Macron filmé, ou la mise en scène de l’impuissance

Dans un stupéfiant documentaire vidéo de près de deux heures diffusé sur France 2 dans la soirée du 30 juin 2022, le journaliste Guy Lagache a suivi le chef de l’État des prémices de la crise russo-ukrainienne jusqu’au plus fort du conflit. Mélangeant les genres et écartant tout recul critique, le film entend valoriser l’action du président de la République. Il en montre pourtant, en filigrane, l’inanité.

Une plongée dans les coulisses diplomatiques de la guerre en Ukraine. Voilà la promesse faite par Guy Lagache (LCP) avant la diffusion, la semaine dernière sur la télévision publique, de son documentaire Un Président, l’Europe et la guerre. Globalement bien accueilli par la presse politique, ce travail ambitieux constitue une intrusion inédite dans le saint des saints : les tractations internationales avec leurs secrets, leurs bluffs et la tension extrême produite par une situation hors du commun, le retour de la guerre sur le continent européen. Il n’en fallait pas davantage pour fasciner des confrères totalement acquis à la politique-spectacle et à la quête chimérique de la transparence absolue. Dès les premières secondes du film, la réalisation nous avertit qu’aucune conversation dévoilée par la suite n’aborde des questions couvertes par le secret-défense. Nous voilà rassurés. Mais la magie du montage n’empêche pas de s’interroger sérieusement sur le message envoyé, à travers cette opération médiatique, par la diplomatie française auprès des chancelleries du monde entier. Le président français peut-il rester un interlocuteur crédible auprès de ses homologues dès lors que ces derniers le savent susceptible de filmer, enregistrer et diffuser des extraits de leurs échanges à huis clos ? L’intérêt documentaire de la séquence ukrainienne est évident, mais la fin ne doit pas toujours justifier les moyens. Surtout dans un contexte où le pouvoir d’influence de la France à l’international tend à se rétracter…

Jupiter depuis son Olympe

Quand elle ne capte pas Emmanuel Macron en plein échange téléphonique avec Vladimir Poutine, Volodymyr Zelensky, Olaf Scholz, Mario Draghi ou Boris Johnson, la caméra de Guy Lagache s’attarde sur les réactions des membres du pôle diplomatique qui conseille le chef de l’État. Dirigée par Emmanuel Bonne, cette cellule élyséenne a supplanté au fil du quinquennat passé les services du Quai d’Orsay dans l’analyse et la gestion des crises diplomatiques. Preuve en est : le ministre des Affaires étrangères Jean-Yves Le Drian apparaît brièvement à l’image mais ne joue strictement aucun rôle.

Le récit livré aux téléspectateurs est donc celui d’un président préoccupé, ultra-mobilisé et décidant de tout. Le documentaire ne cherche jamais à montrer comment s’articule le travail du pôle diplomatique et la prise de décision. L’impression est donnée que les experts du pôle se retrouvent relégués dans un rôle passif. Ils assistent aux conversations, livrent quelques commentaires assez plats sur la situation au journaliste qui les interroge et débriefent chaque conversation téléphonique avec le président. Ce dernier, de son côté, tente de maintenir un dialogue avec le Kremlin pour éviter la guerre puis, une fois celle-ci devenue inéluctable, se démène pour convaincre les partenaires européens de la France de voter des sanctions massives contre la Russie.

« Le documentaire ne cherche jamais à montrer comment s’articule le travail du pôle diplomatique et la prise de décision. L’impression est donnée que les experts du pôle se retrouvent relégués dans un rôle passif »

Le résultat de cette longue équipée diplomatique, qui mène par deux fois Emmanuel Macron jusqu’à Kiev (quelques jours avant le début des hostilités, puis à la mi-juin 2022), se révèle finalement mitigé. L’homme qui tente de raisonner Vladimir Poutine déploie toute son énergie mais ne pèse guère sur la situation. Malgré les bombes qui pilonnent inexorablement Kiev, Marioupol et Kharkiv, le président français ne perd pas l’espoir de faire cesser les hostilités en affaiblissant le régime russe. La séquence des sanctions européennes est bien sûr admirablement télégénique (discours au Parlement européen, sommet de Versailles, voyage en train à Kiev…). Elle remplit son office. Autrement dit, elle rassure sur le potentiel de l’Union européenne de se protéger et d’agir en cas d’agression à sa porte. Entre le vote des sanctions et la date de diffusion du documentaire, la guerre n’a pourtant pas baissé en intensité. L’état-major russe a revu sa stratégie et, sur le terrain, les résistants ukrainiens, même armés de la meilleure volonté du monde et du matériel militaire fourni par les pays de l’OTAN, se retrouvent en difficulté. L’histoire ne s’est pas achevée avec la mise hors tension de la caméra de Guy Lagache. De fait, la boulimie téléphonique d’Emmanuel Macron et le branle-bas de combat des Vingt-Sept passent avec le temps pour ce qu’ils sont : une mise en scène de l’impuissance. 

La guerre venue de nulle part

Un Président, l’Europe et la guerre raconte, de manière tapageuse, comment le premier personnage de l’État vit et prend part à une crise internationale de très grande envergure. Il ne dit rien, hélas, de la crise en question. La guerre qui y est filmée depuis les salons des palais n’a pas de racines, pas de contexte, pas de précédents, pas de cause rationnelle. Par exemple, mention est faite des accords de Minsk qui n’ont « jamais été respectés », sans indiquer les grandes lignes de ces accords… ni préciser que la France et l’Allemagne en étaient garantes de la bonne application ! L’histoire récente de l’Ukraine, notamment l’événement révolutionnaire de Maïdan en 2014 et la situation des minorités pro-russes du Donbass, est passée sous silence. Tout élément explicatif se trouve écarté, et le déclenchement de cette guerre venue de nulle part sera à mettre sur le seul compte de l’irrationnalité d’un tyran agressif et impérialiste. Au passage, une telle lecture du conflit a ceci de confortable qu’elle justifie en soi l’échec des dirigeants occidentaux, au premier rang desquels Emmanuel Macron, à faire dévier le cours des choses.

« La guerre qui y est filmée depuis les salons des palais n’a pas de racines, pas de contexte, pas de précédents, pas de cause rationnelle. Tout élément explicatif se trouve écarté, et le déclenchement de cette guerre venue de nulle part sera à mettre sur le compte de l’irrationnalité d’un tyran agressif et impérialiste« 

Bien que le décalage entre la France et l’Allemagne, à l’heure des tractations sur les sanctions à adopter, soit évoqué sous l’angle de la dépendance de notre voisin d’Outre-Rhin au gaz russe, les oppositions d’intérêts entre Européens sont édulcorées. Le fil conducteur du documentaire épouse parfaitement la stratégie qui est celle d’Emmanuel Macron, c’est-à-dire saisir l’opportunité de la crise pour faire avancer le projet d’Europe de la défense et de « souveraineté » européenne. Ce qui semble évident en surface ne l’est pourtant pas toujours dans le fond des choses, mais le réalisme de la position française ne sera pas davantage questionné…

Sans dimension critique, le documentaire proposé ne peut pas échapper au fort soupçon d’œuvre de propagande alors que l’objet traité était extraordinairement riche. En choisissant de tout simplifier, que ce soit les ressorts de la guerre russo-ukrainienne ou l’exercice du pouvoir diplomatique sous la Ve République (lequel ne relève pas exclusivement du Président de la République), Un Président, l’Europe et la guerre ne se pare d’aucune vertu pédagogique et n’est pas même une exercice de vulgarisation. Le public, auquel les auteurs ont renoncé à apprendre quoi que ce soit, se contente donc d’images bien montées, enrobées de musique dramatique à souhait, avec une star de la politique tenant le premier rôle. Le spectacle d’abord.


Le documentaire Un Président, l’Europe et la guerre (G. Lagache, 2022, France TV) est disponible en streaming jusqu’au 22 octobre 2022 : https://www.france.tv/documentaires/politique/3558577-un-president-l-europe-et-la-guerre.html

Auteur : Gabriel Bernardon

Geek qui se soigne. Attraction-répulsion pour la politique. J'aurais voulu être un poète.

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