« La France en miettes » de Benjamin Morel : ce séparatisme dont on ne parle pas

Comment redonner du sens au mot « séparatisme », utilisé aussi bien pour qualifier le fondamentalisme religieux que les violences dans les banlieues ?  Benjamin Morel, maître de conférences en droit public à l’Université Paris II Panthéon Assas, propose une lecture stimulante d’un phénomène peu abordé de nos jours : l’ethno-régionalisme.

Séparatisme. Voilà un terme qui, depuis plusieurs années, fait la Une de tous les journaux, est l’objet de toutes les tribunes et de toutes les chroniques à la télévision ou sur les ondes FM. Séparatisme après les attentats, séparatisme après l’affaire des tenues religieuses dans les piscines publiques, séparatisme lorsque des violences viennent marquer la vie des banlieues. Toutefois, lorsqu’un maire est physiquement agressé par des indépendantistes basques pour s’être opposé à l’arrachage d’un drapeau tricolore de sa mairie (Saint-Jean-de-Luz – 2022), lorsque des hommages officiels sont rendus à l’assassin du préfet Claude Érignac en Corse (mars 2022), ou que des Bretons appellent à brûler la Constitution (mai 2021), c’est silence radio.

Cette absence de traitement de la question régionaliste par les médias et les dirigeants politiques et gouvernementaux est dénoncée dans l’ouvrage de Benjamin Morel La France en miettes : Régionalismes, l’autre séparatisme (Éd. du Cerf).

Il s’agit plus que d’un simple oubli de nos dirigeants. En effet, l’auteur dénonce la politique de l’autruche voire d’un certain accommodement de ceux-ci face à cette question. Décentralisation, Union européenne, État-nation, influences politiques des mouvements régionalistes et vécu de nos voisins européens, tout est passé en revue dans ce livre avec un ton rigoureux et parfois railleur.

Complaisance et naïveté

La plupart du temps, nous avons tendance à percevoir ces mouvements régionalistes soit comme de simple formations folkloriques sans grande importance, soit avec une certaine complaisance. Après tout, ne défendent-ils pas les oppressés et les minorités face un État autoritaire ? Ne sont-ils pas aussi les défenseurs du patrimoine culturel et naturel de nos belles régions ? Ceci ne peut que les rendre attrayants pour une partie de la population ou pour une partie de l’échiquier politique, notamment à gauche. Toutefois, la lecture de ce livre permet de se rendre compte de la menace réelle que représentent les régionalistes en France. Loin de la vision romantique du doux félibre amoureux de sa langue régionale, ces mouvements cachent en réalité une arrière-boutique aux influences bien sombres. Thèses maurassiennes mal digérées, antisémitisme et fondateurs collaborationnistes, ce que l’on nomme ethno-régionalisme est ici exposé en des termes qui remettront les esprits les plus naïfs en face des faits.

Virage politique

Autrefois rattaché à une vision conservatrice et rétrograde de la société, — qui a pu se retrouver dans la période du régime de Vichy et la formule de Pétain «  la terre, elle ne ment pas »  —, l’encrage identitaire territorial a pris un nouveau visage ces dernières décennies. Pour sauver les apparences et s’extraire d’un passé qui ne passe pas, les partis régionalistes ont réalisé un virage politique pour se retrouver du bon côté de l’Histoire. La métamorphose s’est notamment faite en reprenant des sujets issus de la gauche, parfois marxiste, et plus récemment de la pensée décoloniale.

La méfiance vis-à-vis de l’État-nation, du drapeau tricolore et du patriotisme que l’on connait aujourd’hui, a contribué au développement d’un regard tolérant face aux thèses ou aux symboles régionalistes, comme le drapeau breton, qui est pourtant une création de l’extrême-droite dans l’entre-deux guerres. Son auteur (Morvan Marchal) a d’ailleurs été condamné à l’indignité nationale pour ses activités pendant la Seconde Guerre mondiale. Idem pour le drapeau basque qui a pour créateur un homme (Sabino Arana Goiri) qui souhaitait promouvoir la supériorité de la « race basque » en interdisant le mariage avec les non-basques. Difficile de comprendre l’attrait que peuvent avoir ces formations politiques, surtout pour la gauche, elle qui met un point d’honneur à dénoncer les moindres faits et gestes de la classe politique qui pourraient être perçus comme « fachos ». Notons que ces mêmes drapeaux se retrouvent dans les manifestations organisées par le Rassemblement national tous les 1er mai sous la statue de Jeanne d’Arc. Mais, visiblement, cela ne suffit pas pour les « cancel ».

« Le drapeau basque a pour créateur un homme qui souhaitait promouvoir la supériorité de la « race basque » en interdisant le mariage avec les non-Basques. »

Comme le démontre Benjamin Morel, les organisations régionalistes ont une capacité à passer d’un bord à l’autre de l’échiquier politique, sans vraiment changer ce qui les constitue. Ainsi, on peut les retrouver aux élections régionales avec Europe Écologie les Verts, La République en marche ou le Parti socialiste. Tout le monde semble s’en accommoder. Les collectivités territoriales n’hésitent pas à reprendre ces symboles. La région Bretagne ne rougit pas lorsqu’elle reconnait le Bro gozh ma zadoù comme hymne officiel de la région, dont l’auteur était druide et journaliste de presse collaborationniste.

Ces symboles florissent partout, bien au-delà des bassins de vie auxquels ils appartiennent. Que ce soit pendant le mouvement des Gilets jaunes ou pendant les manifestations contre la réforme des retraites, la précédente (2019) comme l’actuelle, nous voyons ces drapeaux exhibés sans jamais nous en sentir effarouchés. Il s’agit pourtant bien d’une forme d’entrisme. Car quel lien peut-il bien y avoir entre une manifestation contre le travail jusqu’à 64 ans et un drapeau occitan ? Aucun évidemment, il y a juste une volonté de s’imposer dans l’espace public et politique. D’ailleurs, cela semble fonctionner car la gauche, la droite et le centre se sont pliés aux exigences régionalistes dans une visée électoraliste des plus cyniques. La volonté de différencialisme a gangréné la société et intégré les programmes des partis nationaux en région, y compris du Parti communiste en Corse et de la France insoumise dans les DROM.

« Quel lien peut-il bien y avoir entre une manifestation contre le travail jusqu’à 64 ans et un drapeau occitan ? Aucun évidemment, il y a juste une volonté de s’imposer dans l’espace public et politique. »

Union européenne et décentralisation constituent aussi un vivier pour les velléités différencialistes. Le démantèlement de l’État et la déconstruction de la souveraineté nationale ont exacerbé les revendications régionales. Le renforcement des collectivités territoriales ont mis à mal l’application égalitaire des règles et des droits pour l’ensemble des citoyens. Cela serait justifié par le particularisme des régions. Ainsi, à chaque débat sur l’aménagement du territoire, à chaque acte de décentralisation, on voit se dresser les groupes de pression avec comme revendication la formation d’une assemblée unique ou d’une fusion de régions ou de départements. Revendications qui ont été rejetées par les Français en 2003 pour le cas de la fusion des départements et de la région en Corse et en 2013 dans le Haut-Rhin pour la fusion des départements. Qu’importent les référendum et la volonté des habitants, les ethno-régionalistes ont eu gain de cause.

Qu’on ne s’y trompe pas, ce livre n’est pas l’œuvre d’un « méchant jacobin centralisateur » ni une attaque contre les « petites patries », ces lieux où nous sommes nés et auxquels nous sommes attachés par nos liens familiaux et nos souvenirs d’enfance. Ces reproches étaient déjà formulés à l’auteur avant même que le livre ne sorte en librairie. En réalité, il n’en est rien. Langues régionales et langue française ne s’opposent pas. On peut, à la fois se sentir Français et Corse.

« Les militants régionalistes, prompts à dénoncer un colonialisme français dans leurs régions, pratiquent eux-mêmes une forme d’impérialisme. Le cas du rattachement du département de la Loire-Atlantique à la Bretagne en est l’exemple parfait. »

Par ailleurs, tout au long de son ouvrage Benjamin Morel balaie le récit régionaliste dans un délicieux retournement argumentaire. En effet, les régionalistes seraient, en réalité, la véritable menace contre la culture et les langues régionales. Les militants régionalistes, toujours prompts à dénoncer un colonialisme français dans leurs régions, pratiqueraient eux-mêmes une forme d’impérialisme. Le cas du rattachement du département de la Loire-Atlantique à la Bretagne en est l’exemple parfait.

Les ethno-régionalistes procèdent à une re-modèlement des cultures et des langues. Pour le cas breton, les militants régionalistes viennent imposer en Loire-Atlantique une langue qui n’a jamais été parlée par le passé. À Nantes on ne parlait pas le breton mais le gallo, issu de la langue d’oïl.

Une tendance anti-républicaine

La propension des régionalistes à vouloir sortir de l’ensemble national et à former une entité politique distincte, soit par l’autonomie, l’indépendance ou par des compétences administratives singulières, relève d’un projet politique résolument rétrograde, faussement libertaire et fondamentalement anti-républicain.

La lecture de ce livre inquiète pour l’avenir de la France républicaine, une et indivisible. Mais par une plume éclairée et lucide, l’auteur souhaite faire le pari de l’intelligence face aux chantages et à la malhonnêteté. Pour arrêter la politique de l’autruche ou de l’accommodement, il est encore temps pour les républicains de tous bords de s’emparer de la question.


Référence : Benjamin Morel, La France en miettes : Régionalismes, l’autre séparatisme, Paris, Éditions du Cerf, février 2023, 264 pages.

Auteur : pierrebeauvert

Etudiant en géographie à l'université de Clermont-Ferrand. Conseiller municipal dans un petit village du Puy-de-Dôme. Discret mais révolté. République, socialisme et écologie.

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