Pologne : les leçons d’une élection

Sejm Pologne

Sans surprise, la majorité conservatrice sortante, dominée par le parti Droit et Justice (PiS), a remporté les élections parlementaires du 13 octobre dernier avec 43,6 % des voix, s’assurant quatre années supplémentaires au pouvoir. Les résultats du scrutin montrent par ailleurs le dynamisme politique dans lequel s’inscrit le pays.

Quand on évoque la situation en Pologne, difficile d’échapper à la grille de lecture à la française qui structure – en les simplifiant à l’extrême – les analyses politiques. Les élections parlementaires de dimanche dernier peuvent conforter les tenants du choc manichéen entre populistes et progressistes. Les premiers, après avoir mis au pas la justice, réduit la liberté des médias et acquis le soutien de l’Église auraient donc remporté la majorité à la diète pour la deuxième fois consécutive en prospérant sur des discours xénophobes et homophobes. Les seconds auraient, quant à eux, bien résisté à la vague nationaliste au point d’empêcher le PiS d’obtenir la majorité absolue dans la seconde chambre, le sénat. Le fossé sociologique entre les grandes villes et les périphéries trouve une traduction politique : celles-là sont acquises aux libéraux, celles-ci à une droite radicale. Pour ne rien arranger, les chalengeurs de la Coalition civique (érigée autour du parti de l’ancien premier ministre aujourd’hui président du Conseil européen Donald Tusk) séduisent l’électorat cultivé et aisé quand les ultraconservateurs attirent aux urnes les moins instruits et les précaires. Toute ressemblance avec la sociologie électorale française ne serait pas pure coïncidence mais validerait au contraire la thèse d’Emmanuel Macron, celle d’un nouveau clivage qui traverserait toute l’Europe. Évidemment, tout n’est pas si simple…

« À la différence du camp orbaniste en Hongrie, le PiS cultive le sentiment antirusse et trouve dans la coopération européenne la garantie de l’indépendance du pays »

Révolution culturelle

L’avènement au pouvoir triomphal du PiS en 2015, année de coïncidence des élections présidentielle et législatives, n’était pas la victoire d’un parti extrémiste ou d’un rassemblement d’amateurs et de novices, ni la percée d’un mouvement anti-système et attrape-tout. Ayant déjà éprouvé la réalité du gouvernement du pays entre 2005 et 2007, le PiS représente une droite conservatrice à dimension identitaire, attachée aux valeurs traditionnelles du pays, en particulier à son héritage chrétien. Si ces caractéristiques apparaîtront sans doute comme des signes de radicalité aux yeux d’un électeur français, elles sont la marque, en Pologne, de la droite de gouvernement, à distinguer des groupuscules nationalistes et violents, tel le néo-fasciste Mouvement national (Ruch narodowy, RN). Lors des élections du 13 octobre, le RN s’est d’ailleurs lancé dans la bataille électorale en intégrant la coalition Confédération, menée par Janusz Mikke-Korwin, provocateur d’extrême droite et ancien député européen. Le bras de fer engagé par les institutions européennes contre le gouvernement PiS ces dernières années à propos des réformes judiciaires – affaiblissement du Tribunal constitutionnel, mise à la retraite de juges ayant exercé leurs fonctions sous l’ancien régime socialiste – pas davantage que l’hostilité de la Pologne à la politique migratoire européenne ne font du PiS un parti « eurosceptique » ou « europhobe », ni même souverainiste. À la différence du camp orbaniste en Hongrie, le PiS cultive le sentiment antirusse et trouve dans la coopération européenne la garantie de l’indépendance du pays.

Les réformes controversées menées depuis 2015, qu’elles touchent le système judiciaire, la presse audiovisuelle ou même les droits des femmes (tentatives vaines de réduire encore l’accès à l’avortement) visent avant tout à remettre en cause l’idéologie dominante des élites polonaises depuis la transition démocratique. Jarosław Kaczyński, l’idéologue-stratège qui préside aux destinées du PiS et tient, dans les coulisses, les rênes du pays, considère que les hommes forts de la transition ont engagé la Pologne sur les chemins de la mondialisation économique, du libertarisme et du cosmopolitisme plutôt que de construire un modèle national conforme à l’histoire du pays, à ses coutumes et aux besoins propres de la population. Son projet est d’extraire le libéralisme des structures de l’État pour y substituer un conservatisme d’inspiration religieuse.

Jaroslaw Kaczynski
Jaroslaw Kaczynski

Mais une démocratie illibérale reste avant tout une démocratie. Les dernières élections parlementaires n’ont pas laminé l’opposition, qui s’est au contraire restructurée. La Plateforme civique (PO) de Grzegorz Schetyna termine certes seize points derrière la coalition Droite unie avec 27,40 % de suffrages et perd 32 députés à la diète, mais elle rivalise avec le PiS au sénat (43 élus contre 48) grâce à une entente électorale avec les autres formations d’opposition. Très active dans les mobilisations de rue et dans la sensibilisation de l’opinion européenne contre les projets les plus clivants du gouvernement conservateur, la PO maintient une base électorale solide. Elle n’est cependant plus la seule véritable force d’opposition. À sa droite, son ancien allié le Parti Paysan Polonais (PSL) a créé sa propre coalition et échappé à la déroute (8,55 % des voix : 30 députés, 3 sénateurs).  À sa gauche, surtout, quelques 49 députés et 2 sénateurs siègeront pour le compte de l’Alliance de la gauche démocratique (SLD), écartée du Parlement en 2015 après une cuisante défaite. À l’intérieur de ces coalitions, s’expriment divers courants d’opinion répondant aux préoccupations de l’ensemble de la société moderne et qui pourraient durablement s’implanter : écologisme, gauche pro-minorités, régionalisme, anti-système, progressisme, populisme de gauche. Le chiffre de la participation constitue une autre bonne nouvelle. Pour la première fois depuis 1991, la barre des 60 % de votants (61,16 %) est franchie à l’occasion de législatives. Lors des élections européennes du printemps dernier, 45 % des Polonais s’étaient déjà déplacés pour voter, loin, très loin des quelques 21 % de 2004, des 25 % de 2009 ou des 24 % de 2014.

« Les Polonais sont en pleine repolitisation, ce que traduit aussi bien la création de nouveaux partis que le recul de l’abstentionnisme »

Après quatre années au pouvoir, la droite conservatrice n’a pas étouffé la démocratie ni phagocyté la citoyenneté. Au contraire, les Polonais sont en pleine repolitisation, ce que traduit aussi bien la création de nouveaux partis que le recul de l’abstentionnisme. Un autre signe de maturité démocratique est perceptible dans la reconduction de la majorité sortante le week-end dernier. Sans avoir entrepris de campagne d’envergure, c’est-à-dire sans avoir ressortie la machine à grands discours et à promesses électorales, le PiS a pu s’imposer en profitant de son bilan économique et social.

Un conservatisme… social

La bonne santé économique de la Pologne peut être mesurée à l’aune de son taux de croissance : 4,8 % en 2018, 5,1 % en 2019… Porté par les investissements étrangers, ce PIB vigoureux depuis le début des années 2000 ne doit pas tout à la politique du gouvernement actuel. Mais Jarosław Kaczyński et les deux premiers ministres qui se sont succédé depuis 2015, Beata Szydło et Mateusz Morawiecki, ont analysé l’échec des libéraux après huit années au pouvoir (2007-2015). Le bilan économique flatteur des gouvernements PO n’avait pas été accompagné d’une politique de redistribution dans un pays où la précarité des ménages et la tentation de l’émigration sont des problématiques majeures. Le PiS a construit son succès dès 2015 sur la promesse de reconstitution de l’État-providence, un projet qui peut apparaître paradoxal pour un parti viscéralement anti-communiste et allergique en général aux idées de gauche…

Pourtant, les annonces ont été suivies d’effets. Depuis 2015, la droite conservatrice, à contre-courant des gouvernements libéraux européens, a abaissé l’âge de départ à la retraite (65 ans pour les hommes, 60 pour les femmes) et fait voter le principe d’interdiction du travail dominical. Elle a mis en place le programme d’allocation Rodzina 500+ censé relancer la natalité et combattre la précarité par le versement d’un supplément mensuel de 500 zlotys par enfant pour les familles de deux enfants et plus. Elle a instauré un salaire minimum horaire de 13 zlotys. Sous la pression des parents d’enfants handicapés, elle a augmenté le montant des pensions mensuelles d’invalidité. Récemment, les jeunes actifs de moins de 26 ans ont bénéficié d’une exonération de l’impôt sur le revenu. Une mesure ouvertement destinée à lutter contre le phénomène d’émigration.

« La Pologne poursuit ainsi l’expérimentation d’une sorte de contre-modèle : une économie de marché tempérée par un État social et anti-libéral. L’attelage est complexe et critiquable, d’abord parce que sa rigidité morale se heurtera tôt ou tard à la force des revendications sociétales »

La politique sociale menée par le PiS lui assure le soutien des classes populaires tandis que ses prises de positions sociétales ultra-conservatrices (droits reproductifs, droits des minorités sexuelles) lui garantissent la fidélité de l’électorat catholique traditionaliste. La législature qui s’ouvre permettra, d’une part, de savoir si ce positionnement est électoralement tenable sur le long-terme et, d’autre part, d’évaluer les conséquences économiques et budgétaires de la politique sociale généreuse.

La Pologne poursuit ainsi l’expérimentation d’une sorte de contre-modèle : une économie de marché tempérée par un État social et anti-libéral. L’attelage est complexe et critiquable, d’abord parce que sa rigidité morale se heurtera tôt ou tard à la force des revendications sociétales. Pour l’heure, la solidité doctrinale qui le sous-tend, aussi exotique qu’elle puisse paraître depuis la France, ne saurait se réduire à l’agitation discursive que les progressistes appellent superficiellement « populisme ».

Auteur : Pierre-Henri Paulet

Contributeur et éditorialiste de 'Voix de l'Hexagone'. Rédacteur en chef de la revue 'Cité'.

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