Il faut savoir arrêter une grève… lorsque satisfaction ne sera pas obtenue

La journée de mobilisation du mardi 14 juin aurait dû être le baroud d’honneur des opposants à la Loi travail. Rassemblés en nombre (1,3 million partout en France, selon la CGT), ils peinent pourtant à offrir un second souffle à leur mouvement. Quoique d’autres manifestations soient prévues pour la fin du mois, les espoirs de voir le texte retiré s’amenuisent.

Quelle que soit la distance qui sépare, une fois de plus, le comptage des syndicats et celui des préfectures, les manifestants en lutte contre la Loi travail savent qu’ils ont joué leur va-tout hier. Si l’opposition dans la rue reste forte, elle ne connait pas le regain espéré et annoncé. Plus grave, le passage des cortèges a été marqué par des dégradations matérielles et des violences à l’égard des policiers. Devenus coutumiers, hélas, ces actes de sauvagerie ont atteint hier un degré supplémentaire dans l’abject en visant l’hôpital Necker pour enfants malades. Dépassé par les casseurs, le service d’ordre des syndicats ne contient plus les débordements auxquels le gouvernement n’a pas intérêt à remédier tant ils contribuent à décrédibiliser ses rivaux. Il ressort du chaos un sentiment de carence de l’autorité de l’État, phénomène en réalité calculé.

Un texte dépouillé et verrouillé

Au fil des jours – le redémarrage des raffineries et l’échec relatif des autres actions engagées par les grévistes aidant – apparaît clairement le « vainqueur » du bras de fer. Le gouvernement socialiste aura laissé bien des plumes dans la bataille mais pourra s’enorgueillir d’avoir réformé jusqu’au bout, tenu tête à la rue et à une opposition de gauche accusée, par un étrange renversement dialectique, de faire entrave « au progrès ». La Loi travail n’est pourtant plus qu’un prétexte. Largement dépouillée de son contenu à l’issue des discussions tenues avec les seuls syndicats réformistes, elle est devenue le sésame symbolique du déblocage du pays. Elle n’incarne pas elle-même l’arrivée en grande pompe de la flexibilité ultra-libérale dans le droit du travail français. Non. Mais elle est la porte ouverte à cette tendance vers laquelle convergent, avec les quelques nuances qui les distinguent, la gauche sociale-libérale et la droite libérale-sociale. Elle est la preuve que la France, elle aussi, peut suivre docilement les préceptes d’une Union européenne (1) qui considère que la ligne économique ne se discute pas, comme si elle se situait désormais « hors du politique ». À l’école bruxelloise, l’élève gaulois se voit ainsi décerner des encouragements, accompagnés d’une invitation à poursuivre ses efforts (2). Preuve, si le besoin imposait d’en fournir, que la Loi travail n’est pas un aboutissement mais un point de départ.

Pourquoi faudrait-il que les partisans d’une autre philosophie économique et sociale abandonnent leur combat, même à supposer que celui-ci s’essouffle ? Simplement parce que la partie qui se joue dépasse très largement la Loi travail, qu’elle conserve ou non son article 2 et la fameuse « inversion des normes juridiques ». Il leur sera difficile de le faire, mais ils devront admettre dans les jours qui viennent que la démonstration de force engagée sur ce texte avec le gouvernement est perdue. La droite sénatoriale prend un malin plaisir à accentuer les mesures de flexibilité pour offrir un avant-goût de ce que sera la campagne présidentielle sur le plan des solutions économiques, mais le texte qu’adoptera in fine l’Assemblée nationale, par privilège du dernier mot (3) et vraisemblablement une fois encore par la voie de l’article 49, al. 3 de la Constitution (engagement de la responsabilité du gouvernement) sera bien celui que le gouvernement a retenu. Il n’est plus question pour Manuel Valls comme pour le grand ordonnateur de sa politique, le Président Hollande, de renoncer à la réforme emblématique de la fin de leur quinquennat, d’autant plus que la scission de la gauche est consommée et assumée.

La première bataille de la « guerre des gauches »

Fin analyste de la vie politique, Jean-Luc Mélenchon perçoit bien que rien ne sera plus comme avant, à gauche. Le quinquennat Hollande est passé par là et consacre la conversion totale du Parti socialiste à la doxa économique de l’Europe des marchés. Un sondage BVA publié ce jour place le leader du Parti de Gauche devant François Hollande au premier tour de l’élection présidentielle 2017 dans l’hypothèse (de plus en plus probable) d’une candidature Sarkozy chez Les Républicains (4). La succession de l’état d’urgence, du débat sur la déchéance de nationalité et de l’adoption de la Loi travail a créé une fracture irréparable dans les quelques mois qui nous séparent des grandes échéances électorales. François Hollande l’a bien compris, qui se prend à rêver d’être le candidat du centre, des libéraux raisonnables, entre une « archaïque » extrême gauche et une droite qu’il dénoncera comme ultra-libérale et destructrice de notre modèle social. Personne ne s’étonnera de voir le Président-candidat rechercher à Colombey l’ombre du général de Gaulle…

Oui, le paysage politique est en pleine explosion et appelle une recomposition. À gauche, la mobilisation contre la Loi travail fera sens si elle débouche sur la création d’une force cohérente de proposition et d’alternative, avec ou sous l’adoubement de Jean-Luc Mélenchon, avant ou sans le ralliement de Nuit Debout, avec ou sans les frondeurs et autres contestataires du PS écœurés de la nouvelle orientation de leur parti. Face au Front national et à une alternance PS/LR illusoire, la gauche de la gauche voit s’ouvrir un boulevard. Mais des circonstances propices ne font pas une élection. Le plus difficile reste à venir : construire un programme rassembleur, concret et crédible, protecteur des individus et de l’environnement, débarrassé aussi des réflexes marxistes qui ont, trop longtemps, bloqué le logiciel économique de la gauche. Il ne tient qu’à cette gauche de briser les doctrines dominantes en allant jusqu’au bout de son combat : c’est-à-dire en s’attaquant au tabou ultime : les structures européennes, à la source de la mort lente de la politique.


Notes :
(1) Lire à ce sujet l’article de Coralie DELAUME, « Ce que la Loi El Khomri doit à l’Union européenne », lefigaro.fr, 17 mai 2016,
(2) Voir la dépêche (AFP) « Réformes : les recommandations de Bruxelles à la France, à court terme », 18 mai 2016,
(3) Article 45 al. 4 de la Constitution du 4 octobre 1958 : « Si la commission mixte ne parvient pas à l’adoption d’un texte commun […] le Gouvernement peut, après une nouvelle lecture par l’Assemblée nationale et par le Sénat, demander à l’Assemblée nationale de statuer définitivement. En ce cas, l’Assemblée nationale peut reprendre soit le texte élaboré par la commission mixte, soit le dernier texte voté par elle, modifié le cas échéant par un ou plusieurs des amendements adoptés par le Sénat ».
(4) Emmanuel BERRETTA, « Sondage BVA : Mélenchon peut passer devant Hollande ! », lepoint.fr, 15 juin 2016,

Auteur : Pierre-Henri Paulet

Contributeur et éditorialiste de 'Voix de l'Hexagone'. Rédacteur en chef de la revue 'Cité'.

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