
Avocat, essayiste (Auteur de Reprendre le pouvoir, éditions Les liens qui libèrent) et porte-parole des Gilets jaunes, François Boulo porte un regard fin et sans compromis envers les partis et la situation politique actuelles. Pour Voix de l’Hexagone, il a accepté d’analyser les fractures idéologiques des gauches et l’alliance fragile qu’elles ont constituée. Union qui se heurtera inexorablement aux divergences non-négligeables de lignes concernant l’Union européenne et la remise en cause du néolibéralisme. Partisan d’institutions donnant davantage de pouvoir au peuple, il explique également que les gauches ne sauraient se passer d’un examen de conscience s’agissant de leur déconnexion de l’électorat RN. Pour retrouver le pouvoir, elles devront se départir du mépris de classe qui parfois les agite et convaincre du bien-fondé de leur programme radicalement social et émancipateur pour tous.
Propos recueillis par Ella Micheletti.
Voix de l’Hexagone : Le Nouveau Front Populaire a remporté le plus grand nombre de sièges à l’issue des élections législatives anticipées, sans pour autant obtenir la majorité absolue. Pensez-vous qu’il existe un espoir que ce bloc puisse former un gouvernement, franchir le cap du vote de confiance et imposer un programme radicalement social ?
François Boulo : Le Nouveau Front Populaire est parvenu à se mettre d’accord sur la personne du Premier ministre. Ceci étant, il est beaucoup plus incertain qu’un gouvernement NFP puisse se constituer et qu’il n’encourt pas la censure des députés macronistes et du Rassemblement national. Si Macron ne veut pas nommer un gouvernement NFP et en appelle à une coalition au centre avec des partis dits républicains, c’est parce qu’il ne veut pas que la gauche puisse gouverner. Cela acterait officiellement qu’il a perdu son pari de la dissolution, et donc le pouvoir. De plus, le NFP ferait au moins la démonstration qu’il essaie de prendre des mesures en faveur des gens en remettant en cause nombre de mesures prises par les précédents gouvernements, à commencer par l’abrogation de la dernière réforme des retraites.

Mais prenons un peu de recul pour comprendre ce qui se joue. En l’état, à l’Assemblée, il y a trois camps minoritaires qui sont irréconciliables parce que chacun a été élu sur une idéologie frontalement opposée. Je ne vois pas comment il pourrait y avoir un gouvernement stable dans la durée. On se dirige vers un blocage institutionnel qui va durer des mois ou des années car cet électorat français fractionné en trois camps perdure. Cette impasse institutionnelle est le fruit de quarante ans de politiques néolibérales qui ont désindustrialisé le pays et conduit au déclassement de portions toujours plus grandes de la population française et à un mécontentement croissant. Il est assez logique de se retrouver avec une crise de régime, dont il faut bien comprendre qu’elle ne fait que commencer. A court terme, je dirais que la première étape doit être que Macron quitte le pouvoir. Il a perdu les élections. Or, il tente de se maintenir coûte que coûte en voulant nommant un gouvernement à sa main. Les oppositions devront réagir immédiatement. Le NFP et le RN doivent, sur cette question précise, voter la censure de tout gouvernement qui serait pro-Macron.
VdH : On observe, ces derniers jours, deux postures à gauche, entre ceux qui plaident pour une union large voire des compromis et ceux qui préfèrent ne pas participer à un gouvernement centro-libéral. Stratégiquement, les gauches radicales doivent-elles prendre “le risque” de voir leur programme affadi/amolli ou privilégier une “politique des petits pas” (qui de facto ne marche jamais et renforce le statu quo néolibéral) ?
F. B. : Si des députés du NFP s’alliaient avec des macronistes en vue d’un gouvernement centriste, ce serait un suicide politique. Ensuite, cela reviendrait à ouvrir la voie au Rassemblement national. Il n’y a pas de compromis possible entre le NFP et la macronie puisqu’ils sont radicalement opposés sur tous les sujets et surtout sur la politique économique et sociale. La macronie a supprimé l’ISF, la gauche souhaite la remettre ; la macronie a donné des aides fiscales et sociales aux grandes entreprises par centaines de milliards, le NFP veut prioritairement remettre en cause ces aides. Les orientations économiques sont antagonistes. Qui propose un « arc républicain » ? Glucksmann, Delga… des gens qui ne sont pas de gauche. Les électeurs qui ont voté NFP ont voté pour un programme précis. Il serait incompréhensible qu’il y ait un renoncement sur un point ou l’autre du programme. Pour les électeurs, ce serait une trahison patente et une lourde erreur politique.
VdH : Pensez-vous que cette alliance d’opportunité puisse conduire à l’approfondissement d’une réflexion commune à gauche, en abordant des thématiques sur lesquelles existe jusqu’à présent un fort dissensus ? Je pense par exemple aux rapports à la souveraineté et à l’Union européenne…
F. B. : Pour moi, l’alliance des gauches contient deux fractures idéologiques majeures en son sein. D’abord le rapport au nucléaire puisqu’il s’agit de l’avenir énergétique du pays pour les prochaines années. Ce n’est pas une petite question. Ensuite l’Union européenne. On sait d’avance que le programme du NFP ne sera pas un programme de rupture radicale avec le néolibéralisme car il y a un rapport à l’UE très différent en fonction des partis. Par exemple, la France insoumise assume qu’il faudra au moins désobéir. Quant au PS et à EELV, l’UE est dans leur ADN et leur composition sociologique. Ils ont un attachement indéfectible à elle. Ils seraient prêts à renoncer à toute ambition sociale pour ne pas remettre en cause la construction européenne. Ils ne veulent pas mener un rapport de force avec l’Union. Le destin de ces gens-là est vraisemblablement de finir comme Alexis Tsipras.
« Il n’y a jamais d’informations dignes de ce nom sur l’UE dans les médias. On n’explique pas qu’elle est le cheval de Troie du néolibéralisme de par l’euro et le libre-échange consacré par le Marché unique européen. Ces verrous ont « constitutionnalisé » le néolibéralisme et empêchent de mener une autre politique économique. »
Le problème est qu’il n’y a jamais d’informations dignes de ce nom sur l’UE dans les médias. On n’explique pas qu’elle est le cheval de Troie du néolibéralisme de par l’euro et le libre-échange consacré par le Marché unique européen. Ces verrous ont « constitutionnalisé » le néolibéralisme et empêchent de mener une autre politique économique. Quand il y a une libre circulation des marchandises, des capitaux et des personnes et qu’on désire augmenter les impôts sur les grandes entreprises ou imposer des régulations en vue d’une meilleure répartition des richesses, le dumping social et fiscal nous ramène à la réalité. Les plus riches partent délocaliser leur patrimoine et leurs usines dans d’autres pays. Pour se donner les moyens de mener une politique redistributive et keynésienne, il faut rompre avec les règles de l’Union européenne.
Le PS et EELV semblent entretenir un rapport affectif et émotionnel à l’UE. Ils croient en des dogmes (« l’Europe c’est la paix », « Ensemble on est plus forts »). Il faut avoir un rapport rationnel et analytique : est-ce que l’UE nous apporte plus qu’elle nous pénalise ? Pour ça, il faut rentrer dans le détail de ce que sont les règles de l’UE, de ce qu’elles produisent sur l’économie française. Il faut s’interroger : ne serait-on pas mieux si l’on remettait en cause ces règles ? En restant dans ce carcan, le déclin de la France va se poursuivre.
La crise institutionnelle devrait nous inviter à lever les tabous et à aborder les sujets qui fâchent, et en premier lieu celui de l’UE.
VdH : Faut-il aller jusqu’à une sortie de l’euro ?
F. B. : C’est une question délicate. Si j’utilise une métaphore, je compare la sortie de l’UE à une opération chirurgicale. Évidemment, après une opération, on est soigné mais il y a préalablement une période de convalescence pénible à supporter. Mais on en a besoin pour repartir de plus belle. La sortie de l’euro passerait vraisemblablement par une phase douloureuse. Elle ne pourrait se faire que si les gens y sont très majoritairement favorables et s’ils ont compris qu’il y aurait des sacrifices à faire dans un premier temps pour ensuite relancer le pays. Pour impulser ce mouvement, il faudrait avoir des dirigeants qui ont la confiance des citoyens. Or, cette confiance est totalement rompue aujourd’hui. En l’état, le plus grand danger pour la France, ce ne sont pas tant les problèmes immenses auxquels elle doit faire face, mais cette confiance brisée. C’est cela qui nous empêche de surmonter les épreuves.
VdH : Si tous les dirigeants politiques y vont de leur interprétation personnelle sur la signification du vote qui a été exprimé le 7 juillet, personne ne semble avoir pourtant suggéré que l’absence de majorité peut aussi sanctionner l’inadéquation de l’offre politique actuelle avec les aspirations des Français. Quel est votre sentiment sur cette question ?
F. B. : J’ai du mal à avoir un avis sur l’offre politique en tant que telle car les médias sont prédominants dans cette offre en assurant la promotion de certains candidats et en en discréditant d’autres. Le traitement est tellement inéquitable en fonction de tel ou tel parti… Les grands médias n’informent pas. C’est ce qui permet par exemple au RN de se poser en défenseur du pouvoir d’achat alors que si on scrute leur programme, on note bien qu’il n’y a aucune véritable mesure sociale. Ils ne se donnent même pas les moyens de financer leurs rares mesures ! Ils ne diffèrent pas de la politique sociale et fiscale de la macronie. Sur l’essentiel, leur programme économique est similaire. Les médias peuvent ainsi tromper les électeurs car nombreux sont ceux qui pensent qu’en votant pour le RN, ils votent pour un parti de rupture. Ils affirment vouloir que leur vie change et respirer financièrement. Or, rien ne changera avec le RN.
Nous ne nous trouvons pas dans un système neutre, impartial. Les dés sont pipés. Par exemple, nombre d’intellectuels authentiquement de gauche ne sont jamais invités dans les médias. On n’entend jamais, ou si rarement, dans les médias de voix discordantes par rapport au consensus du néolibéralisme, de la théorie du ruissellement, de tous ces principes économiques pro-inégalités et pro-aides aux ultra-riches. Les médias ont donc une influence sur l’offre politique, ne serait-ce qu’avec le niveau d’exposition qu’ils décident de donner. Pendant la campagne des élections européennes, les plus exposés médiatiquement ont été Jordan Bardella et Raphaël Glucksmann… Et ils sont arrivés premier et second. Il y a bien eu une corrélation entre l’exposition médiatique et le vote. En définitive, les médias sont totalement défaillants dans leur mission d’information des citoyens. Cela donne une situation de confusion généralisée où beaucoup de gens votent contre leurs propres intérêts.
VdH : La gauche peut-elle et doit-elle reconquérir les électeurs du RN ? Par quels moyens ?
F. B. : Le principal problème d’une partie de la gauche concernant les électeurs du RN est qu’elle les méprise. C’est ce qu’analyse Todd dans Les Luttes de classes au XXIe siècle : il décrit le mépris de classe en cascade dans la société française. Le mépris d’une certaine gauche contre les électeurs du RN est un mépris de petit bourgeois diplômé contre des prolétaires non diplômés. Fondamentalement, les électeurs du RN le sentent. Ils ne sont pas stupides. Ils voient qu’on ne tente pas de leur parler, de prendre en compte leur situation. C’est une question de discours surtout. Quand on prend le temps d’écouter les électeurs du RN – je ne parle pas des électeurs historiques du sud-est qui votent pour des raisons racistes –, on observe bien ce qui les motive : améliorer leur situation personnelle, leur pouvoir d’achat, leur niveau de sécurité économique. La gauche est la seule qui tente de répondre à ces problématiques. Simplement, pour que les électeurs du RN le comprennent, il faut supprimer le mépris. Je suis plutôt bien placé pour en parler car j’ai participé au mouvement des Gilets jaunes et il y avait beaucoup d’électeurs du RN. Ce mouvement a prouvé que quand on met les gens en action et qu’il y a du respect, le meilleur peut se produire. La justice sociale et fiscale et la démocratie sont clairement ressorties comme les revendications du mouvement. On n’a pas parlé d’islam ou d’immigration. Il est tout à fait possible de convaincre ces gens. Or, cette gauche méprisante commet une double erreur.
« Le mépris d’une certaine gauche contre les électeurs du RN est un mépris de petit bourgeois diplômé contre des prolétaires non diplômés. Fondamentalement, les électeurs du RN le sentent. Ils ne sont pas stupides. Ils voient qu’on ne tente pas de leur parler, de prendre en compte leur situation. »
Premièrement, elle bafoue ses principes. En effet, elle se veut humaniste. Or, quand on est humaniste, on défend le droit au pardon, à la réhabilitation. On cherche à faire ressortir en chaque être humain le meilleur. C’est la conscience que personne n’est parfait, que tout le monde est traversé par des affects négatifs et positifs, mais qu’on peut toujours évoluer. La gauche prône des valeurs qu’elle ne s’applique pas à elle-même. Elle manque d’ailleurs de cohérence. Les Français d’origine immigrée sont victimes de discriminations, notamment raciales, et sont des humiliés de la société. Toutefois, les électeurs du RN sont aussi des humiliés de la société, dont on se moque. Une certaine gauche valide quelque part une confrontation entre la France des tours et celle des bourgs car elle oriente seulement son discours dans la défense des premiers. Et pour que les choses soient bien claires, il ne s’agit pas de séduire les électeurs du RN, de leur dire ce qu’ils veulent entendre. Il s’agit de les convaincre que la solution se trouve du côté de la répartition des richesses. Les milliardaires sont le problème, non les étrangers.
Deuxièmement, la gauche commet une erreur stratégique fondamentale. Si on veut opérer une rupture avec le néolibéralisme, il faudra un soutien massif du peuple. Au moment où un gouvernement de gauche arrivera au pouvoir, toutes les forces du capital se déchaîneront contre lui, par les médias, les institutions (Banque centrale européenne, Commission européenne). Ces forces se mettront en mouvement pour faire échec à ce gouvernement. Il faudra que le peuple soutienne ce dernier. Si la gauche est rejetée par les deux tiers de la population, le combat est presque perdu d’avance…
VdH : Le climat d’instabilité politique instauré par cette dissolution désastreuse et les brevets de “républicanisme” discrétionnairement attribués par le Président de la République lui-même (cf. Sa lettre aux Français du 10 juillet) peuvent-ils conduire à une montée des tensions et, pourquoi pas, à une forme d’insurrection comparable au mouvement des Gilets Jaunes auquel vous avez pris part et dont vous avez été l’un des porte-paroles les plus connus ?
F. B. : Nul n’est prophète. Honnêtement, je faisais partie de ceux qui avaient senti venir le mouvement des Gilets jaunes. J’observais une colère immense qui bouillonnait. Depuis les Gilets jaunes, il y a eu le mouvement de contestation contre la réforme des retraites. Beaucoup d’énergie dépensée, beaucoup d’indignation. La période électorale sépare les gens, les oppose. Chacun choisit son camp. Je ne crois pas trop à la possibilité d’un mouvement type Gilets jaunes actuellement car ce qui faisait sa force, c’est qu’il avait dépassé les clivages partisans. Il y avait une réconciliation véritable dans le pays.
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En revanche, qu’il puisse y avoir des mouvements protestataires, oui. Je mettrais juste en garde sur un point : s’il se produit un blocage institutionnel, il ne faudrait pas donner à Macron, tant qu’il est au pouvoir, des raisons d’utiliser l’article 16 de la Constitution. Je pense que la meilleure stratégie est d’empêcher Macron de former un gouvernement. Il suffirait que le NFP et le RN votent la censure… À mon sens, dans ce cas, le Président devra finir par démissionner car tel est le sens des institutions de la Ve République. Il a été désavoué plusieurs fois, il a fait une dissolution. Il en est responsable. Il doit partir si le pays ne veut plus de lui. S’il y a un blocage institutionnel, je ne vois pas comment il pourrait se maintenir en poste jusqu’à la fin de son mandat. Il vaut mieux obtenir cette situation par la démocratie donc par le vote des motions de censure que par des mouvements de protestation… Je préviens seulement ceux qui seraient tentés d’agir avec violence avant un départ de Macron… Cela pourrait légitimer un recours à l’article 16. Il faut s’attendre à tout de la part de cet individu.
VdH : L’ingouvernabilité de l’Assemblée semble actée. Nous nous trouvons face à trois blocs, dont le bloc macroniste. En effet, ces Européennes et législatives n’ont pas signé l’extinction de la macronie, même si elles se révèlent de véritables punitions. Comment envisagez-vous l’avenir du macronisme ? Ce dernier peut-il survivre à Emmanuel Macron, en dépit de son échec ?
F. B. : La macronie a quand même perdu 80 députés, c’est le seul camp à en avoir perdu. Elle est morte selon moi. Mais le bloc central n’est-il pas déjà éteint lui aussi, au-delà de Macron ? J’ai tendance à croire qu’il est en état de mort cérébrale. Il gouverne depuis quarante ans, d’abord avec la fausse alternance PS/RPR-UMP-LR et désormais avec le macronisme. Or, ce bloc central a échoué sur tout, y compris l’économie. Il suscite le mécontentement des deux tiers de la population. De plus, il se maintient à un niveau correct grâce au front républicain qui a permis de limiter la casse et car son électorat est âgé. Mais aucun jeune n’est convaincu par ce bloc central. Il est démographiquement voué à décliner et disparaître, au même titre que LR a quasiment disparu et que le PS avait presque subi le même sort avant l’alliance à gauche. Peut-être qu’une prochaine élection, donnera à ce bloc central l’occasion d’un sursaut, mais il sera éphémère. L’avenir politique du pays va se jouer entre d’un côté une force identitaire et réactionnaire et de l’autre une force égalitaire et émancipatrice.
VdH : Peut-on sortir de l’impasse actuelle dans le cadre des institutions de la Ve République ? Comme en 1958, une crise de régime allant jusqu’à un bouleversement institutionnel profond pourrait-elle être l’issue probable ou souhaitable ?
F. B. : Je ne pense pas que la crise du régime soit le résultat des institutions de la Ve République. Elle est le fruit d’une élite qui, depuis des décennies, a décidé de gouverner contre le peuple. Il faut vraiment comprendre que les médias – j’insiste là-dessus – tordent dans tous les sens le processus démocratique. Ils vicient la démocratie. Les institutions en soi ne sont pas en cause. La preuve : la IVe République était un régime parlementaire et elle a aussi connu une crise de régime. Aucune constitution n’est parfaite. C’est un texte qu’un peuple se donne, qui fonctionne pour une période donnée. Il se trouve que, très souvent dans l’Histoire, il y a une petite minorité qui, au bout d’un moment, s’accapare tellement de pouvoir, qu’elle se sert de la Constitution à son avantage. Voilà ce qui entraîne une crise de régime.
« Je ne pense pas que la crise du régime soit le résultat des institutions de la Ve République. Elle est le fruit d’une élite qui, depuis des décennies, a décidé de gouverner contre le peuple. Il faut vraiment comprendre que les médias – j’insiste là-dessus – tordent dans tous les sens le processus démocratique. Ils vicient la démocratie. »
Peu importe ce qui est écrit dans la Constitution. La souveraineté du peuple est proportionnelle à son niveau de conscience politique. Plus un citoyen est éclairé, conscient de ce qui se passe et développe une analyse lucide du pouvoir, plus il aura du pouvoir. Car moins il est manipulé. Maintenant, on peut réfléchir soit aux moyens d’apporter des modifications à la Ve République soit d’adopter une VIe République. Mais il faut aller au-delà des slogans… Ce sont les mécanismes de fonctionnement des institutions qui comptent ! On peut s’interroger sur toutes sortes de dispositifs pouvant rapprocher la démocratie des citoyens, comme le référendum d’initiative citoyenne (RIC), une possible réforme des modes d’élections… Pourquoi ne pas envisager un Sénat composé de citoyens tirés au sort ?
VdH : Vous évoquiez le tirage au sort… Il me semble néanmoins qu’une telle idée implique un haut niveau d’instruction et d’éducation politiques. Sans résolution de la question sociale et sans amélioration massive des conditions de vie, cela semble impossible…
F. B. : C’est tout à fait ça. Mais c’est l’œuf et la poule. On a des institutions qui tiennent les citoyens très éloignés de la politique car on les fait voter de temps en temps pour désigner leurs représentants et ces derniers font ce qu’ils veulent. Cela n’incite pas les citoyens à se mêler véritablement de politique. Bien sûr, si nous avions des institutions qui leur donnaient beaucoup plus de pouvoirs, par les quelques dispositifs que j’ai mentionnés à titre d’exemples, les citoyens se sentiraient plus impliqués.
Je suis toujours prudent sur ces questions-là car je me méfie des solutions miracles dans tous les cas. Ce qui compte avant tout, c’est ce que les gens ont dans la tête. Cette émancipation se fait par l’éducation et l’information. Il faut donc repenser l’école, s’assurer de moyens de régulation des médias pour qu’ils soient réellement libres. La réflexion doit dépasser la Constitution. Elle doit toucher toutes les institutions.
C’est pourquoi les partis politiques devraient, à mon sens, exposer précisément quelles modifications institutionnelles ils compteraient entreprendre. Par exemple, promettre l’instauration du RIC n’est pas suffisant. Comment ce RIC fonctionnerait-il, sous quelles conditions ? Il faut aller dans le détail. La même exigence se poserait pour un passage à la VIème République. Comment fonctionnerait ce nouveau régime ?
Si le blocage institutionnel perdure, ce que je crois, il y a fort à parier que ce sujet devienne central dans le débat. Les partis politiques devront donc se positionner bien plus clairement qu’ils ne l’ont fait jusqu’à présent lors des prochaines échéances électorales. Il est en tout cas impératif d’élever le niveau de conscience politique dans la société. Là est notre salut.






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