’entreprise consistant à restaurer certaines œuvres d’art des pays africains.
Le 28 novembre 2017 au début de son mandat, qui témoigne de cette volonté initiale, Emmanuel Macron a fait un discours à Ouagadougou capitale du Burkina Faso, où il annonce les axes de la relation qu’il veut fonder entre la France et le continent l’Afrique. Il déclare : « Je suis d’une génération de Français pour qui les crimes de la colonisation européenne sont incontestables et font partie de notre histoire. […] La France entretient avec l’Afrique un lien historique indéfectible, pétri de souffrance, de déchirements, mais aussi si souvent de fraternité et d’entraide. […] Nous avons le choix entre l’envie de nous retrouver ou la tragédie de nous éloigner. »
Le 5 octobre 2021, l’historien camerounais Achille Mbembe a rendu un rapport à Emmanuel Macron et a préconisé une refondation des relations estimant que « la reconnaissance de la perversion du colonialisme, de sa nature, littéralement, de crime contre l’humanité, est importante ». Une part du chemin a tenté d’être fait de la part du président de la République dans la relation mémorielle au continent africain.
Après avoir exprimé la volonté de réconcilier les mémoires, Emmanuel Macron a essayé, à travers des commémorations symboliques, de se placer en Père de la Nation. Ce qui pourrait sembler contradictoire apparaît pour lui complémentaire.
Père de la Nation, républicanisme, réconciliation… et patriotisme mémoriel
Un hommage émouvant à Hubert Germain
Pour légitimer son républicanisme et s’inscrire dans la Nation, le chef de l’État a rendu un vibrant hommage à Hubert Germain, dernier compagnon de la Libération. Comment oublier les mots de Malraux et le cercueil vide du Mont Valérien qui lui est dévolu ? Il n’y a plus personne pour se souvenir de Bir Hakeim ou des chars de la Deuxième division blindée du Général Leclerc entrant dans Paris par la porte d’Orléans accueilli avec des baisers. C’était le 11 novembre 2021, concluant encore une fois la séquence de la Grande Guerre. Une entrée au Mont-Valérien solennelle, une cérémonie vibrante, sur fond du Chant des Partisans pour le dernier adieu d’un homme que le chef de l’État avait rencontré et connaissait personnellement. Devait-il ses larmes au soleil aveuglant de cette jolie journée ou à l’émotion véritable ? Impossible de la savoir. Il a livré un discours empli de métaphore et de phrases alambiquées comme il en a le secret et le goût. Mais un bel et dernier hommage a été rendu au dernier compagnon de la Libération, du départ de son cercueil des Invalides au Mont Valérien à Suresnes, haut-lieu de la mémoire de la Libération ou des milliers de résistants ont été fusillés, dans une cérémonie encore une fois fermée au public.
« Pour légitimer son républicanisme et s’inscrire dans la Nation, le chef de l’État a rendu un vibrant hommage à Hubert Germain, dernier compagnon de la Libération. […] Devait-il ses larmes au soleil aveuglant de cette jolie journée ou à l’émotion véritable ? Impossible de la savoir. Il a livré un discours empli de métaphore et de phrases alambiquées comme il en a le secret et le goût »
Emmanuel Macron a encore souhaité s’inscrire dans la grande histoire de France, celle de la Résistance, comme il a tenté de le faire avec le Général de Gaulle. Hubert Germain est mort à l’âge de 101 ans, le cercueil de l’ancien combattant et ministre était enveloppé d’un drapeau français, transporté par un char blindé et entouré par la Garde républicaine après avoir remonté l’avenue des Champs-Élysées. Une cérémonie a été organisée sous l’Arc de Triomphe. « Serions-nous là sans Hubert Germain ? », a déclaré le président de la République pour commencer son discours. Il a ensuite salué la mémoire de tous les compagnons de la Libération. « Leurs braises ardentes sont dans nos mains. Et quand viendra le jour, quand sonnera l’heure, nous saurons les raviver. » Sur le cercueil d’Hubert Germain, tout un symbole, une croix de Lorraine taillée dans la charpente de Notre-Dame fut ensuite déposée. Comme un grand moment de patriotisme et de volonté de s’inscrire dans la grande histoire de France poursuivie avec la volonté de s’incarner dans l’homme qui a personnifié la France : De Gaulle.
Le De Gaulle du 18 juin
De Gaulle. Une figure qu’Emmanuel Macron a tâché d’investir pour des raisons politiques – cela va de soi – mais également pour alimenter la question mémorielle. Comme la plupart de ses prédécesseurs, il s’est rendu à Colombey-les-Deux-Églises plusieurs fois. Entre visite du mémorial, hommage et discours, il a repris à son compte la figure du fondateur de la Ve République allant parfois jusqu’à essayer de faire une analogie entre lui et son illustre prédécesseur.
Il a repris à son compte la mémoire gaullienne à sa manière et a voulu se placer dans la lignée du Général de Gaulle en en faisant une pièce maîtresse de sa politique mémorielle. L’année 2020 fut donc l’année De Gaulle avant l’année 2021 qui fut l’année Napoléon. L’année d’un triple anniversaire : les 50 ans de la mort du Général, les 130 ans de sa naissance et les 80 ans de l’Appel du 18 Juin. Tombe, Croix de Lorraine et visite de la Boiserie… mais pas de discours à Colombey-les-Deux-Églises pour rendre hommage à son prédécesseur le plus illustre, cinquante ans jour pour jour après son décès.
« Résilience et volonté. Cet esprit fut incarné par Charles de Gaulle, engagé pour la France dans les moments de douleurs comme dans ceux de gloires. Cet esprit est un héritage, celui de la France », a publié sur Twitter le chef de l’État avant son arrivée à la mi-journée. Dans la vidéo intégrée au tweet, Emmanuel Macron souligne en voix off que de Gaulle avait une « confiance inébranlable dans le destin de la France », « nous dit que la France est forte quand elle se tient unie », et a incarné « cette force d’agir, cet esprit français ». Comment ne pas y voir une allusion personnelle quand la France connaît la pire crise de son histoire depuis 1945 avec l’épidémie de Covid-19 et le confinement ? De Gaulle demeure une figure tutélaire pour la politique française et aussi pour l’actuel président. Emmanuel Macron, lors de son quinquennat, a multiplié les symboles gaulliens comme par exemple sur sa photo officielle la présence des Mémoires du Général sur son bureau du Palais de l’Élysée.
Le 17 mai 2020, en pleine crise sanitaire, Emmanuel Macron s’était rendu sur les lieux de la bataille de Montcornet dans l’Aisne, où s’était illustré De Gaulle en 1940, pour y célébrer « l’esprit français de Résistance » et lancer un vibrant appel à l’unité des Français face aux épreuves. « L’exemple du général doit inspirer les jeunes générations. Ne cédez pas au désarroi et au doute », avait-il ensuite lancé lors de la cérémonie du 18 juin.
Encore une fois une volonté de se mettre dans les pas du Général, l’imiter se donner cette stature patriotique, réconciliatrice, au-dessus de la mêlée dans un période de crise profonde et de division du pays, comment ne pas voir l’allusion et l’analogie à 1940. De plus, Emmanuel Macron est politiquement cette figure ni droite ni gauche, au-dessus des clivages, du moins il a tenté de l’être.
Conclusion : une glorification personnelle ?
Comment définir une politique mémorielle à la fois ferme et frisant la repentance ? Un quinquennat marqué par les années de Gaulle et par Napoléon et auquel le hasard du calendrier « impose » beaucoup de discours et commémorations. Emmanuel Macron est allé beaucoup plus loin que ses prédécesseurs en matière de politique mémorielle, c’est une réalité indéniable. Il a fait montre d’une presque addiction aux discours et aux commémorations entre acceptation de l’histoire et volonté de s’inscrire dans une politique mémorielle patriotique. L’utilisation détournée de l’histoire, propre à tout politique faisant de la mémoire pour se promouvoir, a été décuplée avec Emmanuel Macron durant les grands événements commémoratifs avec sans cesse des analogies avec le présent. On peut penser au 18 juin 2020. Au 11 novembre 2018 ou encore « l’itinérance mémorielle » pour la guerre de 1914-18. Politique mémorielle dure à qualifier. Commémorations et congratulations. Analogies avec le Général de Gaulle. Réconciliation et inscriptions dans la grande histoire de France. Sortir de la guerre des mémoires. S’affranchir des vieux clivages à l’heure de la cancel culture, de la damnatio memoriae ou de Black Lives Matter, du déboulonnage de certaines statues « problématiques », c’est-à-dire dans un contexte où la question de la mémoire, du passé colonial ou de l’esclavage est présente et prenante.
« Emmanuel Macron est allé beaucoup plus loin que ses prédécesseurs en matière de politique mémorielle. Il a fait montre d’une presque addiction aux discours et aux commémorations entre acceptation de l’histoire et volonté de s’inscrire dans une politique mémorielle patriotique »
Une « réconciliation des France » passant par un tressage entre le travail des historiens et les acteurs du temps présent. Une façon « d’apaiser les choses » en tentant le difficile pari de garder d’un côté le récit ou roman national et d’accepter de l’autre le travail critique des historiens. Une tentative de « juste distance » entre mémoire et histoire, avec le travail notamment du philosophe Paul Ricœur. Emmanuel Macron n’est pas seul dans la construction de sa politique mémorielle. Un « en même temps » mémoriel, des déclarations qui divisent et des promesses de réconciliation. Tâchant de s’inscrire dans le courant historiographique aujourd’hui dominant l’histoire globale et connectée. Une volonté de réconcilier la grandiose histoire de France et ses parts sombres. Un goût pour les discours, un « en même-temps » finalement une politique mémorielle très macronienne. Notons également le grand rôle joué par les historiens et par Bruno Roger-Petit, le « conseiller mémoire » du président de la République dans la fabrication de cette politique mémorielle.
Enfin, il faut aussi relever les non-commémorations… La Commune de Paris devant fêter ses 150 ans en mars 2021 et la fin de la semaine sanglante en mai 2021, ceci à quelques jours du bicentenaire de la mort de Napoléon, beaucoup se demandaient comment hiérarchiser… Napoléon ou la Commune, quoi commémorer et pourquoi pas les deux. Finalement cela a été une non-commémoration. Ce qui montre le caractère politique de la commémoration qui est une question de choix. La Commune n’est pas un événement local : il y a eu des communes au Creusot, Lyon ou Marseille, partout en France. Mais surtout, Marx en a fait un événement mondial avec La Guerre civile en France, 1871. Encore une fois, le choc des mémoires a été à l’œuvre, et la Commune est marquée à gauche et nous le savons au vu du dernier quinquennat, Emmanuel Macron n’est pas un homme de gauche.
Photo d’illustration : Chabe01, CC BY-SA 4.0, via Wikimedia Commons [image retouchée].