Ginsburg, Breyer… Ces juges américains aux positions progressistes

Ruth Bader Ginsburg, Stephen Breyer, David Souter et John Paul Stevens.

John G. Roberts Jr, Samuel Alito, Clarence Thomas, Neil Gorsuch, Amy Coney Barret et Brett Kavanaugh sont les six juges conservateurs de la Cour Suprême fédérale américaine à avoir retoqué l’arrêt Roe v. Wade le 24 juin, ouvrant ainsi la voie à des restrictions voire des interdictions de procéder à un IVG, dans de nombreux États américains. Si la composition actuelle de la Cour suprême est à majorité républicaine, il n’en a pas toujours été ainsi, et certains juges, parfois même officiellement conservateurs, ont permis de faire basculer des votes en faveur de davantage de libertés et de protection des citoyens américains.

Sur les neuf juges de la Cour suprême américaine, six (tous républicains) ont voté pour la révocation de l’arrêt Roe v. Wade de 1973. Cette décision lourde de conséquences redonne toute liberté aux États pour légiférer contre l’avortement, au détriment du pouvoir fédéral. La faute à des juges particulièrement réactionnaires. Pourtant, certains juges considérés comme conservateurs se sont illustrés par des positions progressistes et libérales au cours des dernières décennies. Des votes de courage qui ont changé des vies.

Ruth Bader Ginsburg, une figure fondamentale

Décédée le 18 septembre 2020, Ruth Bader Ginsburg est la seconde femme à avoir été juge à la Cour suprême, après la conservatrice Sandra Day O’Connor (nommée en 1981 par Ronald Reagan). Entre 1993 – date de sa nomination par Bill Clinton – et 2020, cette avocate a adopté des positions résolument progressistes au sein de la Cour. C’est notamment elle qui a rédigé la décision United States vs Virginia (1996), qui a permis aux femmes d’intégrer l’Institut militaire de Virginie, alors qu’elles n’en avaient pas le droit auparavant. Elle écrit qu’une « loi ou une politique officielle qui refuse aux femmes, simplement parce qu’elles sont des femmes, l’égalité des chances d’aspirer, de réaliser, de participer et de contribuer à la société, en fonction de ce qu’elles peuvent faire » est « présumée invalide ». En 1999, dans l’arrêt Olmstead v. L.C., elle prend position en faveur du droit des personnes atteintes de maladies mentales à bénéficier de logements publics, en vertu de l’Americans with Disabilities Act, « à condition que les États disposent de ressources suffisantes et que les professionnels du traitement disent que c’est approprié ».

Elle s’est aussi montrée extrêmement attentive à la bonne santé démocratique du pays, en votant pour le recomptage des voix qui avait été ordonné par la Cour suprême de Floride, dans le cadre du duel présidentiel George W. Bush contre Al Gore en 2000. Malheureusement, ses trois collègues progressistes et elle se sont retrouvés en minorité face à cinq juges conservateurs, entraînant par là-même la fin du recomptage qui aurait peut-être changé la face des États-Unis. Militante féministe, Ruth Bader Ginsburg a également co-fondé le Women’s Rights Law Reporter, le premier journal américain consacré aux droits des femmes et s’est toujours révélée soucieuse du droit des femmes à disposer de leurs corps, y compris par le biais de l’IVG.

Stephen Breyer, un progressiste plutôt constant

Stephen Breyer a été nommé juge à la Cour suprême par Bill Clinton en 1994. Auparavant, il avait été nommé juge à la cour d’appel des États-Unis pour le premier circuit en 1980 par Jimmy Carter. Si toutes ses positions ne peuvent être considérées comme progressistes (il a par exemple fait basculer le vote en faveur de l’autorisation de prélèvement sans mandat d’échantillons ADN de toute personne gardée à vue dans l’arrêt Maryland v. King de 2014), il reste néanmoins connu pour ses votes en faveur de l’Obamacare (National Federation of Independent Business v. Sebelius en 2012, et à deux autres reprises), du mariage homosexuel (arrêt Obergefell v. Hodges, 2015) et aussi de l’IVG. En effet, en 2000, dans le cadre de l’affaire Stenberg v. Carhart, il a écrit qu’une loi du Nebraska limitant l’avortement était inconstitutionnelle.

De même, il a voté pour le maintien constant de l’Obamacare, et c’est lui qui a rédigé l’opinion l’opinion majoritaire (à sept contre deux) de l’arrêt California v. Texas du 17 juin 2021. Il a aussi réitéré son opposition à la peine de mort, en exprimant son avis dans l’arrêt Glossip c. Gross de 2015. « Je pense qu’il est très probable que la peine de mort viole le huitième amendement [qui interdit le gouvernement fédéral de condamner à des amendes ou cautions excessives ou à des peines cruelles et inhabituelles]. À tout le moins, la Cour devrait demander un exposé complet sur la question fondamentale », estime-t-il.

David Souter, le faux conservateur

David Souter constitue la grande méprise des Républicains qui le pensaient conservateur, quand il a été nommé par George W. Bush en 1990. Surprise : il a voté pour le maintien de l’IVG dans l’arrêt Planned Parenthood v. Casey de 1992. Il rappelle ainsi « la reconnaissance du droit de la femme de choisir de se faire avorter avant d’être viable et de l’obtenir sans ingérence indue de l’État ». Et d’ajouter : « Avant la viabilité, les intérêts de l’État ne sont pas assez forts pour justifier une interdiction de l’avortement ou l’imposition d’un obstacle substantiel au droit effectif de la femme de choisir la procédure [de l’IVG] ». Son vote dans l’affaire Kelo v. New London de 2005 lui a aussi valu les foudres des Républicains. Dans cette affaire, les biens de certains propriétaires avaient été saisis par la ville de New London (Connecticut) dans le but de les revendre à des promoteurs privés, dont les futurs projets permettraient de façon certaine de créer des emplois et d’augmenter les recettes fiscales. Les propriétaires contestaient que cette saisie ait été faite à des fins publiques puisque leurs biens allaient être vendus à des acteurs privés. Les juges progressistes, rejoints par David Souter, ont considéré que la Constitution n’exigeait pas une « utilisation publique « littérale » » mais « une interprétation plus large et plus naturelle de l’utilisation publique en tant que fin publique ».

John Paul Stevens, un long et positif bilan

Feu John Paul Stevens reste l’un des juges les plus connus de l’histoire de la Cour suprême, en raison de la durée de son office. Nommé par le président républicain Gerald Ford en 1975, il est resté en poste jusqu’en 2010, soit 35 ans. Un an de moins seulement que son prédécesseur William O. Douglas qui, avec 36 ans de mandat, bat tous les records. John Paul Stevens représente une figure atypique dans l’histoire de la Cour suprême. Certaines de ses positions (en faveur de la réintroduction de la peine de mort en 1976 et en faveur de l’injection létale en 2008) l’ont fait converger avec sa famille politique, le Parti républicain. Il se revendiquait du « conservatisme modéré » et s’est ensuite déclaré contre la peine de mort à titre personnel. Par ailleurs, il a défendu avec constance la jurisprudence Roe v. Wade, notamment dans l’arrêt Gonzales v. Carhart de 2007. En outre, il s’est montré favorable à l’extension des droits des personnes homosexuelles et il a permis de faire voter l’interdiction de la peine de mort pour les moins de 18 ans, dans l’arrêt Roper v. Simmons de 2005. Dans l’arrêt Montejo v. Louisiana du 26 mai 2009, il a rédigé l’opinion minoritaire de la Cour, qui souhaitait maintenir nuls et non avenus les aveux recueillis d’un suspect en l’absence de son avocat.

Quelle conclusion tirer de ces portraits ? Tout simplement que les votes de la Cour suprême relèvent de la conjoncture politique, voire des « alliances » ponctuelles. Dans le passé, certains juges officiellement conservateurs ont régulièrement rejoint les positions de leurs collègues démocrates. Actuellement, on peut s’interroger sur le rôle de John G. Roberts, Jr., le président de la Cour suprême. Ce conservateur nommé en 2005 par George W. Bush joue fréquemment le rôle de pivot, allant jusqu’à soutenir les juges progressistes, comme pour l’Obamacare par exemple. En 2020, il avait aussi voté contre les conservateurs pour interdire une loi de Louisiane qui aurait rendu l’avortement quasiment impossible.

Dans le cas de la révocation de l’arrêt Roe v. Wade, John G. Roberts Jr. a pris une décision séparée, en se montrant favorable à la loi du Mississippi, qui interdit l’avortement après quinze semaines de grossesse. En revanche, il juge que ses collègues conservateurs n’auraient pas dû se prononcer sur le caractère fédéral ou non du droit à l’IVG.

Néanmoins, même si John G. Roberts Jr., se montrait plus progressiste au prochain round de la Cour suprême, sa voix ne suffirait pas à rééquilibrer la balance face à ses cinq confrères conservateurs, et les libéraux resteraient minoritaires…

Auteur : Ella Micheletti

Journaliste indépendante. Ex-EPJ de Tours. M2 droit public. Fondatrice de Voix de l’Hexagone. Beaucoup de politique (française et étrangère). Animaux passionnément. Littérature à la folie.

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