Macron, ou la politique de la terre brûlée

Éditorial de juin 2024

Les résultats des élections européennes sont devenus, en l’espace d’une heure, un sujet secondaire… La prise de parole d’Emmanuel Macron tôt dans la soirée du 9 juin a suscité le séisme escompté. La décision de dissoudre l’Assemblée nationale pour tirer les conséquences du score désastreux des listes pro-européennes, en particulier de celle de Valérie Hayer pour Renaissance et ses alliés, surprend et interroge. Dans un scrutin encore largement marqué par un défaut de participation (51,50 % seulement), bien que celle-ci soit en légère hausse par rapport aux européennes de 2014 et 2019, le Rassemblement national (RN) emmené par Jordan Bardella a obtenu selon les chiffres définitifs du ministère de l’Intérieur 31,36 % des suffrages exprimés, soit plus du double de la liste de Valérie Hayer (14,60 %), laquelle devance de moins d’un point celle de Raphaël Glucksmann pour le Parti Socialiste et Place Publique (13,83 %). En dépit du score inédit atteint par le RN, l’autre liste d’extrême-droite conduite par Marion Maréchal (Reconquête) est parvenue in extremis à franchir la barre des 5 % des votes, nécessaire pour envoyer des députés au Parlement de Strasbourg. Mais la défaite des macronistes était annoncée par les instituts de sondage – qui ont globalement vu juste – de même que son ampleur. Il serait donc bien difficile de croire que la décision prise par le Président de la République fut improvisée.

Pour la première fois sans doute depuis qu’il a accédé au pouvoir en mai 2017, Emmanuel Macron a choisi d’assumer ses responsabilités politiques par la manière forte en renvoyant aux électeurs le soin de désigner ceux qui devront, pour les cinq prochaines années, les représenter à l’Assemblée nationale. Les motivations affichées de ce recours aux dispositions de l’article 12 de la Constitution surprennent et interrogent. L’exécutif a assurément joué double jeu au cours de la campagne en appuyant sur la nécessité de ne pas « nationaliser » ces élections européennes tout s’impliquant personnellement derrière la liste Hayer (présence de Gabriel Attal et d’autres ministres auprès de la candidate, mot de soutien du chef de l’État sur la profession de foi adressée aux électeurs). La dissolution de l’Assemblée nationale constitue, elle-même, une réponse radicalement nationale à des élections européennes qui ont pu servir d’exutoire à une bonne frange de l’électorat. Plus encore, Emmanuel Macron a justifié, dans son allocution de cinq minutes à peine, son choix de dissoudre en raison de la montée « des nationalistes, des démagogues » partout en Europe. Il a alerté d’un même élan sur le danger de cette extrême-droite « pour notre Nation, mais aussi pour notre l’Europe et pour la place de la France en Europe ». Enfonçant le clou, il a mentionné l’enjeu de l’accueil imminent des épreuves des Jeux olympiques en France. Pour combattre les forces politiques qui nous menacent, il a donc décidé… de leur ouvrir potentiellement la voie d’une majorité parlementaire (absolue ou plus probablement relative) en France dès le mois prochain. En dépit de l’évocation peu convaincante d’un désordre dans les discussions parlementaires qui impliqueraient, selon lui, un retour à davantage de « clarté », difficile d’approuver le raisonnement tenu, sauf à déceler des intentions strictement politiciennes et peu guidées par la poursuite de l’intérêt général. Car la dissolution, qui n’avait pas été prononcée en France depuis 1997, n’était pas la seule carte que pouvait jouer Emmanuel Macron. Prenant acte du rejet de sa politique, il aurait pu envisager d’autres réponses, à commencer par une remise en cause de la feuille de route menée par son gouvernement, un remaniement en profondeur ou encore l’engagement de grands débats nationaux sur des orientations majeures à soumettre à référendum, une manière plus démocratique encore de s’en remettre à l’arbitrage de la Nation. Il leur a préféré un coup politique aussi immédiat qu’imprévisible dans ses conséquences.

La Constitution de 1958 prévoit que des élections législatives peuvent être convoquées dans un délai de vingt à quarante jours suivant la dissolution prononcée par le Président de la République. En fixant les deux tours du scrutin au 30 juin et au 7 juillet prochain, Emmanuel Macron a opté de fait pour les dates les plus proches. Si la régularité de la décision est incontestable, son opportunité démocratique interroge. Tout juste remis de la campagne des européennes – avec ce que cela suppose d’organisation, d’investissement et de dépenses – les partis politiques se retrouvent ainsi contraints de s’engager dans une bataille législative improvisée de trois semaines à peine… Les conditions d’un débat de fond serein qu’exigeraient des élections de cette nature et de cette importance ne sont pas réunies. À la veille des Jeux Olympiques, le Président prend le parti de changer de majorité parlementaire et donc de gouvernement, ce qui génère un facteur de risques pour la sécurité publique et la bonne organisation de l’événement. Il aurait également pu acter le principe d’une dissolution pour le mois de septembre, période plus propice au regard du calendrier des semaines à venir, ce qui laissait de surcroît la possibilité aux forces politiques d’organiser le débat et la campagne.

Bien clairvoyant celui qui pourra prédire le résultat de ces législatives provoquées dans la précipitation la plus totale. Cynique, Emmanuel Macron a pu imaginer deux scenarii à son avantage. Le plus probable est celui de pouvoir recomposer sa majorité à partir d’alliances, notamment à droite. Les appels du pieds de ténors macronistes vers Les Républicains lors de la soirée électorale dimanche ne sont pas passés inaperçus. Pas davantage que la rumeur prêtant aux macronistes l’intention de soutenir les députés sortants appartenant de leur propre point de vue au « camp républicain », c’est-à-dire, à l’évidence, aux formations autres que le RN et la France Insoumise. La dissolution deviendrait alors un moyen de recomposer une coalition centriste pro-européenne apte à soutenir trois années de plus son programme politique. Le pari est jouable mais complètement incertain, Macron tenant visiblement pour acquise la division de la gauche et encore impossible la rupture définitive des digues à droite (alliance LR-RN-Reconquête). Le deuxième scénario consisterait à envisager la victoire de l’extrême-droite afin de lui confier les clefs du pouvoir en escomptant un naufrage politique à brève échéance. Dans un cas comme dans l’autre, il ne s’agit que de calculs, de manœuvres sans gloire qui pourraient bien se retourner contre leur instigateur et, plus certainement sans doute contre les Français eux-mêmes. Jouer à la politique de la terre brûlée mène rarement aux jours heureux.

Auteur : Pierre-Henri Paulet

Contributeur et éditorialiste de 'Voix de l'Hexagone'. Rédacteur en chef de la revue 'Cité'.

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