Éditorial de juillet 2020
Le scrutin concernait une puissance moyenne de la scène européenne et un fauteuil auquel sont rattachées des fonctions pour l’essentiel protocolaires. Pourtant la présidentielle polonaise des 28 juin et 12 juillet 2020 a passionné une partie de la presse française, qui y a vu la traduction aux couleurs locales de l’affrontement schématique des populistes et des progressistes, si chère à Emmanuel Macron. Jusqu’au bout, la victoire du maire de Varsovie, Rafał Trzaskowski (centre-droit) a été espérée pour mettre en échec le président sortant, l’ultra-conservateur Andrzej Duda. Une fois les résultats proclamés, il était de bonne guerre de rappeler que Duda l’avait emporté de justesse (51,03 % contre 48,97 %) et n’avait pas vraiment gagné puisque son rival, arrivé en tête dans une majorité de régions, s’était octroyé en outre le vote de la diaspora polonaise et celui des plus diplômés.
Dans le sillage de nos médias, les militants 2.0 ont cru bon de participer à un combat politique par procuration, comme si la Pologne préfigurait l’élection présidentielle 2022 en France. Cela a souvent conduit, hélas, à préférer la synthèse caricaturale à l’analyse de fond. Dans les rédactions ou sur les réseaux sociaux, les libéraux ont blâmé comme il se doit l’étroitesse d’esprit des Polonais, vitupéré contre l’illégitimité du chef d’État réélu, pensé comptées les heures de la démocratie dans le pays et l’appartenance de ce dernier à l’Union européenne. De son côté, la « patriosphère », comme elle aime se désigner, a loué la résilience populaire face à l’idéologie mortifère du gauchiste Trzaskowski, financé par l’étranger, et a voulu voir une prémonition dans cette nouvelle venue d’Europe centrale. Dans les deux cas, on recherche désespérément les contours d’une réalité au milieu du brouillard des fantasmes.
La réélection d’Andrzej Duda intervient au terme d’un scrutin dont le taux de participation (68,18 %) est le plus élevé depuis la présidentielle 1995, dont il effleure le record (68,23 %). Il confirme, après le foisonnement partisan des législatives de 2019, la vitalité de la démocratie polonaise loin d’avoir été asséchée par un pouvoir qui étend son influence, c’est un fait, sur la justice, les médias et le reste de la société civile. Par ailleurs, le nationalisme identitaire du parti majoritaire Droit et Justice, dont est issu Duda, n’aborde qu’indirectement la question de la souveraineté. Tacticiennes et déclamatoires, les diatribes anti-européennes de la droite polonaise sont surtout destinées à garder la tête haute face aux menaces de sanctions de Bruxelles contre Varsovie, en raison d’une réforme judiciaire qui passe mal, mais ne traduisent pas une volonté sérieuse de rupture. Le parallèle entre Brexit et réélection de Duda est absurde et les cris d’alarme des partisans de Trzaskowski apparaissent, sur ce terrain, parfaitement surjoués.
Dans le camp adverse, la victoire à l’arrachée de Duda et la perte de leur majorité absolue au Sénat, l’automne dernier, invitent les conservateurs polonais – comme les observateurs étrangers s’identifiant à eux – à ne pas pavoiser. Même si Droit et Justice est parvenu à se maintenir au pouvoir (après l’échec de l’expérience des années 2005-2010), la « révolution conservatrice » voulue par Jarosław Kaczynski ne s’enracine pas aussi facilement que son instigateur l’avait imaginé. Le soutien à cette politique s’érode à l’est du pays malgré des mesures sociales bien accueillies. La radicalité de la droite apparaît en décalage avec les préoccupations des nouvelles générations, celles-là mêmes qui s’expatrient et dont les compétences finissent par manquer au pays. L’instrumentalisation de la question des minorités sexuelles par le pouvoir en place, dont les conséquences sont désastreuses pour les personnes LGBT, est la marque la plus saillante du déphasage qui, tôt ou tard, entraînera la déroute des conservateurs.
Aussi sympathique et élégant soit Rafał Trzaskowski, candidat de la Plateforme civique, le parti de l’ancien Premier ministre et ex-président du Conseil européen Donald Tusk, sa défaite n’est pas non plus le fait du hasard. Pro-européen, porteur des espoirs de la bourgeoisie urbaine et des expatriés, poulain de la presse internationale, il incarne lui-même un monde que la succession des crises a rendu obsolète. Non celui qui prie la Sainte-Vierge, mais celui qui loue le Saint-Marché. Pas le credo de la Pologne aux Polonais, mais celui de l’atomisation des sociétés post-nationales. Aussi, l’élection de dimanche n’était-elle pas la projection du rapport de force qui structurera durablement le futur politique de l’Occident. Elle est au contraire la photographie de deux idéologies en déshérence, bien incapables désormais de parvenir à l’hégémonie.