
Récit d’une expérience ministérielle mouvementée mais aussi pédagogie de la réindustrialisation, L’Engagement d’Arnaud Montebourg (Éd. Grasset, 2020) entend démontrer au lecteur-citoyen que la volonté politique peut remettre en question la mondialisation et en contrecarrer les effets immédiats.
Tout est parti d’un profond malentendu. Lorsqu’il assiste au Bourget, le 22 janvier 2012, au trop fameux discours du candidat François Hollande invitant à ferrailler contre le monde de la finance, Arnaud Montebourg applaudit, enthousiaste. Lorsqu’il découvre, un mois plus tard, le même candidat juché sur une camionnette syndicale face aux ouvriers des usines Arcelor-Mittal à Florange auxquels est promise la sauvegarde de leurs emplois menacés, il ose croire que la gauche tentera enfin d’endiguer le démantèlement de l’industrie française. Lorsqu’il apprend sa nomination en qualité de ministre du Redressement productif par l’ex-candidat désormais élu Président, il se sent fin prêt à engager la France dans une ère économique nouvelle, après trente années d’acclimation ratée à la libre-concurrence mondialisée. Un premier voyage à Berlin, en mai 2012, a suffi pour que le deuxième président socialiste de la Ve République s’assoie sur un engagement majeur : la renégociation du Pacte budgétaire européen. Par là même, l’orientation qui serait celle de son quinquennat était donnée. Dans L’Engagement, Arnaud Montebourg relate les combats qui furent les siens à Bercy, entre 2012 et 2014, avant sa rupture nette avec François Hollande et le Parti socialiste. Il veut voir dans les raisons de ses succès et dans les causes de ses échecs la preuve empirique que patriotisme économique, souveraineté et écologie constituent une combinaison gagnante pour retrouver croissance, emploi et protection.
L’électron-libre

Entre mai 2012 et août 2014, d’abord à la tête du ministère du Redressement productif puis à celle de l’Économie, le ministre Montebourg a tenté, en vain, de convaincre le Président et ses chefs de gouvernement successifs de rompre avec le dogme austéritaire, d’investir et de sauver les derniers fleurons de l’industrie française. Il lui a fallu aussi tordre le bras à ces hauts-fonctionnaires solidement implantés à Bercy, tel son éphémère dir’ cab’, tous convaincus qu’ils peuvent modeler un ministre à leur guise, tous enclins à faire les yeux doux à un actionnaire dans l’espoir d’obtenir un jour une pantoufle lucrative dans le privé. En capacité d’agir, Montebourg s’est battu pour empêcher que l’inventaire interminable des grandes entreprises françaises délibérément liquidées (CGE, Thomson, Alcatel, Lafarge, la Seita…) s’allonge à nouveau. Entouré de ses « Mohicans », son équipe de confiance pour travailler sur les dossiers brûlants et mettre en œuvre sa stratégie de revitalisation des filières françaises, et des commissaires au Redressement implantés sur tout le territoire, il a eu à connaître près de 1 700 dossiers d’entreprises en difficultés pour un total de 240 554 emplois menacés. Au final, 208 480 de ces derniers ont été maintenus pendant les deux premières années du quinquennat Hollande. Pour sauver le site lorrain d’Arcelor et préserver Alstom de l’ogre américain General Electric, il a préconisé de recourir à la nationalisation, à l’encontre de la position dogmatique du chef de l’État et du Premier ministre. Le récit des faux-semblants de l’Élysée ou de Matignon pour faire entrevoir au ministre un soutien à ses proposition mais l’isoler in fine est édifiant. Anecdotiques s’il s’était agi d’une simple querelle d’égos, ces manœuvres ont révélé en réalité la reddition du gouvernement français, indisposé à nuancer sa ligne économique par peur de froisser Bruxelles, l’Allemagne ou les États-Unis. L’atout du livre, qui se parcourt presque comme un polar, est bien de parvenir à rendre limpide et passionné les tractations complexes menées sur les grands dossiers industriels de l’époque.
« Campé sur une ligne de crête entre les partisans d’un Frexit immédiat mais illusoire et les sociaux-démocrates naïvement persuadés qu’une Europe sociale est possible, Montebourg chausse les bottes de Colbert et de De Gaulle. Il théorise en conséquence une Europe des Nations qui coopèrent mais restent libres de leurs choix économiques. »
Difficile pourtant de survivre quand on évolue en électron libre démondialiste au sein d’un gouvernement résolument décidé à calquer sa politique sur les orientations de la Commission européenne. Sauf à se renier. Vint donc, tout au bout du chemin gouvernemental d’Arnaud Montebourg, l’épisode prémédité de Frangy-en-Bresse. Les images des télévisions ont surtout retenu la boutade de la « Cuvée du Redressement » mais l’acte de rupture résidait bien dans le discours prononcé ce jour-là sur l’estrade par un homme devenu sans illusion sur l’issue du quinquennat Hollande. Il laissa sur son bureau 34 plans industriels définis et financés, notamment dans le domaine des énergies renouvelables, mobilisant quelques 250 entreprises. Tous furent enterrés par son successeur, Emmanuel Macron.
Le politique contre l’économisme
Dans son récit, Arnaud Montebourg s’offre indéniablement le beau rôle face à l’inertie hollandienne et à l’inconséquence d’autre figures du quinquennat (Valls, Cahuzac, Ayrault…) dont les portraits, impitoyables ou ironiques, sont aussi la loi du genre. Pour autant, il ne produit pas une chronique de la précédente présidence et son propos n’est pas de régler ses comptes. L’essentiel de l’ouvrage est consacré à l’exposé de la méthode qui a été la sienne pour tenter de sauvegarder l’emploi en France, de revenir à la croissance et de créer des entreprises innovantes et structurante pour l’économie françaises. La légitimité de la démarche tient en une formule : « La politique doit être plus forte que l’économie, c’était une nécessité dans ce monde déréglé et abusif. Les règles de vie et de travail en commun, décidées démocratiquement, garanties par l’État, devaient être plus fortes que l’économie pour contenir ses excès. » L’auteur de L’Engagement s’adresse à un large public auquel il ne craint pas de confier ses affinités avec le keynésianisme (presque un gros mot pour François Hollande…) ni avec un souverainisme protectionniste qui en fait, immanquablement, un critique des politiques européennes. Lucide mais pas suicidaire, il se montre partisan d’un affrontement avec les institutions européennes et avec l’Allemagne qui en dicte la marche. Il entend, par ce moyen de pression, en finir avec l’obsession contreproductive de la chasse aux déficits et faire admettre, à l’instar de l’exception culturelle française, la possibilité pour les États de préserver leurs intérêts et ceux de leurs travailleurs. Campé sur une ligne de crête entre les partisans d’un Frexit immédiat mais illusoire et les sociaux-démocrates naïvement persuadés qu’une Europe sociale est possible, Montebourg chausse les bottes de Colbert et de De Gaulle. Il théorise en conséquence une Europe des Nations – quoiqu’il n’emploie pas les termes – qui coopèrent mais restent libres de leurs choix économiques. Alors que la mondialisation, cette construction idéologique du dernier quart de siècle, vacille sous les coups de boutoir de peuples en révolte et d’une pandémie sans fin, l’État apparaît à nouveau comme un rempart, un garant et une source de solutions.
« L’atout du livre, qui se parcourt presque comme un polar, est bien de parvenir à rendre limpide et passionné les tractations complexes menées sur les grands dossiers industriels de l’époque »
Arnaud Montebourg n’a pas fait paraître L’Engagement en novembre 2020 sans dessein politique. Lui qui est devenu entrepreneur à son tour et promoteur avec une certaine réussite du « Made In France » écrit qu’ « [u]n engagement n’est jamais vulgaire ni ridicule car il concerne la vie des gens »et prend à partie son lecteur : « Que vaudrait alors la démocratie s’il n’était pas dans l’essence d’un engagement d’être tant soit peu honoré ? » L’élection présidentielle de 2022 n’est plus très loin et l’indomptable bourguignon continue de placer ses idées dans le débat public. Cet engagement dont il est parle n’est pas seulement celui qui a guidé son action ministérielle entre 2012 et 2014 ou ses nombreuses initiatives pour la protection des colonies d’abeilles dans nos territoires. Il porte indubitablement sur l’avenir et, même si le principal intéressé s’en défend encore pour la forme, devrait se concrétiser par une candidature à la magistrature suprême. Le programme reste bien sûr à définir ; mais l’ambition claire et l’esprit gaullo-colbertiste qui l’anime invitent à suivre attentivement les faits et gestes d’Arnaud Montebourg au cours des mois à venir.
Référence : Arnaud Montebourg, L’Engagement, Paris, Éditions Grasset, 393 pages. Prix éditeur : 22 EUR.
Sur précisément le même sujet: https://zerhubarbeblog.net/2021/02/01/arnaud-montebourg-et-la-demondialisation-politique/
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