
[Chronique électorale – II] La rentrée politique bat son plein, et à sept mois tout juste des prochaines échéances électorales, Gabriel Bernardon dresse un état des lieux pessimiste des candidatures annoncées et des stratégies potentielles qui se dessinent.
La présidentielle désormais en ligne de mire, l’opinion comme la classe politique sont traversées de sentiments contrastés. S’ajoutent à la curiosité habituelle suscitée par ce scrutin majeur un peu d’impatience mais aussi de la résignation et de la crainte. Car les rapports de force paraissent globalement figés depuis quatre ans, comme si le match était déjà joué. L’issue de la crise sanitaire et les conséquences économiques et sociales qui en découleront demeurent, pourtant, partiellement incertaines, de même que le sort réservé aux dernières réformes (assurance chômage, retraite) qu’entend mener coûte que coûte l’exécutif. Il est manifeste qu’Emmanuel Macron, malgré un quinquennat chaotique, bénéficiera à fond de la « prime au sortant » en l’absence de rivaux indiscutables dans les oppositions, à l’exception de l’épouvantail Marine Le Pen. Mais les initiatives sont nombreuses à droite comme à gauche. Trop nombreuses peut-être.
La liste des prétendants à l’orée de la présidentielle, saint Graal de la carrière politique française s’il en est, est sans fin. On compte déjà les officiels (Jean-Luc Mélenchon, Xavier Bertrand, Marine Le Pen, Nicolas Dupont-Aignan, Jean Lassalle, Fabien Roussel, Valérie Pécresse, Nathalie Arthaud, Philippe Poutou, Florian Philippot, François Asselineau, Jean-Frédéric Poisson et désormais Georges Kuzmanovic et Arnaud Montebourg), les quasi-officiels (Emmanuel Macron lui-même, Anne Hidalgo, Eric Zemmour…), une brochette de pressentis (Christiane Taubira, Édouard Philippe…) et bien sûr les « candidats à la candidature », autrement dit les participants à la primaire d’EELV, officiellement lancée (Sandrine Rousseau, Yannick Jadot, Delphine Batho, Jean-Marc Governatori et Eric Piolle), et à celle de LR, sérieusement envisagée (Valérie Pécresse, Éric Ciotti, Philippe Juvin et Michel Barnier). Mais la multiplication des ambitions, loin de donner de l’espoir aux électeurs en attente d’alternative solide, tend à jeter le trouble sur les intentions des uns et des autres. Difficile de dire qui croit, sincèrement, en sa bonne étoile.
Combat à mort, lutte tactique ou tournée des estrades ?
Le professionnel de la politique sait mieux que quiconque que la succès passe d’abord par l’attente frustrante et l’échec temporaire. Lors de chaque scrutin, la présidentielle ne faisant pas figure d’exception, apparaissent des candidatures de « témoignage », destinées à promouvoir des idées minoritaires, et d’autres strictement « alimentaires », qui ne visent qu’à assurer des ressources au parti concerné. S’ajoutent parfois des candidatures avant tout « tactiques », visant un autre objectif que le mandat mis en jeu : la domination sur un camp ou la mainmise sur un électorat, avec une visée à plus long terme.
« Cette pré-campagne 2022 ressemble beaucoup à une agglomération de candidatures non-calibrées pour la victoire. Sociologie électorale défavorable oblige, c’est à gauche surtout que le phénomène est marqué »
Problème : cette pré-campagne 2022 ressemble beaucoup à une agglomération de ces trois types de candidatures non-calibrées pour la victoire. Sociologie électorale défavorable oblige, c’est à gauche surtout que le phénomène est marqué. Le bénéfice du doute peut être accordé à Jean-Luc Mélenchon, manifestement persuadé de jouer la gagne en retrouvant intactes les 7 millions de voix du 23 avril 2017 agrémentées de quelques centaines de milliers d’autres. Croyance touchante, mais qu’aucune étude d’opinion ne confirme plus, et depuis bien longtemps… D’autres candidatures se laissent plus facilement décrypter. Le leader du jeune mouvement République Souveraine Georges Kuzmanovic, ancien cadre de la FI, doit faire connaître le courant et les idées qu’il incarne à gauche, sans grand moyen mais avec une petit force de frappe militante. La présidentielle est, dès lors, une formidable tribune pour se faire connaître du grand public. Toujours à gauche, Fabien Roussel affiche une énergie et une ambition inédites au PCF depuis la fin de l’ère Marchais. Mais le Calaisien, aussi talentueux soit-il, ne fera pas la reconquête de son camp, par le ralliement espéré des classes populaires, au prix d’une seule campagne. La présidentielle sera, pour lui, la première étape d’un long projet de reconstruction. Quant aux traditionnels représentants NPA et LO, ils s’inscrivent, comme de coutume, dans le registre des campagnes de témoignage qui contribuent au folklore d’une présidentielle sans produire d’influence notoire sur le cours de la politique. Lancée ce week-end à Clamecy (Nièvre), la candidature d’Arnaud Montebourg est plus ambiguë. Hors du PS, entouré d’un mouvement politique à ses balbutiement (L’Engagement) et sans fonds, le désormais entrepreneur tente sa chance à la présidentielle comme un coup de poker. Après tout, la victoire d’Emmanuel Macron en 2017 s’est construite à partir de peu. Sur un malentendu… Il n’en reste pas moins qu’Arnaud Montebourg devra prouver qu’il a bien les moyens de ses ambitions. Les semaines à venir seront décisives : s’il n’améliore pas sensiblement le score dont il est crédité dans les tableaux d’intentions de vote (autour de 3 %), une renonciation pure et simple est probable.
L’état des lieux à droite n’est guère plus enthousiasmant. Les candidatures de Jean Lassalle et Nicolas Dupont-Aignan ne présentent aucune perspective sérieuse, si ce n’est de constituer de maigres réserves de voix pour les deux adversaires du second tour. Évaluée à un niveau relativement élevé (8 %), l’hypothèse Zemmour est inclassable. Sa candidature attrape-tout pourrait potentiellement déstabiliser les rapports de force à droite et aller jusqu’à priver Marine Le Pen ou le candidat soutenu par LR d’une qualification au second tour. Il est improbable que le principal intéressé songe à la victoire en 2022, plus sûrement s’estime-t-il le premier architecte de cette union de toutes les droites qu’il appelle de ses vœux.
Au sein de la droite dite « traditionnelle » ou « de gouvernement », Xavier Bertrand a fait le choix de naviguer en solitaire, porté par des sondages encourageants et stables (autour de 15 % d’intentions de vote au premier tour). Avec son hypothétique primaire, impossible pour LR de recréer l’engouement observé à l’automne 2016, où près de 3 millions de Français proches de la droite et du centre avaient consacré François Fillon. L’effet catalyseur de cette compétition interne – si elle a lieu ! – sera moindre. Quoi qu’il en soit, deux candidatures siamoises sont intenables dans le même espace politique. Face à Macron, un désistement est impératif et seuls les sondages en seront arbitres : celui de Bertrand si les intentions de vote refluent, celui du candidat issu de la primaire si ses scores dans l’opinion demeurent inférieurs à ceux du président de la région Hauts-de-France.
Comment battre Macron ?
Parmi les candidats finalement investis au terme de la course aux 500 parrainages d’élus, ceux qui envisagent sérieusement d’entrer à l’Élysée se heurteront tous à la même difficulté : la définition d’une stratégie pour contrer le grand favori, le président sortant.
Pour Marine Le Pen, son adversaire directe il y a cinq ans, le défi reste de faire voler en éclats le fameux « plafond de verre » auquel se heurte l’extrême droite française. Sûre de faire le plein parmi son électorat 2017 au premier tour, elle conserve statistiquement une petite chance de l’emporter au second tour par un concours de circonstances, en désamorçant intégralement le fameux « vote barrage » et en attirant à elle suffisamment d’électeurs résolument hostiles à Emmanuel Macron. La porosité désormais observée des électorats de la droite « modérée » et de l’extrême droite devrait grandement la servir. Encore faut-il que la présidente du RN ne savonne pas elle-même la planche sur laquelle elle tente de progresser. Le lamentable débat d’entre-deux tours en mai 2017 reste à ce titre dans toutes les mémoires…
« Qu’importe le flacon, pourvu que l’électeur de droite ait l’ivresse. Il voudra ses réformes, avec Macron ou avec un autre. Être lâché par l’électorat de droite est le vrai danger qu’encourt le chef de l’État »
À droite, le candidat LR (ou apparenté) aura à l’évidence un coup à jouer. La droitisation massive de l’électorat au cours de la dernière décennie permet d’affirmer que la présidentielle 2022 se jouera à droite ou, tout du moins, ne se jouera pas sans la droite. La stratégie la plus évidente pour Xavier Bertrand, Michel Barnier ou Valérie Pécresse sera d’incarner une alternative personnelle – et non politique – à Emmanuel Macron, en alimentant les grandes obsessions du libéral-conservatisme (réforme des retraites, réduction des dépenses publiques et de la dette, lutte contre la délinquance, durcissement de la politique migratoire…). L’angle d’attaque serait donc à la fois le bilan quantitatif du quinquennat écoulé (« pas assez de réformes ! ») et la remise en cause de la personnalité et du mode de gouvernement d’Emmanuel Macron (excès de verticalité, arrogance, volontarisme affiché mais impuissance de fait, agitation, overdose communicationnelle…). S’il y a bien un enseignement à tirer des élections locales, c’est l’incapacité de LREM de s’enraciner comme famille politique, l’inexistence du macronisme en tant que doctrine et enfin l’absence d’affect électoral envers ce mouvement dépourvu d’une histoire et d’une culture propres. Qu’importe le flacon, pourvu que l’électeur de droite ait l’ivresse. Il voudra ses réformes, avec Macron ou avec un autre. Être lâché par l’électorat de droite est le vrai danger qu’encourt le chef de l’État.
Du côté des écologistes d’EELV, toujours en lévitation depuis leur relative percée aux élections européennes 2019 et municipales 2020, la problématique n’est pas tellement différente. Malgré les différences réelles qui opposent les cinq candidats à la primaire, l’approbation partagée du projet européen – avec la politique économique qui en est indissociable – exclut de les ranger parmi les anticapitalistes ou les décroissants qu’ils prétendent être, pour certains. Proposer un projet politique proche de celui de LREM, reverdi et agrémenté de quelques marqueurs du « progressisme » sociétal si cher à la gauche urbaine cultivée (point trop n’en faut…) pourrait s’avérer payant. Yannick Jadot serait certainement le plus à même de s’engager dans cette voie. Le sort de la candidature écologiste apparaîtrait, en revanche, plus hasardeux si Sandrine Rousseau était désignée. Pas certain, en effet, que l’écoféminisme et le maraboutage ouvrent les portes de l’Élysée.
Au centre-gauche, le discrédit du PS au sortir de la présidence Hollande n’a pas été suivi d’un regain de confiance suffisant à l’échelle nationale pour laisser entrevoir l’opportunité d’un second tour pour celle qui, selon toutes vraisemblances, en assumera l’étiquette : la maire de Paris Anne Hidalgo. Du reste, il est peu aisé d’imaginer par quel moyen pourrait se démarquer une candidature socialiste, coincée entre des écologistes ayant le vent en poupe et un Macron qui paraît en mesure de conserver une partie de l’électorat social-démocrate absorbé en 2017. Les plus récents sondages accordent néanmoins à Hidalgo davantage que le score obtenu par Benoît Hamon il y a quatre ans (8 à 9 %).
Quid des autres, un peu plus à gauche ? La stratégie presque payante suivie par Jean-Luc Mélenchon en 2017, parfois nommée « populiste », reste un modèle quoique son héraut ait désormais du plomb dans l’aile. Ce n’est pas un hasard si Arnaud Montebourg, invité du journal de 20 heures de France 2 le 5 septembre, a justifié sa propre aventure présidentielle par l’incapacité du chef de file des Insoumis à l’emporter en 2022. En misant sur le patriotisme économique, l’ambition de rebâtir les fleurons industriels français et de dynamiser les territoires de la France périphérique, Montebourg espère que son discours portera largement parmi l’électorat populaire des milieux ruraux ou des villes moyennes. Un électorat qui a déserté la gauche sans trouver à droite de réponse à ses difficultés. La France du « Non » au TCE et celle des Gilets Jaunes, proches sans se confondre tout-à-fait, hantent manifestement l’esprit de Montebourg et de Mélenchon mais aussi de Fabien Roussel et de Georges Kuzmanovic quoique ces derniers, cela a été noté, sont lucides sur leurs chances de victoire. Le plus dur reste donc à faire : trouver les mots et les propositions qui assurent le rassemblement de ces Français contre la politique macronienne. Séduisante sur le papier, cette ambition va se heurter dans les faits à une triple difficulté : transcender les clivages en évitant les anathèmes de part et d’autre, résister à un environnement médiatique qui lui sera hostile et briser le conservatisme économique de l’électorat.
L’histoire de la Ve République le montre, les élections présidentielles se jouent au plus tôt dans les trois mois qui précèdent le premier tour. Pour l’heure, la longue route qui nous sépare du vote est passablement embouteillée.
La présumée droitisation de l’électorat et le présumé conservatisme économique des français….
J’aimeJ’aime