
Fin avril, quelques centaines de militants de l’ONR (Obóz Narodowy-Radykalny) ont défilé au centre de Varsovie. Cette démonstration de force a atteint son but : interroger et inquiéter, jusqu’à être relayée dans les médias internationaux. Que représente et que pèse réellement l’ONR ?

L’ONR – littéralement le « Camp national-radical » – n’est pas un nouveau venu dans l’actualité polonaise. Ce mouvement est apparu en 1993 dans un contexte de foisonnement des formations politiques de toutes obédiences : celui de l’avènement de la démocratie libérale. L’intention de ses fondateurs était de resusciter un vieux parti qui avait connu une courte existence de 1934 à 1944, en lui empruntant et le nom et l’emblème, un bras armé d’une épée. L’ancien ONR avait été constitué par un groupe de dissidents détachés du grand mouvement Endecja (Parti national-démocrate) de Roman Dmowski, figure nationaliste antigermanique, néoslave et anticommuniste. Depuis cinq ans, l’ONR est enregistré comme association à but non lucratif, non comme parti. Ce choix ne signifie pas le renoncement à un combat politique qui impliquerait le souhait de conquête du pouvoir. L’ONR se concentre théoriquement sur des activités purement associatives qui lui permettent d’approcher la société civile.
Une organisation ultra-nationaliste groupusculaire
Se retrouvent dans l’ADN de l’ONR les marques habituelles des différents courants nationalistes : la foi, la sacralisation de la Nation et la protection de son identité, le soutien à la famille, le respect du corps militaire et de la justice, la soumission de l’économie au service du pays. Cette trame programmatique est mise en avant sur le site internet de l’association[1]. Il faut y ajouter un anticommunisme toujours très prégnant et un rejet de la démocratie libérale. L’ONR s’est donné les moyens de diffuser son idéologie. Outre sa participation à des manifestations, l’association gère diverses publications, organise des séminaires pour former ses cadres et militants, cultive des liens avec d’autres mouvements nationalistes et participe à des œuvres caritatives. L’ONR est en outre à l’origine du site internet de « réinformation » Kierunki.info. Ses militants reprennent les codes des groupes fascistes européens – salut romain compris – mais jurent s’inscrire seulement dans l’histoire nationaliste polonaise dont plusieurs héros furent résistants, déportés, parfois même sauveurs de Juifs persécutés[2]. Caution morale qui ne parvient guère à faire oublier que l’ONR prône un nationalisme exclusif et que ses membres font surtout parler d’eux pour des attaques régulières contre des étrangers ou des homosexuels…
« L’ONR s’est donné les moyens de diffuser son idéologie. L’association gère diverses publications, organise des séminaires, cultive des liens avec d’autres mouvements nationalistes et participe à des œuvres caritatives. »
La marche organisée à Varsovie le 29 avril 2017 s’est voulue une démonstration de force. Pour la première fois, le Camp avait choisi le centre-ville de la capitale polonaise (l’allée royale, allant de la statue de Roman Dmowski à la colonne Sigismond) pour célébrer les soixante-treize ans de la création de l’ONR originel. L’an dernier, la réunion s’était tenue plus discrètement à Białystok. Orchestrée tel un défilé militaire (alignement ordonné, étendards, marche cadencée), cette manifestation devait devenir un symbole et elle y est parvenue. Les réactions ne se sont pas fait attendre : le maire de Varsovie Hanna Gronkiewicz-Waltz (PO) a suggéré au ministre de la Justice l’interdiction de l’ONR[3] et la presse étrangère a commenté l’événement comme révélateur de la montée du néo-fasciste en Pologne. Les images filmées par les organisateurs ou par les journalistes invitent néanmoins à relativiser l’ampleur du phénomène : il ne s’agissait en rien d’un rassemblement massif. Quelques centaines de personnes seulement, venues des quatre coins du pays, se sont retrouvées sous les couleurs du Camp… L’ONR est-il la face émergée de l’iceberg ou l’arbre qui cache la forêt ? La poussée de l’ultranationalisme polonais apparaît de plus en plus évidente.
La recrudescence de l’ultra-nationaliste
Ce n’était pas la première fois, tant s’en faut, que les « troupes » de l’ONR défilaient dans les rues de Varsovie. Le mouvement est coutumier de la manifestation annuelle des nationalistes qui se déroule chaque 11 novembre et rassemble plusieurs dizaines de milliers de personnes[4]. En 2012 déjà, le parti de gauche SLD (Sojusz Lewicy Demokratycznej) avait proposé la mise au ban de l’ONR. La Constitution de la République de Pologne de 1997 interdit il est vrai dans son article 13 les partis et organisations aux méthodes totalitaires ou fascistes[5]. Le nombre exact de leurs adhérents n’est pas connu mais l’influence de l’ONR et des autres groupes nationalistes, notamment sur la jeunesse, devient aujourd’hui un sujet de préoccupation. Une partie des médias d’opposition et des organismes de protection des droits de l’homme estiment que des changements négatifs sont en cours depuis le retour au pouvoir du parti de la droite conservatrice PiS en octobre 2015. Le gouvernement mené par Beata Szydło est accusé a minima de complaisance à l’égard des violences et de la propagande nationaliste, sinon de complicité avec les groupuscules d’extrême-droite. Les actes perpétrés par ces derniers (agressions à caractère raciste) seraient en recrudescence au point d’atteindre un niveau inédit depuis 1989, selon l’ONG Nigdy Więcej (« Plus Jamais »)[6]. Bien que ce phénomène ne se répercute pas réellement sur les statistiques de la Police, le Défenseur des Droits Adam Bodnar assure que les signalements d’agressions verbales ou physiques à caractère discriminatoire se multiplient depuis deux ans[7].

En avril 2016 le gouvernement a décidé de supprimer le Conseil pour la lutte contre le racisme et les discriminations. Autre preuve que l’affaissement des digues entre les conservateurs au pouvoir et l’extrême droite est désormais assumé, des élus locaux du PiS et l’exécutif lui-même n’ont pas fermé la porte à l’ONR qui, fort de sa structure paramilitaire, s’était dit intéressé par un projet de garde territoriale…[8] Loin d’être ostracisé, l’ONR a également coorganisé avec des prêtres catholiques proches des idées nationalistes certains événements locaux. La multiplication des discours xénophobes est d’autant plus aisée que le gouvernement a délibérément choisi de déployer une rhétorique très hostile à l’immigration, alors même que la Pologne n’est pas située sur la route des migrants, à l’inverse de la Hongrie.
L’ONR est aujourd’hui l’un des principaux mouvements nationalistes du pays. Il est pourtant loin d’être le seul, et l’essaimage des groupuscules ne signifie pas leur affaiblissement sous l’effet de la division. Des liens existent, au-delà des affiliations idéologiques. Le NOP (Narodowe Odrodzenie Polski – « Renaissance nationale de la Pologne ») mène par exemple des activités militantes dans le cadre institutionnel d’un parti politique et se réclame lui-aussi de l’héritage de l’ONR d’avant-guerre, tout comme l’important RN (Ruch nachodowy – « Mouvement national ») qui a pour figure de proue le jeune député Robert Winnicki (32 ans). À travers le RN, les nationalistes ont bâti une stratégie de conquête du pouvoir à moyen terme. La rencontre régulière de ces entités, auxquelles s’ajoute encore la MW (Młodzież Wszechpolska, « La jeunesse toute-polonaise »), qu’elle soit informelle ou circonstancielle, favorise le développement d’un réseau de plus en plus dense. La culture nationaliste touche singulièrement la jeune génération déçue de la construction européenne, à telle enseigne que les moins de trente ans représenteraient les trois quarts de la base militante d’un parti comme le RN[9].
La société polonaise connaît bien aujourd’hui une nouvelle vague de conservatisme dur dont les conséquences politiques à l’échelle du pays sont multiples : élimination des partis de gauche des deux chambres du Parlement, élection d’une quarantaine de députés pour l’alliance populiste Kukiz’15, persistance d’une côte de popularité de la droite PiS largement supérieure à celle du centre-droit PO, essor auprès de la jeunesse des mouvements et partis politiques s’inscrivant dans la tradition du phalangisme ou du fascisme. Cette tendance est indissociable du retournement idéologique que connait aujourd’hui l’Europe centrale et orientale, plus d’un quart de siècle après la chute du communisme. Nul ne peut en prédire l’évolution, au cœur d’un système institutionnel européen incapable d’apporter une réponse aux atteintes déjà constatées aux libertés publiques.
Notes :
[1] Voir la section « Deklaracja ideowa » sur onr.com.pl.
[2] Lire par exemple l’interview en 2010 d’un leader régional de l’ONR : « Patrioci czy neofaszyści? Cała prawda o Obozie Narodowo-Radykalnym Podhale », podhale24.pl, 19 avril 2010.
[3] « Gronkiewicz-Waltz chce delegalizacji ONR », warszawa.onet.pl, 5 mai 2017.
[4] Date anniversaire de l’armistice de la Première guerre mondiale, qui a permis la renaissance d’un État polonais indépendant après 125 ans de partages territoriaux.
[5] Article 13 (Titre Ier) de la Constitution du 2 avril 1997 : « Sont interdits les partis politiques et organisations qui ont recours dans leurs programmes aux méthodes et pratiques totalitaires du nazisme, du fascisme et du communisme, ainsi que ceux dont le programme ou les activités admettent ou autorisent la manifestation de la haine raciale ou ethnique, le recours à la violence en vue de s’emparer du pouvoir ou d’exercer une influence sur la politique nationale ou encore prévoient des structures ou une participation secrète. »
[6] Clara Weiss, « Polish government stengthens the far right », World Socialist Web Site, 21 septembre 2016.
[7] Voir le long reportage consacré par Vice à la montée de la xénophobie en Pologne : Time Hume, « Poland’s populist government let far-right extremism explode into the mainstream », news.vice.com, 9 mai 2017.
[8] Waldemar Kowalski, « ONR chce dołączyć do obrony terytorialnej. PiS nie widzi problemu. ‘‘Kwestie światopoglądowe nie są kryterium’’ », natemat.pl, 22 avril 2016.
[9] Time Hume, préc.
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