Le paysage politique français, chahuté de part et d’autre, est en train d’être redessiné singulièrement par trois forces en présence (NFP, bloc centriste et extrême droite). La Ve République se trouve désormais à un tournant : trouver un équilibre parlementaire, sombrer dans l’ingouvernabilité ou basculer dans l’illibéralisme. Tel est l’objet du dernier essai du constitutionnaliste Benjamin Morel, Le nouveau régime ou l’impossible parlementarisme (Passés composés), décrypté par le journaliste Philippe Foussier.


Notre vie politique et la pratique institutionnelle qui l’accompagne ont connu de fortes transformations depuis quelques années. Après quelques décennies de relative stabilité, des paramètres nouveaux surgissent qui nécessitent de repenser nos schémas habituels. C’est à cette entreprise que Benjamin Morel nous convie. Il le fait d’une manière revigorante en nous proposant de réfléchir par nous-mêmes plutôt que de réciter des grilles de lecture pour la plupart caduques. En soulignant qu’il existe une distance entre les textes et la pratique, l’auteur observe qu’un « changement profond de régime peut survenir sans qu’il soit nécessaire de modifier une seule virgule de la Constitution ».

Benjamin Morel bouscule à juste titre les idées reçues qui sont assénées de façon d’autant plus péremptoire qu’elles ne correspondent plus à la réalité politique telle qu’elle prévalait à la fin des années 1950 : « Les constitutionnalistes font du droit ; les politiques de la politique. Aucun n’est formé au spiritisme. Il n’existe pas ‘d’esprit des institutions’ qui en sous-tendrait le sens de manière transcendante. » L’auteur rappelle en outre que le rôle du Conseil constitutionnel a profondément évolué depuis l’élaboration de la Constitution et ce dès 1971, un an après la mort du Général de Gaulle. Que la Constitution elle-même a été modifiée 25 fois depuis 1958 et que la réforme Sarkozy de 2008 a retouché la moitié de ses articles…

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Un des autres dogmes véhiculés par la doxa prétend qu’une certaine culture politique assignerait les Français à des comportements invariables : « Tous les peuples européens seraient ouverts au compromis ; gouvernables, raisonnables. Tous sauf le peuple français, qui serait composé soit d’enfants, soit d’idiots. Heureusement, un chef fort serait là pour réprimer leurs pulsions adolescentes », ironise l’auteur. Benjamin Morel tord aussi le cou à l’assertion selon laquelle après chaque élection présidentielle les Français s’emploient à donner une majorité au locataire de l’Elysée : « Ce lieu commun, prononcé d’un air profond, suffit à résumer la sociologie électorale du café du commerce post-présidentiel. » Démonstrations à l’appui, l’auteur observe que c’est la démobilisation du camp perdant à la présidentielle qui donne mécaniquement un poids accru aux partisans du vainqueur et lui assure – souvent – une assise confortable au sein de la chambre basse.

« Benjamin Morel tord aussi le cou à l’assertion selon laquelle après chaque élection présidentielle les Français s’emploient à donner une majorité au locataire de l’Elysée. »

Toujours dans la même veine décapante, Benjamin Morel explique que le quinquennat n’a pas véritablement altéré les données institutionnelles préexistantes. En revanche, la loi organique adoptée dans la foulée et inversant le calendrier électoral a « vidé les élections législatives de leur substance » et renforçant la prééminence de l’exécutif. « En 2017, lorsque l’élection présidentielle leur échappa, le PS et la droite furent confrontés à la logique implacable d’une machine qu’ils avaient eux-mêmes instaurée », remarque l’auteur. Il complète à propos de ces forces politiques qui, pour avoir remporté les dernières élections locales, ont néanmoins obtenu à travers leurs candidats 1,75% et 4,78% à la dernière présidentielle : « Jamais les champs politiques nationaux et locaux n’ont été aussi étanches.»

Impuissance du politique

Le constitutionnaliste invite aussi à prendre en compte les données politiques au-delà de nos frontières, notant que le mouvement « va vers une tripolarisation des opinions publiques dans l’ensemble du monde occidental », sachant qu’en France « on assiste à une porosité de plus en plus grande entre l’électorat de droite et celui du RN ». L’auteur s’attaque ensuite aux outils de la mécanique électorale en observant que « dire que l’on est pour ou contre un mode de scrutin, dans l’abstrait, n’a pas de sens. C’est faire d’un instrument technique un principe quasi-religieux ». Puis il fait un sort à un autre mantra : « Les Français n’aiment peut-être guère les partis, mais ils n’ont jamais autant voté pour des étiquettes. Il suffit pour s’en convaincre de voir l’élection des députés marcheurs en 2017 et celle des députés RN en 2024 ».

Philippe Foussier

Benjamin Morel suggère quelques pistes pour s’adapter au nouveau contexte politique et pour remédier aux carences du système, notamment en donnant plus de moyens au Parlement, par exemple sur le plan de l’expertise, donc à travers des ressources accrues. Il remarque que contrairement à une antienne souvent martelée, le Parlement français n’est pas lent ; bien au contraire, ses procédures d’examen des lois sont plus rapides que dans la plupart des autres pays. En revanche, on ne compte plus les lois votées mais sans effet dans la réalité faute de décrets d’application… Pour l’auteur donc, « l’accroissement du rôle du gouvernement et un rôle accru du Parlement vont de pair. La reparlementarisation du régime implique un gouvernement émancipé du président, dont le véritable maître serait une coalition chargée de contrôler la mise en œuvre et le respect de l’accord passé ».

« Aucune démocratie occidentale ne va aujourd’hui bien. Si tous nos régimes sont en crise, c’est aussi parce que s’est développé le sentiment d’une impuissance du politique. » Benjamin Morel

Cependant, les mécanismes institutionnels ne répondront pas à l’ensemble des menaces qui planent sur nos têtes. « Aucune démocratie occidentale ne va aujourd’hui bien. Si tous nos régimes sont en crise, c’est aussi parce que s’est développé le sentiment d’une impuissance du politique. Si le politique ne peut agir sur le réel, trois attitudes rationnelles émergent. La première est de renoncer au politique et de se réfugier dans l’abstention. La deuxième consiste à agir au plus près, dans un espace social maitrisable et se replier sur sa communauté ; cela engendre le communautarisme ou le localisme. Enfin, la troisième option est de rompre avec un système perçu comme étouffant l’action politique, en se tournant vers une personnalité forte », énumère Benjamin Morel.

Les responsables politiques portent parfois eux-mêmes la responsabilité des errements qu’ils dénoncent dans leurs discours. Ainsi, « depuis les années 1970, on observe une tendance à procéduraliser le processus normatif ; des autorités administratives indépendantes aux comités consultatifs, jusqu’aux décisions rendues par les tribunaux. Cette complexification vise à diluer la dimension politique de l’origine des décisions ». Dans un registre voisin, la démonstration que Benjamin Morel livre sur le statut de la Corse est particulièrement éclairante et témoigne de l’inconséquence et de la légèreté du pouvoir exécutif sur ce dossier. On sera d’autant plus édifiés pour affronter le propos de conclusion de l’auteur : « La démocratie repose sur deux paris ; celui de l’intelligence des citoyens et celui de la responsabilité du personnel politique. Alors, parions. »


Réf. : Benjamin Morel, Le nouveau régime ou l’impossible parlementarisme, Passés composés, 2025, 144 pages, 16 €.


Philippe Foussier est ancien Grand Maître du Grand Orient de France et vice-Président d’Unité laïque. Sa prise de position n’engage en rien ces structures.

Une réponse à « « Le nouveau régime ou l’impossible parlementarisme » de Benjamin Morel »

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    blog102102sdf102

    quaint! 9Alexis Troude : « On pourrait assister à une transition douce après 10 années de partitocrature » en Serbie

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