Éditorial de juin 2022

Ni abstention, ni confusion, mais clarification : dimanche, aucune voix ne doit manquer à la République », a déclaré ce mardi Emmanuel Macron sur le tarmac de l’aéroport d’Orly, dans l’une de ces mises en scène intempestives devenues sa marque de fabrique. Nul ne sait si s’exprimait là un chef d’État sur le départ d’une tournée diplomatique en Europe de l’Est ou bien le chef, inquiet, d’un mouvement dont l’étoile a considérablement pâli. Mais les propos sont préoccupants. D’autant plus préoccupants qu’ils s’accordent avec la prestation générale des ténors de la majorité : ministres, candidats en lice et autres soutiens officiels ou masqués, qui sous l’étiquette de l’éditorialiste, qui sous celle de l’économiste. Le mot d’ordre en macronie est le barrage. La République, la France, le progrès c’est eux. L’extrémisme, le populisme, le déclin, forcément l’autre. Le message envoyé par le Président, si bien remâché par son état-major, est limpide : « Il en va de l’intérêt supérieur de la Nation […] de donner dimanche une majorité solide au pays. » Comment qualifier a contrario l’électeur qui aurait l’outrecuidance de glisser dans l’urne un bulletin aux couleurs d’un parti d’opposition ? De citoyen indigne prêt à sacrifier l’intérêt de la nation par caprice personnel ? D’individu suspecté de défiance envers « la République », à laquelle il n’apporte pas sa voix ? La question se pose sérieusement, puisque le score élevé de la Nupes – l’alliance formée autour des Insoumis de Jean-Luc Mélenchon par les socialistes, les communistes et les écologistes – inspire les commentaires les plus délirants. Depuis l’annonce des résultats du premier tour, c’est à qui dira le plus grand mal du leader et des différents candidats de la Nupes. Au point que l’agitation du spectre de la chienlit gauchiste se substitue chez les centristes à toute discussion sérieuse portant aussi bien sur le fonctionnement (réel) des institutions et sur le contenu (réel) du programme de l’adversaire. Une manière de dissimuler sa propre vacuité, certes, mais de trahir également son manque de sérénité dans un scrutin dont l’issue déterminera la tonalité des cinq années à venir.
La législature qui se termine aura été marquée par un déséquilibre inédit des pouvoirs constitutionnels tant les trop nombreux députés de la majorité sortante ont failli à incarner autre chose qu’une armée d’exécution des ordres venus de l’Élysée. Affaiblie dans sa fonction d’élaboration de la loi comme de contrôle de la politique gouvernementale, l’Assemblée nationale dans sa composition présente n’a pas brillé non plus par la qualité de ses débats, encore moins par l’intégrité de ses élus. Est-il nécessaire de prolonger l’expérience ?
L’inversion du calendrier électoral décidée en conséquence de la réforme du quinquennat de 2000 a rendu, sans nul doute, les élections législatives fortement dépendantes de l’élection présidentielle qui les précède. Mais le parlementarisme qui sous-tend la Ve République n’implique pas, pour garantir le fonctionnement régulier des pouvoirs publics, que le parti du chef de l’État soit majoritaire. Le général de Gaulle lui-même a dû gouverner face à une majorité parlementaire composite (que l’on songe par exemple aux Ière et IIIème législatures) et deux de ses successeurs ont connu des périodes de cohabitation sans que, jamais, les institutions ne fussent paralysées. En 1988, à peine réélu, François Mitterrand n’a obtenu, après dissolution de l’Assemblée, qu’une majorité relative sans que cela ne l’empêche de constituer un gouvernement ni ne prive son Premier ministre, Michel Rocard, de la faculté de conduire la politique de la nation.
Prétendre, comme le feignent Emmanuel Macron et ses relais, qu’il existerait un danger démocratique à envoyer sur les bancs de l’hémicycle un grand nombre de députés de la gauche réunie ou des droites classique et nationaliste, est littéralement contradictoire. Par ailleurs, le scénario le plus pessimiste qui se dessine pour le Président n’est pas celui de la cohabitation, quoi qu’en dise Jean-Luc Mélenchon, compte tenu des très faibles réserves de voix de la Nupes et de la difficulté insoluble de mobiliser les abstentionnistes entre deux tours d’une même élection. Le scénario de la majorité relative est en revanche à prendre au sérieux, si d’aventure l’alliance Ensemble ! obtenait moins de 289 sièges sur les 577 du Palais Bourbon. Il contrarierait immanquablement les plans du chef de l’État en le conduisant à négocier une forme de coalition de gouvernement, probablement avec Les Républicains qui trouveraient là l’occasion de peser sur les choix de l’exécutif sans pour autant se fondre dans le macronisme. La République ne s’effondrerait pas, le pays ne serait pas ingouvernable, les entreprises ne feraient pas faillite, l’anarchie ne menacerait pas le territoire et des discussions plus âpres à l’Assemblée ne priveraient pas les Français d’un législateur. Plus encore, un important contingent de députés élus sous la bannière de la Nupes garantirait l’existence d’une véritable opposition, en mesure d’enrichir les débats, de vivifier la vie parlementaire voire de faire ponctuellement obstacle à une réforme contestée. Bref, ce qui terrifie tellement les macronistes commentant ou les commentateurs macronisants, n’est rien de plus qu’un pluralisme ordinaire. Ce pluralisme sans lequel il n’y a plus de démocratie possible, lui qui en permet la respiration et qui, seul, représente l’opinion dans sa complexité et les Français dans leur diversité.
Il ne faut pas craindre une Assemblée nationale pleine de nuances politiques dont les votes résulteraient nécessairement d’une concertation et de compromis. Après cinq années de centrisme hégémonique, il faut au contraire le souhaiter !