Présidentielle 2017 : Les Français «choisissent» la continuité

La surprise, c’est qu’il n’y a pas eu de surprise. Le scrutin du 23 avril qualifie le duo Emmanuel Macron/Marine Le Pen au second tour de l’élection présidentielle. Ainsi le prévoyaient les instituts de sondages, avec une réelle précision dans leurs chiffres. Le quinquennat s’annonce chaotique : les « fractures françaises » se lisent aisément en filigrane des résultats enregistrés hier.

Pour la première fois sous la Ve République, les Français savaient pertinemment que tout se jouerait dès le premier tour. Au traditionnel jugement de « 20 heures », ce n’était pas seulement le couple de finalistes de l’élection présidentielle qui allait apparaître mais le nom du prochain président, considérant la probabilité de la présence du Front national d’une part, et les différents duels testés par les sondeurs, dépourvus de suspense, d’autre part. Tout était à gagner et à perdre. Un petit quart des Français a bien gagné. Le reste de l’électorat se joindra à la cérémonie du « couronnement » le 7 mai, sans ferveur, avec ses plaies béantes.

Les « petits » candidats en victimes collatérales

La concentration des enjeux lors de ce premier tour desservait totalement les « petits » candidats. Malgré tout le mépris assumé de certains éditorialistes ou politologues VIP des plateaux de talk-show, leur présence dans la course et leur parole lors du second débat télévisé furent bénéfiques et pour tout dire rafraîchissantes. Ni la dénonciation de la ploutocratie, ni la voix du syndicalisme ouvrier et celle des campagnes, ni le débat sur le maintien de la France dans l’Union européenne ne relève du « folklore » ou de la bouffonnerie. Simplement de la confrontation des idées… Le vétéran Jacques Cheminade, pour sa troisième candidature à la fonction suprême, obtient environ 65 000 suffrages, ce qui représente sa plus mauvaise performance électorale. François Asselineau anticipait un score « surprenant », finalement non concrétisé. Le promoteur du « Frexit » échoue à réunir 1 % des suffrages, malgré une campagne bien orchestrée et remarquée. La stagnation des partis ouvriers trotskistes est confirmée par les résultats de Nathalie Arnaud à 0,65 % (+ 30 000 voix néanmoins par rapport à 2012) et de Philippe Poutou à 1,10 % (- 18 000 voix). Dans ce contexte défavorable aux candidatures de témoignage, le « berger » de la politique Jean Lassalle, sans étiquette, n’obtient que 1,21 % des suffrages. Le souverainisme gaullien de Nicolas Dupont-Aignan ne fédère pas plus d’1,7 million de voix, ce qui fait trébucher le candidat de Debout la France sous la barre fatidique des 5 %, correspondant au remboursement des frais de campagne par l’État. On lui reprocherait injustement d’être le fossoyeur de la droite ; ce serait nier l’existence de réelles divergences entre LR et DLF sur des sujets aussi essentiels que l’Europe et le social. Reste enfin à évoquer le cas Hamon, « petit » candidat malgré lui puisque double victime du vote utile. Dépecé à sa gauche par la montée en puissance de Jean-Luc Mélenchon et par la macronmania à sa droite, il recueille 2,3 millions de voix à peine, mais évite pour sa famille politique de dépasser son pire score, détenu depuis 1969 par Gaston Deferre pour la SFIO (1,1 millions de voix, soit 5,01 %). Le grand tort de Benoît Hamon restera d’avoir été le représentant officiel d’un PS dont les cadres avaient, de toute évidence, privilégié une candidature officieuse. Rapidement placé hors des radars médiatiques, le député des Yvelines a bu le calice jusqu’à la lie.

Sous le signe du chantage

Aux portes de la qualification au second tour échouent au coude à coude (1) un Jean-Luc Mélenchon désabusé et un François Fillon lessivé. L’un et l’autre avaient, à raison, pensé possible une place de finaliste. Les porte-étendards respectifs des Insoumis et des Républicains avaient deux points communs devenus leur boulet : des projets diamétralement opposés mais complets et cohérents, et les médias de masse pour adversaire. Point n’est besoin de préciser que leurs péchés n’étaient pas du même ordre. François Fillon a été pris au piège de ses leçons de vertu et n’a jamais su convaincre de sa bonne foi à l’occasion du feuilleton d’affaires effarantes révélées contre lui. Son profil de candidat sociétalement conservateur et catholique revendiqué ne plaidait pas davantage en sa faveur auprès d’une milieu médiatique anticlérical jusqu’à la caricature. Jean-Luc Mélenchon a été honni pour bien d’autres raisons, et le déferlement des chroniqueurs contre son programme et sa personne révèle plus encore la régression intellectuelle de la vie publique française. Le chantage à l’extrémisme tournait à plein régime avant même le premier tour de scrutin. En évoquant dans son discours de défaite trempé d’amertume la jubilation des « médiacrates et oligarques », Mélenchon ne fait pas du populisme : il dit crûment ce qu’est la réalité de cet marathon présidentiel hors-norme. Il faudra le moment venu en admettre la construction méticuleuse dans le dos des Français pour comprendre en quoi elle fut historique et est devenue, depuis hier soir, un rendez-vous démocratique manqué (2).

La présence au second tour de Marine Le Pen n’est pas un coup de tonnerre. Il suffisait d’ailleurs de zapper d’une soirée électorale à l’autre pour s’apercevoir de la banalisation du fait. Non seulement ce deuxième tour face au Front National a été anticipé, mais il a même été théorisé comme instrument de maîtrise du processus électoral. François Hollande aurait souhaité l’utiliser à son avantage pour soutirer un second mandat aux Français malgré un bilan rachitique et une côte de popularité catastrophique. Le quinquennat 2012-2017 aura donc été le film de la progression constante du FN, observée d’élection en élection, sans que la lutte contre lui s’étende au-delà des déclarations larmoyantes et convenues. Les phénomènes complexes qui forment l’engrais du vote frontiste n’ont jamais été sérieusement traités par le gouvernement. En obtenant 21,43 % des voix, Marine Le Pen doit même être déçue. Il y a, pourtant, peu à retenir de sa campagne électorale adressée exclusivement à son socle électoral et dont le mot « immigration » fut le déplaisant gimmick. Plutôt ménagée par les observateurs jusqu’à présent, Marine Le Pen va affronter à l’évidence deux semaines de déferlante médiatique avec, en porte-à-faux, des électeurs sommés une fois encore d’empêcher que ne surgisse la « bête immonde », nourrie et chauffée par tout un système depuis trente ans.

La confirmation du « phénomène Macron »

Le plus difficile à analyser en ce lendemain « gueule de bois » de premier tour est le phénomène Macron. La lecture des résultats invite à admettre immédiatement que la posture du candidat En Marche ! a trouvé un écho au sein de la population et lui a garanti un bloc de soutien de 24 % des suffrages exprimés. Indéniablement, il est le grand vainqueur de ce premier tour et sera, selon toute vraisemblance, élu dans treize jours. Le mythe du jeune rénovateur hors-système a tenu suffisamment pour séduire une France lassée du jeu des partis traditionnels. Macron vient plutôt de réinventer une « UDF » renforcée par le vote de la gauche néolibérale venue du PS. Mais ce succès doit être considéré à la lumière des paramètres généraux de l’élection. Parmi ces 24 % d’électeurs (18 % seulement des inscrits, compte tenu de l’abstention et des votes blancs/nuls) quelle est la proportion du vote de cœur et celle du vote par défaut ? La question se pose sérieusement à cause du chantage médiatique orchestré contre ses trois rivaux aux défauts sciemment exacerbés. Elle se posera encore davantage au second tour… D’ailleurs, le discours moralisateur à l’égard des candidats n’ayant pas donné de consignes de vote pour le second tour se fait déjà entendre.

Très divisés au point d’accorder autour de 20 % des suffrages à quatre candidats aux ambitions bien distinctes (même si, économiquement, la droite Fillon est Macron-compatible), les Français ont exprimé très majoritairement un désir d’alternance voire de changement plus substantiel. Mais ils l’ont fait de manière désordonnée, avec des espérances et visions inconciliables. Par le jeu électoral, les voilà engagés contre leur gré sur le chemin de la continuité. Seule changera l’enveloppe. En Marche ! ou PS ou LR aucune importance : tout est fait pour que la même politique soit menée, sous l’œil bienveillant du patronat et de la Commission de Bruxelles. Les masques tomberont, tôt ou tard. Ils glissent peut-être déjà au lendemain d’une nuit de champagne à la Rotonde – dès le premier tour ! – qui ne rappelle que trop la fameuse soirée du Fouquet’s (3). Restera le goût du terrible gâchis laissé par ce concours de postures, cette présidentielle où les débats cruciaux auront été réduits à la portion congrue.


Notes :
(1) Les chiffres utilisés pour cet article sont ceux communiqués par le ministère de l’Intérieur, lundi 24 avril 2017 au matin (97 % des bulletins dépouillés à l’heure de la rédaction).
(2) Lire en attendant les articles édifiants de Frédéric Lordon (« Macron, le spasme du système », Blog Le Monde Diplomatique, 12 avril 2017) et d’Aude Lancelin (« Emmanuel Macron, Un putsh du CAC40 », Blog Le Feu à la Plaine, 20 avril 2017).
(3) « Si vous questionnez la sauterie de Macron, c’est que ‘‘vous n’avez rien compris  à la vie’’ », marianne.net, 24 avril 2017.

Auteur : Pierre-Henri Paulet

Contributeur et éditorialiste de 'Voix de l'Hexagone'. Rédacteur en chef de la revue 'Cité'.

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