Les éditions Marabout ont publié au début du mois de mars Varsovie Varsovie – Ils vont sauver les archives de l’oubli, un album émouvant et documenté qui aborde le quotidien dans le ghetto de la capitale polonaise sous occupation. Au cœur de l’oeuvre, le combat de quelques individus pour léguer aux générations futures le témoignage de leurs souffrances.
La France, mosaïque éclatéeDans les premières pages, apparaît une vieille dame : Yentl Perlmann. Installée au fond du fauteuil d’un avion, elle contemple depuis le hublot sa ville natale, Varsovie. Le choix du noir et blanc ne trompe pas longtemps le lecteur : nous sommes à l’époque présente, en 2017. Les spectres rougeoyants qui font soudain irruption autour de Yentl proviennent du passé. Les souvenirs que cette femme miraculée narre aux élèves du lycée René-Goscinny de Varsovie se remplissent de couleurs. Avant de devenir lieu de mort, le ghetto juif – construit en 1940 et détruit à l’issue de l’insurrection du printemps 1943 – a été lieu de vie. Nous y voilà replongés le temps d’une bande-dessinée.
Sous l’impulsion d’Emanuel Ringelblum, des habitants du ghetto tentent de constituer des archives écrites des atrocités qu’ils endurent. La peur des contrôles, la brutalité des miliciens, les convois sans retour et les privations assombrissent le quotidien. Le pire est peut-être la rumeur, qui court sans toujours se faire entendre. Elle prétend qu’à l’est, les déportés sont exterminés par les nazis. Ineffable, l’angoisse de l’élimination physique hante chacun des personnages auquel donne corps le crayon de Didier Zuili. Leur persévérance sera couronnée de succès. Des milliers de pages de témoignages, dissimulées dans des pots et des boites en fer blanc, puis enterrées dans les tréfonds du ghetto, seront ainsi sauvées et redécouvertes après la guerre.
La croisée des destins
Le lecteur de Varsovie Varsovie suit l’évolution de plusieurs personnages (l’adolescent Jonasz, Yentl Perlmann encore enfant, le couple Aleksander…) mais chaque homme ou femme croisé au détour d’une case, gratifié ou non d’un phylactère, est individualisable. Tout comme les fameuses archives donnent une voix à chacune des victimes, Didier Zuili dégage l’individualité du moindre figurant. Lorsqu’ils parcourent le ghetto, ses héros retrouvent à leurs côtés les autres juifs traqués ; leurs dialogues se mêlent aux paroles préoccupées de leurs semblables. L’unité du lieu abrite la multitude des destins.
Parmi ces quidams dont l’existence ne tient qu’à un fil, l’auteur rend hommage à quelques grandes figures historiques du ghetto de Varsovie. Ringelblum bien sûr, le créateur du collectif Oneg Shabbat (« le plaisir du shabbat ») qui rassemble documents et témoignages écrits, le docteur Janusz Korczak brièvement évoqué, mais aussi Adam Czerniaków, dont les derniers instants offrent les planches les plus tragiques. Czeniaków, président du Judensrat, s’est donné la mort le 23 juillet 1942, pour ne pas avoir à intimer l’ordre de déportation des enfants que lui imposaient les nazis. Puisqu’il faut que l’art cède la place au réel qui le nourrit, la parole est laissée à l’universitaire Georges Bensoussan en conclusion de l’album, avec trois pages de complément historique et iconographique.
Incontournable !
Référence : Didier Zuili, Varsovie Varsovie – Ils vont sauver les archives de l’oubli, Marabulles, 2017, 124 pages. Prix éditeur : 17,95 EUR.